Musicien amateur, poète, exhibitionniste mais avant tout bédéaste, Shyle Zalewski est une étoile virulente de la Freak galaxy. Son mantra : parler fort en faisant tout et n’importe quoi. Mais est-ce vraiment le cas ? A l’occasion de la sortie de Contre-Exemple, sa nouvelle BD qui rassemble sa première décennie passée dans le monde de la BD, on a fait le bilan avec l’intéressé.

On ne va pas faire nos érudits de comptoir : le travail de Shyle Zalewski est une découverte récente. Pourtant, il officie depuis plus de dix balais dans le grand bain de la piscine nationale de la bande-dessinée indépendante. La Bédé indé. La rencontre a eu lieu via la sortie de Contre-Exemple aux éditions Lapin X Pantypop en mai dernier. Un mini pavé de 500 pages, couverture rayonnante et bordélique à souhait, large comme l’espace entre le pouce et l’index et haut comme le majeur. Une hauteur qui convient bien au personnage tant les histoires qu’il raconte au format mini-strips sont autant coups de cœur que coups de gueules. Coup de cœur avec sa bisexualité affirmée, revendiquée, mal dessinée.
Pendant toute la lecture, difficile de savoir à qui on s’adresse. Zalewski s’amuse avec sa queer attitude, s’éclate plutôt (dans tous les sens du terme). Il n’aime rien de mieux que brouiller les pistes pour dire au genre d’aller se faire foutre. Il faut donc rendre à Shyle ce qui est à Zalewski : cet effacement des frontières fait un bien fou et perd son monde avec une fraicheur tout assumée. Coup de gueule parce que peu importe ce qui se trouve entre nos jambes, les questions que l’auteur soulève sont universelles et malgré leur rugosité affichée, parlent petit pour toucher grand.

Pour l’anecdote, Zalewski voit un jour apparaitre un message sur ses réseaux. L’auteur lui raconte être un queerphobe qui cherche des comptes du genre uniquement pour les trasher. Problème : les saillies de Zalewski l’ont fait marrer et le gars se retrouve de fait, complètement largué.

A la lecture on rit (beaucoup), on réfléchit (pas mal), on est excité (un peu, ce n’est pas de la BD érotique non plus) mais surtout on s’anime dans ce qui s’apparente à une fourmilière erratique. Bédéaste, Zalewski est aussi un musicien amateur. Le rythme imprimé au bouquin aime les dissonances, s’agite d’histoires longues, de moments fun (mention spéciale au Witchy Bitchy Lecture Club), de parenthèses drolatiques et d’une poésie bienvenue. Issu de la Blogosphère BD, Shyle Zalewski est un détracteur dans son genre, de ceux qui désamorcent un coté cul et rentre dedans par le simple biais de la comédie, tantôt bas du front, tantôt drôlerie cynique à fendre des cailloux. Il assume raconter, dans la lignée de Boulet ou Dav Guedin, sa vie et ses démons. Le discours n’est pas nouveau, ne tente pas de mener sa révolte de paille à tout crin et l’auteur le sait. Son point de vue sert de positionnement, d’une idée faite sur ce qu’il aime ou déteste. Humeur bataille ainsi avec humour et freaks rime avec geeks. A chacun d’y trouver son compte.

Contre-Exemple sort chez Gargouilles, nouveau label des éditions Lapin fabriqué avec « de l’humour contemporain, noir, sale, trash qui se dégage des clichés du genre. ». Zalewski côtoie Gad et son Ultimex ou Aaron Reynolds et ses oiseaux péteurs. Pour en parler, on a classiquement choisi la terrasse d’un café d’une petite rue parisienne. Mais comme le travail de Zalewski, elle a décidé de tromper son monde et de devenir entre souvenirs, impressions, rage, tendresse, candeur adolescente, cul joyeux, punk folk et lunettes à triple foyer, une succursale du periph’ parisien.

Contre-Exemple (Zalewsky) – Editions Lapin – 24€ - Bulle d'Encre

C’est quoi l’idée de Contre-exemple ? 

