La maîtrise technique, la composition musicale – avec ses notions d’arrière-plan et de premier plan, comme au cinéma -, la modernisation des structures ou des schémas musicaux qui ont eu leur succès, le caractère rétro-futuriste de certaines formes… Bien que la créativité demeure le maître mot des artisans de 2011, tous ces ingrédients sonores mettent en exergue une réhabilitation du passé, à grands coups de modernité formelle. Le tout avec la volonté de redonner ses lettres de noblesse à la composition et au musicien qui, non content de singer ses pairs, en donne une interprétation qui légitime son appartenance au postmodernisme, prenant ainsi le contre-pieds du fameux Ex nihilo nihil fit.
On peut dégager plusieurs approches dans cette perspective, mais j’en ai choisi quatre, à travers des groupes ayant sorti ou sur le point de sortir des albums en 2011. Ces approches ne sont aucunement des postulats dictés par un pseudo-intello de la musique, mais simplement des manières de concevoir le renouveau de différents genres passés.
White Denim avec l’album D, ou l’approche synthétique
Aussi éclectiques que Franck Zappa, aussi techniques que Yes, virtuoses comme Radiohead et Bonnie Prince Billy réunis, et plus énergiques que n’importe quelle formation signée chez Alive, le quatuor fou d’Austin s’impose largement au-dessus de la mêlée avec son cinquième album, D, paru cette année chez Downtown Records (Art Brut, Eagles of Death Metal, Justice…) . Un mélange subtil de blues, de rock psyché progressif, de pop, d’indie-rock ultra dynamique ou de soul qui réussit à faire la synthèse entre les guitares laid-back de Quicksilver Messenger Service, les chansons les plus mélancoliques de Radiohead, les escalades mélodiques de Yes ou la fougue des Black Keys. On peut parler d’une déconstruction créatrice, à travers cette addition réussie d’immenses références convoquées avec classe. Sans parler d’une maîtrise technique et d’une énergie impressionnante, notamment en live où le chanteur guitariste James Petralli fait autant penser à Dan Auerbach qu’à Jeff Beck…
Aquaserge avec Ce très cher Serge, ou l’approche minimaliste
Une résurrection crimsonienne dans l’art, un tropisme surréaliste dans les mots, une volonté farouche d’apporter un plus à l’héritage du rock prog 70’s en adoptant une attitude décalée et en distillant quelques bribes d’une longue poésie courant sur tout l’album autour de ce très cher Serge, personnage mythologique explorant les fonds marins, à qui chacun est libre d’associer une identité. Un véritable récit imagé et fantasque, à la production très fluide, une approche minimaliste et pragmatique du prog, un genre de Magma miniature qui n’en a pas la grandiloquence mais en conserve la folie. Un petit bijou de construction détournée, qui peut notamment expliquer l’intérêt que leur a porté le label américain Manimal Vinyl Records (Warpaint, Hecuba, Bat for Lashes…) ainsi que leurs nombreux compagnons de route – puisqu’ils ont aussi bien tourné avec les planants Stereolab qu’avec les mythes japonais d’Acid Mothers Temple, puis fait office de backing-band pour Burgalat ou April March. Ils s’inscrivent ainsi dans cette grande famille revivalist piochant leurs références aussi bien dans la pop à bulles que dans le prog psyché de l’époque, avec Gainsbourg comme point de jonction. Leur petit plus : un romantisme aigre-doux souvent déconstruit, qui s’inscrit dans la filiation de Robert Wyatt, et un côté épique qui n’est pas sans rappeler certaines pièces de Jean-Claude Vannier, un genre d’aventure imagée par les sons.
La Classe avec son album en cours de préparation chez Tricatel, ou l’approche classique
On pourra tout reprocher à ce groupe : les accuser d’imitation, de maniérisme excessif ou de superficialité vaine, mais l’on ne pourra en aucun renier le plaisir que procure l’écoute de leurs sucreries pop dévoilées au public via leur Myspace ou les quelques live déjà effectués.
