BEAK >, Moondog, Can, Philip Glass, Stereolab, Silver Apples, Emperor Machine… A elle seule, la biographie qui accompagne ces jours-ci la sortie de DRAME, nouveau projet de Rubin Steiner et de son groupe casqué comme s’il partait au Vietnam combattre l’ennemi avec du kilowatt teuton en guise de grenade, est un abécédaire qui devrait donner envie à quiconque refuse le diktat radiophonique de l’écouter.
« Je n’y comprends pas grand chose. Moi quand il n’y a pas de paroles j’ai beaucoup de mal… Il me faut au moins une mélodie! » (Une journaliste du magazine Glamour, à propos de DRAME)
DRAME, le disque comme le groupe, s’il s’écrit en majuscule, l’est aussi par son symbole. Composé par des quadras pour la plupart salariés tous revenus des mirages de l’industrie du risque, cet album est dans son essence même un best-of de tout ce que l’on a envie d’écouter en 2015. ON, c’est évidemment vous et moi. Quelques autres aussi, à commencer par ceux qui n’avaient pas l’âge d’entendre John Carpenter tapoter des claviers, mais qui ont eu le temps de prendre le train Zombie Zombie, dans cette époque décomplexée où tout peut désormais se mélanger, s’agréger, se coller, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire.
Là, c’est pour le meilleur. Zéro concession, zéro compromis. Huit morceaux instrumentaux coiffés pareil, aucune tête ne dépassant des rangs, du kraut-disco militaire dont la seule consigne est finalement de ne pas en avoir. Composé comme un heureux accident – le disque n’aurait pas du sortir – il est pour paraphraser De Gaulle découvrant Harmonia à Baden Baden une libération, autant pour l’auditeur que pour son auteur, démissionnaire en juin dernier du Temps Machine, SMAC de Tours, où il occupait jusque là le poste de programmateur exigeant – trop pointu diront certains – et qu’on retrouve ici aux manettes d’un vaisseau incontrôlable qu’on aura bien du mal à décrire en détail tant l’ensemble est un bloc monophonique idéal pour vos soirées dansantes en compagnie d’amis aussi à l’aise en viol en série qu’en pas de danse. En somme, un disque à ranger au rayon Spiritualité du corps pensant, et qui mérite qu’on y attarde avec le principal intéressé, capable après 17 ans de carrière et à un âge où tant d’autres baissent les bras de rebattre les cartes sur un grand tabula rasa. Pour l’amour du disque.
Dans quelle mesure la fin du Temps Machine et le début de Drame sont liés ? Est-ce un parallèle hasardeux ?
Tout a commencé sur mon dernier album [« Discipline in Anarchy », NDR], que je n’arrivais pas à terminer ; il m’a fallu presque 3 ans pour le sortir car je n’avais le temps de rien. D’où le nom Drame pour ce nouveau projet, parce qu’à l’époque ça me semblait dramatique d’être coincé dans un vrai boulot, avec l’impression qu’on ne sortirait plus jamais de disque, et que tout ce qu’on composait était destiné à rester dans les cartons. Or c’est justement parce que pas mal de choses se sont arrêtées cette année que Drame a pu enfin voir le jour. Sauf qu’au départ les compositions de Drame c’était un peu le signe que ça serait la fin de la musique pour tout le groupe. On était trois à bosser au Temps Machine, composer ces morceaux pour nous c’était truc récréatif ultime, sans arrières-pensées, un truc radical genre plus rien à foutre. On était persuadé que tout était foutu, qu’on ne ferait plus jamais de concert, plus jamais de disque, parce qu’on était tous coincés dans nos boulots.
Et contre toute attente, à commencer par les tiennes, le disque sort. Quel a été le déclic ?
La fin du Temps Machine, en juin dernier, et le fait de récupérer du temps pour soi. Sachant évidemment qu’on sait très bien que ça ne remplira pas le frigo, mais que malgré tout c’est le truc le plus excitant qui nous soit arrivé depuis longtemps.
Si l’on compare Drame à ta discographie, et pour reprendre un terme à la mode, on a l’impression que tu t’es peu à peu « radicalisé », que tes goûts, tes influences, sont allés vers des choses dites plus « pointues » au fur et à mesure que tu approchais de la quarantaine. Viser l’inaccessible, plutôt que le consensus.
Euh, ouais. Il faut avouer que cette fois je n’avais pas de filtre auto-censure ; les morceaux de Drame sont le résultat d’un vrai boulot collectif, on s’est tous laissé emporter par la radicalité. Comme ce n’était pas sensé sortir, il n’y avait pas de pression extérieure, ni la peur que le disque ne passe pas à la radio. Le concept, si tant est qu’il y en ait un, c’était un truc de transe ; arriver à savoir combien de temps on pourrait jouer une même note sur le même pattern. On a commencé par s’enfermer voilà 2 ans et demi dans un local de répet’ pour créer des impros ; conclusion six heures d’impro dans lesquelles j’ai pioché des segments pour jouer un ciné-concert l’année dernière au Louvre. Et comme on était hyper content de ce truc, on s’est simplement dit qu’il fallait le mettre sur bande pour s’en souvenir, être capable de la réécouter au seul motif qu’on la trouvait bien.
Drame, le nom du groupe, c’est donc le reflet de vos vies personnelles à un instant T.