J’ai récupéré 1000 pages de tout ce que j’ai fait entre mes deux autres BD sorties dans un circuit traditionnel et je me suis demandé quel sens donner à tout ça. Il y a d’abord les BD que je dessine soit pour internet soit pour des fanzines. Le but avoué, c’est la comédie, sinon des choses qui peuvent s’apparenter à du billet d’humeur. Mais c’est important pour moi que ce soit drôle avant tout. Si en plus mon message fonctionne, que je transmets des choses qui font réfléchir, si ça évoque quoi que ce soit d’émotionnel chez le lecteur, c’est que du bonus. Je n’aime pas lire des BD’s trop accablantes, trop plombantes,  ni même trop pédagogiques. Quand tu es ado, tu ne vas pas aller lire un bouquin pédagogique sur le cul. Ça s’adresse plus souvent à des adultes. Ado, j’aimais bien lire des bouquins qui racontait la sexualité par l’humour donc je me considère d’abord comme quelqu’un qui écrit de la comédie. Comme tout être humain, j’imagine que j’ai des visions sociétales, politiques qui transparaissent dans ce que je fais. J’essaye vraiment d’être le plus sincère possible et de ne jamais être dans la posture. J’essaye d’être ni dans le côté « je suis unique, mon cul », ni dans le coté plaire à une masse. Je me dis juste que si j’exprime sincèrement ce que je pense, des gens devront se reconnaitr…

Une moto démarre puis cale avant de redémarrer et de partir poignée au plancher.

…Le titre Contre-exemple vient du fait que je me suis toujours un peu considéré comme tel à savoir plus ou moins suivre tout ce qu’il ne fallait pas faire que ce soit dans ma manière de parler, de m’habiller, d’être, dans les sujets que j’aborde aussi. Pas uniquement vis-à-vis de la société de tous les jours, cette idée peut aussi se manifester dans des groupes sociaux équivalent au mien. Ça m’est régulièrement arrivé d’être refusé de certaines communautés punk parce que je ne leur correspondais pas ou que je n’adoptais pas la marche à suivre. On a vraiment l’image du punk en cuir avec la crête, qui dessine des pénis ou des vagins en grand et les sort en sérigraphie noir et blanc. C’est super que des gens fassent ça mais la culture ne se limite pas qu’à ça. Comme le terme queer, le terme punk est vraiment fait pour être diversifié. Il s’agit de terme très inclusif mais qui finalement amène des guéguerres de clans parce que tu ne respectes pas l’éthique du truc. Être un contre-exemple dans ta bande de marginaux, maintenant ça va mais quand tu es jeune et que tu cherches ta place, ça peut être un peu douloureux. Et c’est donc aussi ça que je raconte dans le bouquin.

Dix ans après, un regard sur tes premiers strips ?

C’est assez difficile de regarder dix ans en arrière. J’ai toujours dessiné, toujours fais des petits fanzines. Je faisais de la BD au lycée, j’en faisais quand j’étais en école d’art…

Un camion de livraison recule dans la rue et se gare juste devant notre table. Il vient livrer le bar et mettra facilement vingt minutes à assurer son déchargement.

Décidement aha ! Je reprends. Ce qui m’amuse c’est que ça sorte en livre. Ce qui était censé rester du domaine de l’internet ou du fanzinat, je trouve qu’il y à côté beau à lui laisser une place en librairie, que ce ne soit pas uniquement réservé à la petite niche dans laquelle j’évolue d’habitude. Mais ça me fait surtout marrer de voir ces dix années réunies là. J’ai fait une sélection donc tout ce qu’il y a dedans m’amuse et tout ce qui n’était pas très bon, je l’ai enlevé. Quoi qu’il arrive, j’ai un regard assez tendre sur l’ensemble.

Dix ans après, est-ce que tu es toujours aussi critique à l’égard du milieu de la BD ?

