Cinquième épisode de notre rubrique consacrée à l’actu house sur le format long. Au programme : Huxley, Jay Haze, Munk, Dj Koze, Prins Thomas… sans oublier la bande originale du film « Eden », avec laquelle on démarre en trombe et en toute logique.

B.O – « Eden » (Hamburger Records/Sony)

EdenNous y sommes : « Eden », le film semi-fictionnel consacré à la génération French Touch, est enfin dans les salles. Avec autour de lui une attente monstrueuse, reposant à la fois sur sa légitimité (film d’auteur réalisé avec la caution des principaux instigateurs du mouvement) et sur un timing parfait (les vingt ans dudit mouvement, dont il marque vraisemblablement le début d’une célébration multicanale qui viendra titiller notre fibre nostalgique dans les semaines, les mois, voire les années qui viennent). Ce film, nous l’avons vu (bien sûr), mais le principe de cette rubrique n’étant pas de se consacrer à l’image, nous allons ici nous intéresser à la musique de sa bande originale – et uniquement à la musique. Car « Eden – la B.O », qui se présente sous la forme d’un double CD de 23 titres (41 dans sa version numérique), est évidemment un hommage non dissimulé à la house, ou plutôt… une certaine frange de la house : le son « garage » new-yorkais, au cœur des soirées « Cheers » puis « Respect » dans le Paris des mid-90’s. Saluons tout d’abord le travail des gens à l’œuvre sur cette compilation, qui ont bataillé ferme pour donner à entendre un objet présentable, et non pas une succession de tracks filtrés 100% cocorico dont l’intérêt eut été limité. Les faits sont désormais connus : Sven Love (le héros du sujet) et sa sœur Mia (réalisatrice) souhaitaient obtenir pour le film des morceaux dont le budget, en termes de droits, aurait initialement avoisiné le million d’euros… Panique à bord. Séduits par le projet, les Daft en personne, dont un seul titre utilisé aurait suffi à boucler ce budget pharaonique, ont alors cédé les droits de quatre de leurs morceaux pour une somme symbolique, poussant par là-même les autres musiciens et éditeurs à s’aligner. Beau geste, puissant, imparable. De fait, le tracklisting final ne relève pas de la duperie marketing : il brasse large, se permet d’aligner des titres vintage de dix minutes, et on sent bien derrière tout ça la passion inextinguible qui a animé l’équipe. Tout cela respire musicalement le commencement de quelque chose, le printemps d’une vie qui s’annonce placée sous le signe de l’hédonisme et du collectif… Reste la musique. Alors voilà : hormis quelques classiques indémodables (Promised Land, Plastic Dreams, Da Funk, Make a Living, Gypsy Woman… il y en a bien sûr un bon nombre), celle-ci a pris un léger coup de vieux. C’est que la house « garage » est un truc bien particulier. Pour qui a du mal avec le sucre ou la guimauve, celle-ci repose sur des mélodies ultrabrite servies par les organes puissants de divas du dancing en pleine montée d’hormones, et autres prêcheurs appelés à passer au confessionnal dans les plus brefs délais, avalanche de cordes en caoutchouc, saxos, flutiaux et autres instruments que la morale réprouve en dehors de leurs étuis d’origine… et, oui, la production est aujourd’hui terriblement datée. Il y a bien sûr des exceptions à la règle (tel ce sublime Finally des Kings Of Tomorrow), mais si beaucoup invoquent ici le chant des machines, d’autres évoqueront plutôt l’écho des cavernes : ciel que tout cela sonne creux ! Disons donc les choses clairement : aucun morceau garage n’égalera jamais le meilleur de la production disco (dont il découle) ni du reste de la production house antérieure (dont il est une excroissance un peu toc). En conséquence, les amateurs du genre (ils sont historiquement nombreux) s’y retrouveront sans doute, mais pour les autres… Un fossé béant sépare l’idée que l’on se fait de la French Touch « canal historique » de ce courant musical qui l’a en partie irrigué. Et quitte à aller dans les fondamentaux, autant taper directement chez Philadelphia International, Salsoul, Casablanca, Trax, Dance Mania… il y a de la matière. « Eden – la B.O », malgré toutes ses bonnes intentions, n’est donc pas un « hommage à la musique électronique des années 90 en France » (cette accroche un brin mensongère) mais plutôt le témoignage vibrant d’un épiphénomène qui a ensuite connu les répercussions que l’on sait – sous des formes bien différentes.

