"Je suis un enfant bourré". C'est Sydney Valette lui-même qui le dit dans son nouvel album "Paris" : on ne saurait mieux choisir les termes pour le présenter, sur la scène comme à la ville. Mix de candeur nature et d'ébriété surréaliste, les shows de Sydney sont des performances électroniques secouantes. Rencontre speed qui tourne autour du cœur du monde, Paris. Et clip en avant-première, celui de Paris.

Sydney Valette« Bourré, je suis un enfant bourré issu du siècle passé » déchante Sydney Valette sur Paris, un disque qui résonne comme du Crystal Castles désarticulé ou le groupe Deux mais en un. Même s’il semble appartenir à une autre époque, Sydney reste un garçon de son temps, de sa ville, un enfant bourré. Mais si dans son premier album Plutôt mourir que crever, on pouvait envisager « mourir » en synonyme de « cuité », Paris ressemble davantage à une gueule de bois. Ou comment grandir en pleine descente. Le poids de la boule à facette qui serre le bide. L’alcool n’a plus rien à promettre. Le joint a un goût de cendre. La voix de Sydney se fait plus grave, le son aussi a mué. Les textes, eux, sont moins foufous mais plus flous, sûrement quelques traces du brouillard de la veille. Sydney parle, prie, crie, récite, répète des paroles désenchantées, où les fêtes deviennent transparentes, l’apathie, généralisée. Et où notre ville lumière n’est plus tamisée mais éteinte. On y voit plus rien.

Sydney l’incompris

Depuis le départ, il y a problème de perception, un malentendu au sujet de Sydney, en tant que symbole h.i.p – sans h.o.p, pas confondre l’autre Sydney. Représentation, look, attitude, connexions, feeling : autrement dit des arguments qui s’éloignent des grandes largeurs musicales. Je regrette profondément d’avoir écrit ces stupidités : la maxime enfantine celui qui le dit qui l’est prend ici son sens : qu’on me lapide, qu’on me la coupe.

Plusieurs trucs ont changé la donne. D’abord, quand on se rend compte que Sydney n’est pas le petit snobinard qu’on avait bêtement décidé qu’il était mais un garçon charmant, un immense créateur de chaos joyeux, pas un poil iro(cy)nique. Ensuite, pour revenir à sa musique, l’album « Paris » confirme les a priori positifs : grand manifeste synthétique en V.F, comme on en fait peu sur plusieurs quinquennats – un « Dondolisme » par ci (comme Dondolo, Valette est un énergumène drôlement triste), un Guillaume Fédou ou un Alexandre Chatelard par là, AV, France, Accident ou Théolier – avec qui il a d’ailleurs tourné – et quelques autres. On connaissait le Sydney musicien (il a pratiqué le piano pendant de nombreuses années), le Sydney bidouilleur (machines, voix qu’il vocoderise sans trucages), le Sydney mélodiste – y compris dans le talkover -, le Sydney conteur d’histoires (poésies en apesanteur, polaroid mal cadrés), le Sydney graphiste (c’est lui qui a réalisé la pochette de son premier album). On connaissait tout ça de lui mais on ne voulait pas reconnaître ce qu’il était vraiment : un enfant bourré, oui, surtout de talent. Et c’est là qu’intervient la dernière étape, déterminante : ses lives. Grandioses, fous. D’un coup, le verre n’a plus un goût de vide. Paris redevient magique. Entretien express.

 Si tu devais expliquer en quelques mots à quoi ressemble un concert de Sydney Valette ?

Bien énergique et puissant ces temps-ci. Ça vogue entre new wave, electro punk, techno, witch house, presque hip-hop à certains moments. C’est la grande foirfouille électronique ! C’est une ambiance assez guerrière, médiévale, froide, sombre. J’ai bien envie de revenir un jour à des choses plus smooth quand même. J’aime bien les lives, c’est un moment de partage, j’ai du mal à m’en passer maintenant.

Ton nouvel album s’intitule « Paris » : il y a deux morceaux avec Gilb’r du label Versatile, tu as déjà fait des lives avec Nicolas Ker, le chanteur de Poni Hoax et de… Paris ! Est-ce que tu te sens des affinités artistiques avec une certaine scène musicale parisienne ?

En fait, je me sens beaucoup plus d’affinités avec des groupes étrangers comme John Maus, la scène montréalaise, Kap Bambino encore et toujours, des artistes anglais, américains. Je pense avoir un son plus « anglo-saxon » et c’est pour ça que je me demande si je ne vais pas me barrer. Je ne suis pas méga connecté à la scène parisienne, je devrais faire un effort. Poni Hoax, c’est un super groupe, c’est sûr, mais je ne connais pas bien la scène, parce que je ne vais pas trop aux concerts. Ici, on a de super DJ mais, en terme de musique live, je ne trouve pas que ce soit tout le temps top… Ce qui m’a marqué, c’est quand je suis allé vivre un peu à Montréal. J’ai assisté au Pop Montréal et j’ai vraiment trouvé un sacré niveau en terme de performances artistiques. Ça a été un vrai coup de fouet, c’est à ce moment-là que je me suis dit okay, fini de déconner, on va essayer de la faire à l’américaine ! En Amérique, ils ont une vraie culture du « show », que nous n’avons pas forcément : on est de grands timides.