Bien sûr et je ne comprends pas qu’on puisse ne pas l’être. Le but n’est pas de dire que tous les auteurs, autrices, éditeurs ou éditrices sont des espèces de pourriture mais que tout est toujours perfectible. J’ai l’impression qu’il y a des charnières d’évolution dans la bande-dessinée, des virages qui se font naturellement et avec lesquelles je ne suis pas toujours d’accord. Je suis bien conscient de ne pas être la pomme la plus fraiche du panier, je laisse aussi des gens plus jeunes décider de ce que la bande-dessinée doit devenir mais je reste aussi assez critique sur l’aspect mercantile du milieu. Bien évidemment qu’on fait des produits, je ne suis pas naïf mais voir ça comme une finalité, ça m’énerve. Je suis critique de la BD comme je le suis de beaucoup de choses dans la société et je ne vois pas pourquoi je devrais mettre un véto sous prétexte que c’est le milieu dans lequel j’évolue. Il y a des comportements que je déteste dans la vie et que je déteste tout autant dans la bande-dessinée. Enfant déjà je voulais évoluer dans ce milieu donc j’imagine que les déceptions ont été d’autant plus grandes. Rien à voir avec la musique ou je savais que c’était une grosse industrie et qu’il allait y avoir des gens chiants. En BD, j’avais peut-être gardé cette illusion que tout le monde est ami et que c’est un monde un peu bisounours. Mais aussi radical et vénère que je sois contre ce milieu ou même le monde, c’est un art que je trouve génial.

« Je ne cherche pas à être subversif. Tous les gens qui le font sont des bouffons. »

Dix ans après, est-ce que tu es toujours aussi trash ? 

C’est drôle parce que Contre-exemple sort sous le label trash de l’éditeur alors que je ne pense pas l’être. Et pour moi c’est un énorme problème. Il y a des gens qui font de la BD mille fois plus énervée et noire que la mienne. Ce n’est vraiment pas de la fausse modestie, c’est juste que je ne me considère pas comme étant particulièrement trash. Il n’y a ni sexes apparents, ni gore, j’emploie le mot « cul » régulièrement et c’est à peu près tout. Il y a peut-être un manque de tact et de pincettes dans le traitement de certains sujets mais je pense avoir été mis la uniquement parce que je parle de sexe. Si j’ai envie de parler de cul, c’est surement parce qu’il y a un truc rigolo à dire dessus comme je pourrais le faire pour le pain de seigle par exemple ! Je ne cherche pas à être subversif. Tous les gens qui le font sont des bouffons. Catégoriser de subversif tout ce qui a un sujet non consensuel, c’est finalement d’un puritanisme assez ahurissant. Est-ce que ce n’est pas juste un truc de l’époque d’étiqueter « extrême » tout ce qui dépasse un peu du milieu ? Encore une fois le terme de contre-exemple n’est pas choisi au hasard. Tu veux me coller une étiquette ? Vas-y, je la prends et je l’embrasse. Mais au fond, est-ce que je le suis tant que ça ?

Est-ce que tout ce dont tu me parles, c’est ce que tu regroupes sous le concept de « cul joyeux » ?

Clairement. Aujourd’hui on limite la représentation de la sexualité à deux aspects seulement : il y a soit la pédagogie, soit de la posture. J’entends par posture, évoquer une émotion très forte, limite extrême, comme un dégout soudain ou de l’excitation. Dans la représentation queer de la sexualité, c’est exacerbé. Il y a autant de pédagogie que de « regardez comme on souffre ». J’ai envie de dire aux plus jeunes que le cul quand il est bien fait ou bien pratiqué est quand même sensé être un truc joyeux de la vie. De plus en plus on retombe dans l’idée de montrer le sexe comme étant lié à la douleur ou à l’interdit. Baiser des gens c’est cool tant qu’eux veulent me baiser aussi ! Pour moi, c’est la même chose de dire à un pote « viens on joue à Mario kart » que « ça te dit, je te suce ? ». Si ça le branche tant mieux, sinon tant pis. L’idée évidemment ce n’est pas de pousser les gens dans leur retranchement, ni de les brusquer. On m’a déjà refusé des livres pour ça et pourtant ma sexualité n’est ni beauf, ni trash. Pour moi, elle est tout ce qu’il y a de plus libre et banale. Pas même militante, juste joyeuse. Quand tu cherches ton identité c’est normal, tu es très sexué, très extrême. De la même façon que j’étais très punk, j’étais très tout. Je le suis encore un peu mais à l’époque je voulais pousser tous les curseurs au maximum. Ça m’amusait d’être la personne la plus drôle, la plus salope, qui parle le plus fort ou le plus vite. J’ai de la tendresse pour cette spontanéité que j’avais, que j’essaie toujours de garder mais je ne vais pas faire semblant d’avoir 15 ans. Il faut évoluer et le meilleur rempart contre une mélancolie un peu toxique c’est d’avoir un regard tendre sur ce qu’on a vécu, la culture qui nous a fait adolescent, qui on était et d’en rire. Y a plein de gens en festival qui m’ont dit que mes BD les avaient aidés dans leurs façons de voir les choses ou dans leur couple. Quelques-uns m’ont aussi dit que grâce à moi maintenant ils bouffent plus de culs, aha !

