« En 1967-68, les stations périphériques diffusaient du Hendrix et pas forcément les titres les plus fastoches, explique Burger à Frédéric Peguillan (Télérama). En Alsace, on captait aussi les radios des bases américaines d’Allemagne. Du rock’n’roll nous arrivait par là. Si bien que moi, dans mon bled, à Sainte-Marie-aux-Mines, j’écoutais la même chose qu’un Portoricain du Bronx. » C’était donc la fin des années 60 et les choses, contre toute attente, se sont déroulées de façon extrêmement étranges. Comment l’étude de la philosophie, finalement abandonnée, a alimenté une œuvre « autour de la guitare » qui la fêtait en même temps qu’elle l’enterrait, c’est ce que nous allons voir, après avoir regardé. Le clip de Hard Times, de sieur Rodolphe, juste pour vous.
Ni Ouï FM ni Nova. Il y a un peu de Lee Perry dans cette façon de se perdre autour de l’esprit de la musique, de pisser sur les bandes magnétiques et finalement de foutre le feu au studio pour tenter de tout reprendre à zéro. L’œuvre de Burger, puisqu’il s’agit bien de cela, compte une petite vingtaine d’albums avec le groupe Kat Onoma d’abord, puis une série d’albums en solo, un huitième aujourd’hui, des dizaines de collaborations avec des artistes qui semblent former une famille imaginaire, de Jeanne Balibar à James « Blood » Ulmer, Françoise Hardy à Olivier Cadiot, Rachid Taha à Alain Bashung. Une œuvre qui, au premier abord, ne paie pas de mine mais ensorcelle celui qui s’approche un peu trop près et tombe sous le charme, alimentant ainsi une discrète légende du roman national sous forme d’un malentendu, littéralement dans cette agglutination du « mal » et de « l’entendu » qui semble claquer comme le lointain écho de l’inspiration alsacienne, dans la vallée (« ça ne vous dit rien/ça ne vous rappelle rien ? c’est l’heure où tout le monde est vieux »).
Malentendu qui apparaît clairement à l’origine avec la discographie de Kat Onoma (1988-1995) dont l’idée, les références apparaissent trop mystérieuses parce qu’elles se perdent dans cette Amérique fantasmée d’un grand Est où s’entrechoquent patois de frontière et musique improvisée, harmonies ténébreuses et rêve de l’étranger : une ligne du blues des Vosges… Rien de très lisible à une époque où un groupe français qui s’exporte est toujours un peu latin (Mano Negra, Rita Mitsouko) ou doit s’inscrire dans une tradition qui forcément, fatalement vient du Nord de l’Angleterre. On pourrait pointer la prétention un peu pète-sec des médias engoncés dans des distinguos vaniteux (mainstream ou presse indépendante) ou même la structure de ses médias nationaux trop vite orphelins de ses petits cousins (Radio 7, Radio Gilda, La voix du lézard) et ne laissant comme seule alternative que celle de choisir entre Nova et Ouï FM.
« Tu ferais mieux de nous pondre un truc qui marche. » Au final, Kat Onoma, présenté comme l’archétype du groupe culte (sic), finira retenu par une laisse trop courte. Peu soutenus en France et paralysés dans leur expansion transfrontalière, les Alsaciens vendront moins de 50 000 albums. Le groupe poursuivra dans une relative indifférence, souffrant d’une réputation d’intellectualisme alors inacceptable à une époque où il fallait bien distinguer la sphère rock de la culture savante. Où, plus exactement, alors que s’annonçait le grand basculement vers la culture du divertissement, se manifestait alors à cette occasion une nouvelle crispation de cet anarchisme de droite, paillard et populiste où finira par converger une certaine idée de la scène indépendante française et un nouvel état d’esprit du capitalisme, façon promo 1986 de Sciences Po (Difool et Frédéric Beigbeder, Jean-Luc Delarue et David Pujadas…). Kat Onoma nourrissait donc aussi la suspicion et aggravait sans cesse son cas dans cette façon de douter du rock’n roll, en n’en faisant une affaire qui se joue « à la limite » au sens où il n’est peut-être plus possible de pincer une guitare sans glisser dans la parodie (« Allez, continue comme ça, continue comme ça » écrivait Burger pour le Bashung de « Fantaisie militaire » dans Samuel Hall, dans lequel le même Bashung ajoutait « tu ferais mieux de nous pondre un truc qui marche, mon garçon »). Tout au long des années 2000, l’amour de l’instrument quintessence du rock prendra ainsi une tonalité plus ironique, le guitariste aimant attraper de vieilles grattes en studio et finalement jouer dessus. Lors de l’enregistrement de »Good », il choisira de finir les parties de guitare un peu au hasard, dans l’entrepôt d’un vendeur collectionneur tellement obsédé par les objets qu’il possède qu’il ne peut finalement en faire le commerce. Toute une métaphore qui grippe un peu plus le storytelling du Musée des guitar heroes. « Quelque chose s’est creusé » dit-il dans « Happy hours » avant d’avouer qu’il ne se sent pas/plus dans la peau d’un mec « sérieux », d’un guitariste de concours.