Oui. 2014 c’était pour nous une année bien pourrie. Et 2015 a commencé pareil avec les attentats de Charlie qui mine de rien m’ont bien, parce que Luz est un vrai pote. Sans parler de l’ambiance délétère avec les médias qui nous disent que tout va mal, que c’est la mort, que c’est la guerre. Le nom Drame était un bon écho à l’époque alors qu’au départ c’était notre situation personnelle qui était dramatique.
Sans dire que tu ai déjà vendu ton âme au diable – ce qui sera dur à prouver, as-tu déjà eu l’impression qu’avant tes disques étaient fait pour « marcher » quand Drame annonce à l’inverse une envie de lâcher-prise ?
Mmmm… comment dire ça. Sur mes anciens disques, je crois que j’ai toujours été d’aller du côté de la couillonnade, parce que c’est toujours plus facile de ne pas trop mettre d’ambition dans un disque quand tu n’es pas bon techniquement, ou que tu sais que tu ne vas pas révolutionner l’histoire du rock. Sur le dernier en date, « Discipline in Anarchy », j’ai peut-être eu plus d’ambition que pour les autres, artistiquement, et sur Drame la question ne s’est même pas posée puisque ça ne devait pas sortir, ah ah !
Dans quelle mesure des groupes comme Zombie Zombie ou Beak >, qui arrivent à imposer un manifeste esthétique en dépit d’une musique dite « invendable », t’ont donné la foi dans ce genre de projets ?
Les membres de Zombie Zombie, on les connaît depuis le début, mais Beak > me semble plus radical dans son manifeste esthétique, et ça nous a plus marqué. Enregistrer des morceaux en une seule prise sans trop se prendre la tête, essayer de capter l’urgence, ce sont des choses qui nous parlent. Et puis voir trois fois Nisennenmondai en cinq ans [dont deux fois au Temps Machine depuis 2011], ça nous a donné envie de jouer longtemps la même note.
Pardon du parallèle, encore, avec ton ancien travail au Temps Machine, mais on t’a beaucoup reproché, notamment chez les instances municipales, ta radicalité en tant que programmateur. Drame est-il une sorte de gentil bras d’honneur à ces critiques ?
Il n’y a aucune vengeance dans ce projet, mais la volonté d’affirmer une intégrité. Avec un résultat qui me satisfait cette fois complètement, car même si dans ma discographie tous les albums étaient selon moi radicaux, ça ne m’a pas empêché de me retrouver sur des compilations Hôtel Costes et toutes les conneries du genre. Mes premiers disques, c’était déjà de la musique expérimentale, sauf que j’étais encore très écoutable. Et écouté. Ce qui était très surprenant pour moi. Mais là encore, avec Drame, pour moi c’est de la musique facile, qui groove et qui danse. C’est marrant : la semaine dernière j’ai fait une conférence sur Sun Ra et il y a quelque chose de similaire dans la démarche ; sans faire de terrorisme, l’envie de réveiller les gens.
Et justement : Yoko, le morceau qui ouvre l’album, est-ce une dédicace à Ono ?
Complètement. Curieusement [enfin pas tant que ça, NDR] pas pour sa musique, mais pour son implication dans le mouvement Fluxus qui m’a beaucoup influencé pendant l’enregistrement de l’album. Et c’est aussi du fait que le morceau est né d’une impro au Louvre pendant une projection d’un film de Yoko Ono, avec uniquement des fesses en gros plan à l’écran pendant 5 minutes.
Drame // Drame // Platinum Records
http://www.platinumrds.com/fr/artiste/drame
6 commentaires
Mouais….
Bien que R.Steiner me soit sympathique j’ai pas franchement été convaincu. Que lui comme beaucoup d’autres se raccroche au wagon du Krautrock me déçoit un peu surtout quand on emprunte le plus petit dénominateur de ce « style » (répétition du même motif, etc…).
Sinon je ne savais pas que les disques avait une bio pour accompagné leur sortie.
Et puis la citation de Glamour,
vous avez craquer ou quoi?!!
Tim
Cher Tim,
Faut pas prendre tout ça aussi sérieusement, ce n’est « que » de la musique. Et puis le krautrock tu sais, c’est juste un mot piur ranger des trucs. Nous on s’en fiche pas mal de tout ca.
Bisou
Rubin
Comment que ça va être super le 27 novembre!
Cher Rubin ,
moi aussi je m’en tamponne les aisselles des étiquettes mais l’article commence avec l’artillerie lourde derrière une forteresse de références. »Zéro concession, zéro compromis » là on s’attend à du sérieux et pis non, musicalement pas grand chose.
Peut-être que le décollage promotionnel se fait sur une piste trop grande pour un si petit avion….
bien à toi
Tim
Tu as probalement raison. Merci pour ton analyse.
Et merci (sincèrement) d’avoir pris le temps d’écouter l’album, et le temps d’écrire ces commentaires.
Je vais juste insister sur le fait qu’effectivement, nous avons écrit et enregistré ce disque avec « zéro concession et zéro compromis ». Ce qui, d’une certaine manière, touche là effectivement à une notion assez floue de la chose artistique qui nous mène. Il est évident que, exemple au hasard, Christine & The Queen doit elle aussi écrire sans concession ni compromis. Tout cela n’est qu’une histoire de point de vue, donc. Nous avons déçu tes attentes, et nous en sommes désolé.
Heureusement que tout ça n’est « que » de la musique.
Bonne journée.
Rubin