C’était comment à la maison enfant ?

Mes parents sont originaires d’un tout petit pays que je ne nomme jamais que ce soit dans la vie ou mon travail. Ils ont vraiment le syndrome de l’immigré, de ces personnes qui ne veulent pas faire de bruit, ce qui est clairement l’opposé de moi. Ils sont très timides, à un stade presque maladif, très cultivé, très savant mais ils savent la chance qu’ils ont d’être en France alors ils se font discret. Donc je ne parle jamais d’eux parce que je sais qu’ils n’aimeraient pas que je le fasse. Je préserve leur humilité. J’ai grandi en banlieue nord parisienne à Sarcelles dans le 95, banlieue un peu craignos, limite le cliché des banlieues. Milieu très violent, très sexiste, homophobe, très raciste aussi. […] J’ai grandi dans une forme de précarité mais on me disait « regarde, il y a des gens qui douillent plus que nous ». Il y avait ces moments durs que tu saisis malgré tout quand tu es enfant : les mois compliqués de ton père au chômage et quand on t’appelle pour passer à table, tu manges juste avec ton frère. Ça t’anoblit quand tu vieillis. On se dit que le bonheur se raconte mal et je n’ai pas de souvenirs extrêmement joyeux à cause des conditions de vie et de la précarité. Mais mon enfance était très normale malgré tout.

Comment t’es-tu accompli ensuite ?

Je suis parti très tôt de chez eux. Arrivé au début du collège, tu comprends vite que le monde est excessivement violent. Tu te dis : soit je fais deux mètres et je suis bodybuildé, ce qui n’était clairement pas mon cas, soit tu fais partie de la team geek qui joue à la Gameboy et tu bosses tes vannes et ta répartie. Je me suis sorti de pas mal de situations grâce à ça. Attention ça ne marche pas à tous les coups mais j’ai l’impression que c’est ce que je fais perdurer avec mes BD : l’expression profonde de mes sentiments, de la manière la plus sincère possible, tout en trouvant les mots juste et le graphisme qui va bien. 

Witchy Bitchy Lecture Club Review - BD, informations, cotes

Pourquoi te tourner vers la BD ?

Comme pas mal d’enfants je commence la lecture avec la bande-dessinée. Je pouvais aimer certains romans mais j’avais du mal à les trouver drôles. Alors que l’humour en BD se trouve beaucoup plus facilement. C’est con ce que je vais dire mais j’adore rire ! Le rire c’est trop bien ! Narration + c’est marrant = je veux faire de la BD. Mes parents nous ont mis très tôt des crayons dans les mains, abonné à des activités artistiques et c’est ce qui me plaisait le plus donc naturellement j’avais très envie d’en faire. Je me rends compte que dès le collège je faisais des strips qui étaient soit des histoires avec un imaginaire fort, soit autobiographique. Je m’y racontais parfois de manière très intime, parfois de manière fantasmée, sans le coté cul parce que j’étais encore vierge mais avec toujours beaucoup de second degré. Les mecs de banlieue à qui je les faisais lire trouvaient ça dingue, le fait de rire autant sur soi-même. Je suis bourré de tics et de tocs et le fait de m’en amuser me rend libre. C’est une arme que les gens n’ont plus contre toi. Et puis ça fédère, certains partagent les mêmes problèmes et s’y retrouvent. Les humains sont mal branlés donc tu trouveras toujours d’autres humains qui sont aussi mal branlés que toi ! Mes premiers efforts en BD étaient juste des carnets de strips que je montrais aux potes. J’ai voulu les mettre sur internet, toujours pour eux et le hasard a fait que c’était aussi le moment de l’émergence des blogs BD. C’est resté longtemps dans cette optique, puis internet aidant, une ou deux personnes ont aimé, mis le blog en lien principal et de fil en aiguille j’ai débarqué en festival. Je n’ai pas très bien vécu cette période. J’avais 18 ans à peine et je me suis retrouvé confronté à des groupes sociaux très différents du mien. J’avais 1000 personnes qui me suivaient et c’était trop pour moi. C’est aussi le moment où je me suis dit que dans l’autofiction, il faut faire attention à ce que tu fictionnes. Je ne voulais pas raconter quelque chose pour me donner un style ou m’inventer une vie. Je me rends compte que c’est vraiment le moment où j’ai décidé de créer en complète opposition à la culture à laquelle j’étais confronté, que je ne voulais pas être comme ce que je voyais. Et c’était très important pour moi.