Huxley – « Blurred » (Aus Music)

Nous papotions garage ? Profitons-en : voici enfin le premier album du Londonien Huxley, parfaite incarnation de cette jeune scène insulaire qui puise abondamment dans cette mouvance pour la moderniser – à ceci près que nous parlons ici du garage anglais (et c’est encore une autre histoire). Après plusieurs maxis sur des labels cotés (2020 Vision, Hypercolour, Tsuba), le voici qui déboule sur Aus Music, la structure de Will Saul que nous évoquions dernièrement. Aucun hasard là-dedans : tout comme son nouveau mentor, Huxley se plait à brouiller les pistes entre house et dubstep (« Blurred » signifie « flou ») avec un soin tout particulier apporté à la production, certifiée 24 carats. Totalement ancré dans l’actuel « UK sound », mais nettement plus gracile, il plaque donc des infrabasses maousses sur des rythmiques orientées vers les clubs, sans oublier d’y adjoindre les parties vocales soulful de divers invités (la caution garage) tels que ceux qui envahissent régulièrement les radios britanniques depuis le carton réalisé par Disclosure. La bonne idée de cet album, c’est que, contrairement à ce que font la plupart de ses confrères dans ce registre, Huxley a calibré son travail sur un format « radio friendly » : en concentrant l’essentiel de son savoir-faire sur des morceaux de quatre minutes, il évite la monotonie de l’écoute, et se positionne naturellement dans le camp des outsiders venus de l’underground pour toucher une audience large. C’est une nette tendance de fond, et au vu de la qualité de ces douze morceaux, hybrides, nocturnes, parfois un peu lisses mais généralement impeccables, Huxley mériterait bien de décrocher sinon le jackpot, du moins l’Union Jack dans sa catégorie.

Munk – « Chanson 3000 » (Gomma)

Il fut un temps où Gomma était l’un des labels les plus fringants de toute la galaxie. C’était il y a dix ans de cela, et l’espace d’un moment, il fut considéré à juste titre comme le pendant européen de DFA : mêmes racines plongeant dans le bouillonnant chaudron no-wave/post-punk du New York early 80’s, avec pour fil conducteur ce disco mutant qui fit les heures les plus riches de labels comme Celluloïd ou Ze Records. Derrière une charte graphique irréprochable, les compilations maison révélaient de singuliers talents tels Headman, Whomadewho, Mocky, Rodion… et bien sûr Munk, le projet personnel de Mathias Modica, tête pensante de Gomma. Celui-ci ayant alors une petite longueur d’avance sur la nouvelle donne disco qui allait suivre, il se mit progressivement à rendre son propos de plus en plus pailleté, et ses deux créatures, Munk et Gomma, suivirent le même mouvement en lignes parallèles. Pour le dire autrement : Mathias Modica est passé en quelques années de Liquid Liquid à Blondie… Que penser de cette glamourisation des forces en présence ? Si certains ont décroché depuis longtemps, il reste que le producteur allemand, qui a vécu quelques années à Marseille, revêt plutôt bien son nouveau costume de producteur ès lolitas – deux chanteuses au grain sucré sont désormais au centre des débats. C’est parfois très cheesy (comme ce premier single lancé en éclaireur sur Exploited), mais dans un monde parfait, bon nombre de ces bombinettes pop-house mériteraient amplement leur place sur les grandes ondes, ça nous ferait des vacances de bien des bouses.

Jay Haze & ESB – « Finding Oriya » (Leftroom)

Cela faisait un petit moment que l’on était sans nouvelles de Jay Haze, et pour cause : il avait mis la musique entre parenthèses pour se consacrer un peu à lui, et était parti parcourir l’Amérique du Sud (il a notamment vécu un temps au Pérou). En croisant ensuite le chemin du musicien canadien Elan Benaroch (alias Electric Sound Broadcast), il a retrouvé le goût du travail méticuleux en studio, et l’album qui résulte aujourd’hui de leur collaboration est le fruit d’une intense session étendue sur un mois, à Vancouver. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Américain, patron des labels Tuning Spork et Contexterrior (réactivés tout récemment), n’a rien perdu de ses pouvoirs ensorceleurs : le travail sur les textures impressionne, et cette house contemplative, plus volontiers tournée vers une écoute domestique, n’en finit pas de révéler ses charmes au fil de ses écoutes. Disque superbe, et retour amplement réussi.