Ces six jeunes dandys redonnent vie au jazz de salon avec un talent inégalé, faisant déferler une authentique nouvelle vague pop qui n’est pas passée inaperçue auprès du manitou Burgalat (EP à paraître en décembre sur Tricatel). Ils travaillent au corps un style rétro aérien à base de claviers vintage et de basses modulées d’arpèges portant la superbe voix de Juliette Davis vers des sphères flirtant entre l’intensité de Diana Krall, la grâce de Sylvia Telles et la légèreté doucereuse d’April March. Une désinvolture savante servie par une orchestration maîtrisée, dont la probabilité de voir notre BB national devenir un chef d’œuvre équivaut à celle d’un pic de vente à moins de 5 000 exemplaires.
Une modernité dans le ton – la fusion des styles jazz, pop, soul, bossa-nova – et dans la volonté de prendre à contre-courant toute la pop pseudo-créative bien trop souvent maquée avec le Canada (ça sent le sapin) ou les clubs 80’s de nos voisins d’outre-manche (it smells like bin spirit) en révisant la forme classique. Après la Femme, la Féline et l’Airbus A320, la France nous montre qu’elle a encore du style.
Les Stepkids avec leur album éponyme, ou l’approche baroque
Ce trio ravive la flamme d’éminences funk 70’s (Funkadelic, Sly Stones…) en normalisant le psychédélisme par le biais d’une utilisation systématique de synthés bourrés d’écho,de nappes et d’arpèges aigües à souhait. Une aura disco plane en permanence sur leur musique bourrée de chœurs, dont l’identité se trouve autant du côté de la Motown que de Brian Wilson. Elle se décompose en modulations harmoniques sur des rythmiques très jazzy que ne renierait pas Beck. Moins pop que les Bees et plus glam que les Timber Timbre, ces catalyseurs de tout ce que la pop, la soul et le funk peuvent donner de meilleur servent une agréable ballade en dix chansons dans le plus pur style new-yorkais plein de décadence, de mélancolie et de folie créative bricolée à la force du poignet (d’installateur de boules à facettes). Les Stepkids utilisent tous les espaces existants pour colorer leurs chansons, et donnent un véritable sentiment de plénitude musicale servi par une production très aboutie. Une des bonnes surprises de cette rentrée, découverte pour ma part grâce à FIP et aux intéressantes Wilcox Sessions, qui sont à la propagande pop ce qu’Andy Mackay est à la crinière de footballeur allemand des années 80.
Conclusion, ces groupes sont l’expression d’un véritable hédonisme créatif : ne crachons pas sur l’époque, elle n’est qu’un contexte, une matière à développer de la réaction. Il n’y a jamais eu d’industrie musicale, seulement une industrie de la communication, l’objet n’étant qu’un support du message. Peut-on encore parler de crise, lorsqu’on sait que rien ne se crée, rien ne se perd, que tout se transforme ? Reconnaissons seulement que le rien et le tout sont équivalents dans cette dernière phrase.
5 commentaires
Tout se récupère et se consomme musicalement !
En effet , le Garage Rock n ‘a jamais été si prolifique qu’en 2011.
Certes les ainées via le rock psychédélique / punk des trente glorieuses ont tracé la voix / voie ( c ‘est selon ) .
De nos jours , que l ‘on soit » branché » aux « Nuggets / Pebbles / Back from the Grave » n ‘est pas le fruit du hasard !.
Légion sont les artistes influencés par le Garage Rock car l ‘esprit créatif sixties et la charnière créative et opportuniste du rock contemporain . Restons à l ‘écoute …..
http://rockencaux.musicblog.fr
Yep Dude,
merci pour ton intéressant commentaire qui n’a cependant rien à voir avec la musique dont je parle dans ce papier. En tous cas, je ne parle pas une seconde de rock garage là-dedans. Le visuel de l’article est trompeur mais ce n’est pas moi qui l’ai choisi. Je ne comprend toujours pas pourquoi d’ailleurs…
Enfin si je comprends mais bon c’est plutôt une référence de forme que de fonds…
La chanteuse de « LA CLASSE » s’appelle Juliette Davis et ils sont 6!
Ouais bon ok désolé, c’est plus la classe Davis que Lewis ouais…