Tu me parles de ce que tu appelles tes « grandes BD » ?

Il y a trois livres édités en parcours classique : Grenadine, Wolcano : La Sorcière du cul et Contre-exemple, respectivement sortis chez Lapin, Delcourt et de nouveau Lapin. Le prochain à sortir en février prochain, Love not dead, sera à nouveau édité chez Delcourt. Après en nombre de fanzines, il y en a des dizaines. En ce moment je travaille des petits fanzines dans l’esprit de la collection Pattes de mouche de l’Association. Je bosse dessus depuis un an et il s’agit de la collection Frou Frou Frou chez Pantypop qui est en fait… moi. Dans Contre-exemple, on retrouve pas mal de fanzines notamment une tranche qui revient de manière récurrente, le Witchy Bitchy lecture Club qui est une critique un peu vénère du milieu de l’édition quand j’étais à mon sommet de « la BD me saoule » mais qui me fait beaucoup rigoler. Ce n’est pas si méchant que ça mais certains auteurs, qui d’habitude ne s’intéresse pas à mon travail, ont commencé à craindre d’apparaitre dedans. C’est l’équilibre délicat entre être un sale gosse et ne pas être une pourriture. Je moque la lâcheté, l’opportunisme, la fausseté, les postures. C’est presque un devoir pour moi de le faire. Grenadine, c’est une BD en tranche de vie, un peu de la comédie aussi dans laquelle j’utilisé mon avatar pour parler de marginalité, de comment trouver sa place notamment dans des questions de genre. Le sujet principal de Grenadine c’est grandir. Grandir après une rupture, grandir quand tu comprends que le monde est violent, quand tu vois que ton métier va être difficile, etc.

Wolcano c’est de l’auto-Fantasy. Encore une fois, j’utilise mon avatar mais version sorcière dans un road-trip un peu contemplatif et barré pour questionner les marginalités. J’utilise la figure de la sorcière pour figurer quelqu’un mis au banc de la société. Ça parle du milieu de l’art, de la réputation des gens. La sorcière du cul est connue comme une grosse chaudasse. Le livre part de cet archétype jusqu’à en faire un personnage humain. C’était le but avoué dès le départ avec toujours des vannes de fesses bien senties.
En plus d’avoir la satisfaction de sortir chez un éditeur un peu connu, j’ai aussi pu collaborer avec Trondheim, que j’adore. C’est le directeur de la collection chez Shampoing et je rêvais de travailler avec lui. C’est une personnalité très particulière que beaucoup voit comme froide mais je le trouve très drôle dans son coté sec donc je m’en accommode. Puis, je n’ai jamais rencontré quelqu’un pour qui j’ai aussi peu de doutes qu’il soit passionné de BD. On partage forcément ça. Le prochain tient sur ce que le cinéma nomme de manière snob, un high-concept. Mon avatar se réveille un matin et l’amour n’existe plus. Les gens ne savent plus ce que c’est et mon avatar est le seul à s’en souvenir. L’idée c’est de questionner nos relations sociales et humaines. Si l’amour n’existe pas ça veut juste dire qu’on baise n’importe qui et si on baise n’importe qui, est-ce que c’est mal ? Pourquoi est-ce qu’on vit avec les gens ? A quoi ça sert ? Ça commence dans un faux format classique qui part vite en vrille. L’exercice est assez difficile à écrire dans le sens où j’essaye d’avoir 4 cases,1 vanne et qu’en même temps l’histoire se suive mais je m’éclate à le faire. C’est une écriture plus travaillée qu’habituellement, j’essaye que ce soit plus tissé et moins brut de décoffrage aussi parce que j’aime essayer d’autres formes de narration. J’ai mes marottes : grandir, les marginalités, la sexualité mais l’idée est à chaque fois d’essayer de les raconter d’une manière différente.