Dj Koze – « Reincarnations part 2 » (Pampa)

Dj Koze est un sacré plaisantin. Sur le premier volet de sa compilation Reincarnations (2009), qui rassemblait l’essentiel des remixes réalisés jusque-là par ses soins, il annonçait officiellement qu’il ne fallait désormais plus l’appeler comme tel – mais « Swahimi », du fait de sa conversion récente à quelque religion hindouiste (ou de l’usage de certaines plantes à haute teneur hallucinogène, c’est plus plausible). Les photos de presse de son dernier album (Amygdala) avaient d’ailleurs confirmé par la suite : ce garçon pouvait chevaucher une moto ou un caribou avec le même port de tête, se fondre dans la peau d’un vieux berger ou d’un artiste peintre immortalisant un âne superbe (et pour le coup, ce n’était pas un fake : c’est lui qui signa ainsi la pochette du deuxième album de son amie Ada). Le deuxième volet de Reincarnations, consacré aux cinq années suivantes, sort aujourd’hui avec le même décorum ésotérique (cette intro…) : pas de doute, le « Keyser » Koze dénote toujours au sein d’une scène house allemande assez peu portée sur la blagounette potache… et ça vaut aussi pour la musique. Rompu à l’exercice du remix, domaine dans lequel il excelle, Dj Koze trouve toujours l’élément « freaky », le motif ou la sonorité bancale qui vont faire basculer un morceau ordinaire dans la quatrième dimension. Ce dénominateur commun ne prend pourtant jamais la même forme : tous ses remixes diffèrent. Certains sont très pointus quand d’autres sont très accessibles, ils servent généralement une house très élégante (la première partie du disque) mais tapent aussi dans une forme de pop électronique aux parfums bucoliques (toute la seconde)… Quoi qu’il en soit, ça reste du Koze – pardon, du « Swahimi ». Et tous ceux qui ont ici eu affaire à ses services (Herbert, Whomadewho, Caribou, Moderat…) vous le confirmeront : sur l’échelle du sacré, la grande divinité mystique ne plaisante pas du tout.

Dj T – « Body Language vol.15 » (Get Physical)

Quinzième épisode (déjà) de la série phare initiée par la maison berlinoise Get Physical. Vous allez me dire : quinze ! Mais que peut-on avoir à braire d’une collection qui devient de plus en plus datée à mesure que la scène house se renouvelle ? Eh bien non, car Dj T est un héros. Et il faut le dire encore une fois, le surligner, tant le co-fondateur de Get Physical fait partie de ces piliers majeurs du genre, constants mais trop peu défendus par une presse spécialisée sans cesse avide de nouvelles têtes. C’est que Thomas Koch, ancien journaliste (il a fondé la bible allemande Groove), producteur et donc Dj depuis un quart de siècle, connaît la musique. Il a grandi avec le disco et l’électro-funk, pris la vague house en temps, en heure et en plein dans la face, puis accompagné l’évolution de celle-ci sous ses multiples formes. Toutes ses compilations sont des modèles du genre, qu’elles soient mixées ou « rétrospectives » (ses anthologies uniquement disponibles au format digital, un must). En 2006, il était déjà aux commandes de la deuxième « Body Language », définitivement l’une des meilleurs de la série. C’était une autre époque, et depuis, la house a évolué… comme Dj T, qui a logiquement rendu son propos un peu plus deep, mais toujours empreint de cette dynamique résolument club qui lui est chère. Peu d’éléments lui suffisent en général pour emporter son auditoire : des claps fins, une bonne ligne de basse, quelques motifs bien sentis, et le tour est joué. C’est ici encore une fois un sans-faute : la sélection (très actuelle) et le mix (transitions impeccables) vous emmènent au cœur d’une house raffinée qui tape en plein dans le mille. Hautement recommandé, donc.

Prins Thomas – « Rainbow Disco Club vol.1 » (Endless Flight)

Peu de temps après la brillante rétrospective consacrée à son label Full Pupp, Prins Thomas est déjà de retour avec une compilation mixée dont l’intitulé sibyllin, du moins a priori, appellerait à s’y jeter les yeux fermés. En fait, c’est un peu plus compliqué que ça. Le « Rainbow Disco Club » est un événement annuel organisé à Tokyo, où il a pris pour habitude d’inviter le gratin des DJs d’obédience house et disco. On le sait, le public japonais, non content d’être érudit, est aussi particulièrement ouvert lorsqu’il se pointe en club, et n’a pas peur d’être un peu secoué pour peu que cela se fasse dans les dues formes. Voici donc le témoignage fait disque d’une soirée au « Rainbow Disco Club », et celui-ci en laissera quelques-uns sur le carreau, à commencer par les seuls fans de Prins Thomas – qui se lâche ici totalement. Vous souhaitiez une bonne rasade de space disco ? En lieu et place, le Norvégien, dont ou oublie un peu vite qu’il est capable de tout jouer, s’autorise ici toutes les déviations possibles en allant puiser dans la techno, l’électro, l’acid-house, le breakbeat… et c’est franchement barré. Pointu ? Oui. Cosmique ? Toujours. Mais définitivement plus sauvage.