Je nous [les Français] trouve vraiment à la masse, orgueilleux, petits, mesquins, fermés, incapables de lâcher le contrôle.

Dans le morceau Paris, on sent que tu as une relation schizophrénique avec la capitale, comme dans le Paris de Taxi Girl, à qui tu rends hommage. Côté pile, l’émulation et côté face, la désillusion.

Ah, Paris! Je suis arrive à 18 ans, en 2004, et… c’était une autre époque, quand j’y pense. Je trouve toujours assez dingue la façon dont les choses changent en profondeur sans qu’on s’en aperçoive… Le glam parisien m’excite beaucoup moins qu’avant, c’est sûr. J’ai l’impression qu’on peut perdre une vie à vivre dans la connerie permanente ici, surtout quand on a de l’argent. Mais, bien sûr, j’adore Paris, c’est la plus belle ville du monde, elle m’inspire beaucoup, je suis content de la retrouver quand je voyage. C’est ce que la pochette de l’album souligne, je pense : ce paradoxe entre sublime beauté glacée et décadence sans fond, sans nom.

Dans « Plutôt mourir que crever », ton premier album, on avait reproché le côté parisiano-snob des paroles. « Paris » est moins auto-centré, plus universel. L’écriture est plus symbolique, plus ouverte…

C’est marrant parce que ce premier album est devenu snob à l’insu de mon plein gré ! Cette image m’a fait chier à un moment mais maintenant, je m’en fous, ça me fait rire, j’aime jouer avec les clichés. Alors qui sait, peut-être vais-je continuer à faire des chansons hyper snob et insupportables hé hé. Dans Paris, il y a un effet assez liminaire, j’ai voulu garder le mystère des mots, ne pas trop révéler leur sens, comme quand tu lis un poème, les mots sont simplement des indicateurs vers un au-delà du langage. Le silence entre les mots est important, j’ai voulu chanter et chanter a impliqué une simplification pour laisser couler les sons. Cet album est assez classique, au sens où j’y ai pris conscience de la réalité, où j’ai commencé à cesser de rêver comme avant. J’y parle de ma désocialisation, de mes souvenirs d’enfance solitaire, de ma quête illusoire de la perfection cristallisée. J’ai longtemps vécu avec le sentiment d’une grande injustice et cet album est là comme un réveil compassionel. Il m’a permis de vivre l’universel, de me raccrocher au wagon humain, parce que j’en étais très loin jusqu’à présent.

Et pour faire allusion au morceau La Normalité, tu te situes comment dans le Paris politique 2014 ?

Nous avons de grands défis à relever, écologiques, économiques, politiques, nous ne pouvons plus faire semblant, notre système capitaliste tel qu’il est aujourd’hui ne fonctionne plus. Le mythe de la croissance est un mythe, nous devons cesser d’emmagasiner des richesses inutiles, nous devons revenir à un mode de vie plus responsable. Les politiciens m’énervent pour la plupart, car ils ne cessent de parler de redressement à court terme, pour ne pas voir la réalité en face : l’exigence impérative de faire des réformes en profondeur. La chose va bien plus loin, je pense : c’est une crise spirituelle que nous vivons, parce que nous nous sommes trop éloignés de la nature. Parler de refonte politico-économique ne veut rien dire si l’on ne pense pas au fait que notre rapport à la nature doit évoluer. Il faut accueillir de nouveau la parole des arbres et des éléphants. Le secret des écureuils n’est pas une faribole, ni un secret de petit shemale, crois-le moi bien !

Pour revenir au live, la dernière fois que je t’ai vu sur scène, Crystal Castles venaient de splitter. Hasard des calendriers ?

Très honoré que tu fasses un tel parallèle ! Pour te dire la vérité, Alice est tombé amoureuse de moi sans retour deux jours auparavant et a dû quitter Ethan en catastrophe, entraînant l’effondrement irrémédiable du groupe. Alice et moi sommes très heureux, nous vivons à Bollywood, et j’ai de grands projets pour elle.

Ahaha ! Bon, je te laisse te préparer. A tout à l’heure quand même ?

Oui… Je voudrais juste ajouter deux trois choses. Je trouve que l’ambiance n’est pas au top ici, et ce pour beaucoup de raisons. Je suis très critique vis-à-vis du fonctionnement parisien et plus généralement français : je nous trouve vraiment à la masse, orgueilleux, petits, mesquins, fermés, incapables de lâcher le contrôle. Ce n’est pas une maladie française bien sûr, mais tout de même, j’ai voyagé et je peux dire qu’ici pas mal de gens, sous des atours des toutes puissances héritées de Louis XIV, sont vraiment de profonds trous du cul. J’aime le cul, alors ça me va, mais bon.

Sydney Valette // Paris // Yuk-Fü Record
http://sydneyvalette.com/

En concert ce soir à 22h au Café Charbon (Paris)

Sydney Valette Paris

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