« Si on me demande ce que j’aime faire dans la vie, je réponds : écrire et faire de la comédie. »

Si tu devais te donner un genre de BD dans laquelle tu officies ?

La comédie. Malgré les autres genres que j’arpente que ce soit la fantasy ou l’imaginaire, je fais avant tout de la comédie. Si on me demande ce que j’aime faire dans la vie, je réponds : écrire et faire de la comédie. La comédie, c’est tout de suite connoté parce qu’on s’imagine un clown qui fait pouet-pouet. Je ne dis pas que je ne fais pas le clown non plus mais il y a un peu un coté outsider ou mal-vu que j’aime développer dans la comédie. La culture punk a longtemps cherché la violence pour s’imposer. Aujourd’hui, elle se renouvelle dans sa non-violence et c’est presque subversif d’être non violent même si encore une fois, je ne recherche pas la subversion. Ma mécanique d’écriture c’est de chercher le rire. Faire pleurer c’est beaucoup plus simple et personne ne rit des mêmes choses. C’est ce qui rend la mécanique intéressante autant que très complexe. Puis j’essaye de ne pas faire rire que moi. Tout ce que j’écris que ce soit en comédie ou sur des moments plus d’humeur, ce sont d’abord les dialogues et le reste, c’est improvisé. Je ne fais pas de crayonnés ou de scénario, je fonctionne avant tout par punchlines, c’est-à-dire les phrases qui sont les conclusions et les points de virage du récit. On pourrait presque dire que mon taf c’est plus dialoguiste que scénariste parce que ce qui m’intéresse avant tout, c’est comment les gens se parlent et interagissent. J’aime les petits formats, ça me force à être concis. Je suis taré de format carré. Je fais de la musique donc ça rappelle les pochettes de disques. Je dessine très petit sur des petits A5 et les cases sont ensuite agrandies. Si je dessine des grandes cases, je me dis qu’il y a plus de place et donc je vais beaucoup trop parler. Déjà que mes BD sont très bavardes; si en plus je dessine en A4, je mettrais le double de texte ! J’ai beaucoup plus confiance en moi maintenant, confiance en mes blagues donc dès que je peux, je taille dans le gras. Je dois juste lutter contre ma phobie de l’incompréhension. Souvent j’écris beaucoup en ayant toujours le doute que les gens ne me comprennent rien à ce que je raconte.

As-tu des influences ou des modèles assumés ? 

C’est un mélange de plein de choses. Je suis le produit de certains mangas que j’ai lu, de certaines BD minimalistes, de Trondheim. Trondheim c’était la première fois que je voyais des cases pas tracées à la règle, un graphisme plus léger, ce qu’on a appelé après « la nouvelle BD ». Cela reste une grosse influence pour moi. J’adore aussi Gaston et l’œuvre de Franquin en général. Je suis très fan d’Aude Picault même si la narration de nos histoires n’a rien à voir. Elle a une forme de poésie flottante que je n’ai pas du tout et qui me fascine. La culture internet aussi forcément. Je vois d’autres choses qui se créer ailleurs, par le monde et ça a changé ma manière d’appréhender la narration. Je pense aussi à des choses qui n’ont pas de rapport avec la BD. Par exemple, j’ai une passion pour les logos japonais mignons. Graphiquement, ça m’inspire énormément. Je trouve ça dingue de voir un dessin aussi minimaliste et te dire que tu trouves ça adorable.
De manière générale, le minimalisme me touche beaucoup, que ce soit en BD comme en musique parce qu’arriver à émettre une émotion forte avec trois traits ou une guitare et une voix, c’est fort. Je n’aime pas la sophistication et la virtuosité c’est pour ça que j’adore l’art amateur, son coté bricolé, ludique. Les gens aiment les nanars parce qu’ils se marrent mais moi ça me donne clairement envie de faire des films ! Certains diront qu’il s’agit de la culture DYI héritée du punk, donc c’est surement aussi pour cette raison que je suis attiré par ça.

 

C’est quoi d’Edam Edam ?