V/A – « Hot Summer Jams » (Hot Creations)

Les fois précédentes, on a été gentils avec Hot Creations. Déjà parce qu’un label qui divise ne peut pas être inintéressant, ensuite parce que l’on reconnaît à l’entité de Jamie Jones un son particulier qui a quand même accouché de maxis ravageurs, à la fois funky et massifs. Et voilà que sort cette nouvelle compilation, qui rassemble une douzaine de titres principalement produits par des newcomers. En tant que tels, le truc sympa eut été que ceux-ci aient des choses intéressantes à dire, seulement voilà : « Hot Summer Jams » (la mal nommée) est une succession de titres club qui enfilent les poncifs, visent les jambes sans passer par la case bassin, et donnent surtout l’impression d’avoir été entendus mille fois ailleurs – un comble au sein de cette écurie à l’esthétique très prononcée. Pour l’anecdote, on a assisté récemment à un set de Jamie Jones : booké en tête d’affiche d’un événement électro dans le sud de la France, il est venu prendre un cachet faramineux pour une prestation de deux heures qui tapinait sec. Ibiza lui aurait-il fait perdre la raison ? Hot Creations serait-il déjà fini ? En tous cas, cette compilation prend le même chemin poussif que son ambassadeur, dont les soirées ne sont plus aussi réussies qu’à ses glorieux débuts.

V/A – « Slouse : fishing In slower territories » (Compost)

Rainer Trüby a toujours été un homme de goût : il aime le bon vin, la bossa-nova et le jazz millésimés, ce qui suffit à en faire un client à part au sein de cette rubrique, où l’on ne s’attendait pas nécessairement à le retrouver. C’est en effet durant la grande époque de Compost (autant dire une éternité) que l’on a essentiellement parlé de lui, soit par le biais de son propre projet (Trüby Trio), soit par le biais de ses excellentes compilations brésiliennes (« Glücklich »). Autant dire que l’on était assez loin de la house, et ce vieux complice de Gilles Peterson (pour qui il avait signé un volume de la série « Talkin’Jazz ») naviguait alors plus moins dans les mêmes sphères (ce qui lui vaut d’ailleurs d’être booké régulièrement au Worldwide Festival organisé par son alter-ego britannique). Surprise, donc, que de le retrouver aujourd’hui aux commandes d’une compilation dédiée à la « slow house » (le titre est explicite), même si l’on sait bien que le bonhomme peut jouer une dance music de qualité quand il est aux platines – si tant est qu’elle soit pourvue de racines noires. Parfois proches de l’esthétique nu-disco (la frontière est souvent mince) ou de midtempos gorgés de groove, les douze titres ici présents ne dépassent pas 115 bpm, et donnent à écouter un superbe aperçu de cette mouvance (il n’y a quasiment rien à jeter) qui s’inscrit avec une élégance folle dans le « slow is the new fast » de ces dernières années. Compost, de fait, n’est donc pas encore tout à fait dans les choux.

V/A – « I’m starting to feel okay vol.6 » (Mule Musiq)

V/A – « Permanent Vacation vol.3 » (Permanent Vacation)

Pour rester dans les mêmes eaux, où l’on navigue généralement entre deep-house et nu-disco, voici deux nouvelles compilations (doubles et non mixées) servies par des labels qui font désormais référence : Mule Musiq et Permanent Vacation. Le premier, tokyoïte, fête ses dix ans avec le sixième volume de la série qui l’a fait connaître à l’international. Une fois de plus, le casting est en béton armé : Lawrence, Axel Boman, Daniele Baldelli, Konstantin Sibold, Eddie C, Matt Karmil… et encore, on ne vous parle pas de tous les autres, méconnus ou en devenir, qui tutoient le même niveau d’exigence dans des registres assez variés (le deuxième CD part dans une direction plus expérimentale et leftfield). La structure munichoise Permanent Vacation, un peu plus jeune, choisit également d’aligner un maximum d’outsiders au milieu de quelques noms bien établis (John Talabot, Daniel Wang, Charles Webster, The Field, Joakim…) qui apparaissent essentiellement comme remixeurs. Contrairement au précédent volume, plus axé sur la dimension nu-disco d’ordinaire à l’honneur, celui-ci se focalise étonnamment sur des productions lentes et atmosphériques, en abordant un très large éventail de choses (techno cotonneuse, dub astral et autres ovnis plongés dans un bain d’éther) avec une qualité constante. Bref : deux compilations pour oreilles exigeantes, vous en aurez pour vos deniers.

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