A la base c’était un duo que je formais avec un ami à moi, Benjamin Roy. C’est un projet qu’on a commencé quand on était à la fac de musicologie. Très vite nos chemins se sont séparés, notamment parce qu’il avait un métier trop chronophage et que c’était devenu dur de se capter. C’est donc devenu moi en solo et c’est la formule qui reste aujourd’hui. J’aime bien dire que c’est du punk-folk parce qu’il y a l’esthétique punk et surtout, il y a la philosophie du genre : je ne chante pas super bien, je ne force pas mon accent anglais, je garde un accent volontairement francisant, tout est enregistré chez moi avec mes instruments et c’est vraiment le prolongement de ce que je fais en BD. Il y a des paroles de cul, beaucoup de blagues absurdes, de structures désordonnées. Il y a beaucoup de pastiches aussi. C’est un truc que j’aime beaucoup, et qui va du zouk au métal. Je m’amuse avec les codes comme je le fais en BD. C’est une pure récréation, un vrai amusement. Ça existe depuis 14 ans bientôt. C’est très niche, peu de gens aiment bien et ça me va.

A l’écoute, je l’ai plus identifié comme du rock.

Ça dépend du point de vue. J’aime bien la guitare et à partir de là, j’ai appris en autodidacte les autres instruments à cordes : basse, ukulélé, etc. Comme j’ai écouté pas mal de musique punk, je voulais faire quelque chose qui tende vers le genre sans que ce soit caricatural, je ne voulais pas faire du NoFX. J’aurais aussi pu me tourner vers les machines mais même s’il y a certains morceaux d’électro que j’aime bien, je trouve qu’elle correspond à une culture trop mainstream. Sans juger la musique en elle-même ou son public, tous les bars dans lesquels je jouais avec Edam ont fermé pour ne programmer que des DJ sets. Aucune envie de m’y plonger, c’est trop loin de moi. Aujourd’hui quand je regarde des streamers de jeux-vidéos parler musique, la majeure partie écoute soit de la pop, soit de l’électro et quand tu essayes de leur dire qu’il y a une guitare dans un de leur morceaux, ils te regardent connement au prétexte que le rock c’est un truc de vieux cons. C’est relou. Je trouve ça presque beau aujourd’hui de faire de la musique avec ma guitare. Chacun ses marottes. J’essaie de faire la musique que j’aurais aimé écouter ado.

Dix ans après, tu te vois comment dans le monde de la BD ?

Toujours marginal. Je vis mieux avec ce statut même s’il y a des jours ou j’ai l’impression de ne pas réussir à exister autrement qu’avec une blague ou en offrant mon cul ah ah. 98% du temps c’est génial et 2% du temps, tu te sens seul, il faut quand même le dire. Wolcano, aucune autrice ou auteur n’en a parlé. Ce n’est même pas un jugement, c’est purement factuel. Je n’ai jamais été inclus dans le milieu. C’est peut-être ma faute, peut-être que j’ai un trop sale caractère mais de fait, j’ai décidé de ne plus faire de mondanités. On m’a traité d’asocial, ce n’est pas vrai. C’est juste que je ne me sentais pas accepté. Chacun fait la lecture qu’il veut, ce n’est pas à moi de le dire, le fait est que dès que je sors une BD, personne du milieu n’en parle. Je n’appartiens pas à une scène en particulier, je me retrouve dans plusieurs genres. Faire de la BD, c’est mon métier avant tout. Jusqu’à il y a quelques années, j’aurais aimé être reconnu par mes pairs. Au début, je m’imaginais naïvement me retrouver dans une bande à partager milles anecdotes donc ça m’a énormément peiné de ne pas réussir à trouver ma place. Maintenant je vieillis et je vais prétentieusement citer Shakespeare mais : « ce qui ne peut-être éviter, il te faut l’embrasser. ». Ça ne sert à rien et je ne veux pas forcer les gens à devenir mes potes. Je ne veux pas courir après quoi que ce soit, si je suis jugé trop radical ou pas assez, aucun problème, chacun son libre arbitre, je suis en paix avec ça. Il y a quand même plus grave. Je me lève le matin en me disant que j’ai de la chance de ne pas faire de la BD en pleurant parce que je me sens exclu.

Shyle Zalewski // Contre-Exemple aux éditions Lapin X Pantypop
https://librairie.lapin.org/fr/gargouilles/1258-contre-exemple.html

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