« My rifle, my poney and me. » A écouter, réécouter ce « Good » (mais si tu vas bien je t’assure), notamment sa version vinyle qui offre un premier enregistrement de Samuel Hall, on reste un peu interdit par ce voisinage créatif avec ces illustres fantômes (Georg Büchner, Samuel Beckett, Mahmoud Darwich) ; comme si un disque de Burger, se travaillait ou plus exactement travaillait (l’auditeur), »Good » tenant le pari de se tenir face au vide (« je suis celui qui n’entend plus rien ») à l’image de la pochette du même vinyle, retravaillé de gris à partir du CD. Ombres et paysages informes, amoncellement de pierres et de végétaux morts où apparaît une couronne en papier, ultime archive d’une ultime présence humaine. My rifle, my poney and me.« Good » progresse ainsi dans univers spectral et violent, aux phrasés ombrageux et reptiliens, parfois sinistres, parfois envoûtants (la voix de Sarah Murcia sur Cummings) comme si le diable avait voulu murmurer un ode aux vilains autour de cette guitare anamorphosée qui lentement perd en présence, s’évanouit dans le décor final d’un morceau somnambulique. Au final, on part sur ce thème de Büchner, Lenz, où il apparaît que ce qui s’apparente à de la poésie peut faire reculer l’enfer de la psychose jusqu’à son extrême limite, malgré le haut-le cœur, malgré l’imminence d’un désastre dont on perçoit trop bien, là maintenant, tout de suite, les ombres dansantes : ceux et celles qui marchent vers le néant aux frontières de l’Europe et qui trouvent ici le répit onirique dont se nourrissent les fantômes du rock’n’roll.
Rodolphe, comment as-tu grandi avec le rock’n’roll, avec la guitare ?
Déjà, je ne suis pas du tout dans l’état d’esprit du guitar hero. J’ai très vite tourné le dos à la virtuosité si tant est que je pouvais y accéder. Mais, en fait ça tombe bien parce que ça ne m’intéresse pas du tout. La virtuosité qui me fascine, c’est celle des mecs qui sont aussi capables de ne plus savoir jouer, d’avoir de gros blancs… J’ai vu James Ulmer tellement génial, tellement immense, arriver sur scène et gratter comme un débutant, à chercher le début de quelque chose… Ça me touche beaucoup cet aller-retour avec le néant, c’est la direction que j’ai choisie, commencer par désapprendre pour entrer dans ce truc démocratique de la guitare ; tu pars de ton inspiration, tu bricoles tes accords, tes désaccords, tu fais ton truc un peu primitif…
Aujourd’hui, on a l’impression que ta musique enregistrée est un peu orpheline de tout ça, que la guitare s’absente en studio pour finalement ne réapparaitre qu’en live…
Il s’est passé quelque chose de l’ordre du sacrifice, en effet. Ça date de l’enregistrement de « Meteor show experience » (1998) durant lequel j’ai délibérement balancé des pistes entières à la trappe. Je travaillais avec Doctor L et tous les deux, on est allé très loin dans le renversement de ce qu’on peut attendre du rapport à la technique. On était en studio lorsqu’on a reçu l’un des premiers Pro Tools qui venait d’Irlande, le cadeau du Père Noel tu vois… Et d’ailleurs, ça a été l’orgie… On était comme des gosses qui poussaient les possibilités offertes sans réfléchir, en abusant de la chose. C’était carrément du live avec des rythmiques dépitchées… Bref, du coup je ne savais pas trop comment « jouer » cet album en live, on n’avait rien de prévu et puis finalement c’est venu… J’ai sorti une partition qui faisait remonter les guitares et qui a un peu tout bouleversé. On a lancé une série de concerts et je crois que je n’ai jamais pris autant de plaisir sur scène. Une impression d’indestructibilité. Je voulais partir à Londres, pour vraiment casser la tête des Anglais !!! On avait un son tellement incroyable !
Et puis ?
Et puis bon ça s’est arrêté net comme d’habitude, la maison de disques a fait faillite sans doute, je ne sais plus.
Good, le premier titre du nouvel album poursuit cette idée d’aller loin en studio.
Oui, et tout vient donc de « Meteor », de cette idée de réduire délibérément la guitare, de l’intensifier par la raréfaction. J’aime ce son qui devient elliptique, l’envie qu’il y ait un passage de relais avec ce qu’il se passe autour. C’est toujours l’idée du blues, la guitare qui parle avec la voix… Moi, j’ai encore du mal à chanter sans guitare. Mais bref, ce morceau, je l’ai composé à partir d’une archive incroyable dans laquelle Samuel Beckett donne des indications à un acteur en train de répéter l’une de ses pièces. J’ai bossé là-dessus, je cherchais le groove dans la voix de l’acteur. Ça a donné une maquette qu’on a commencé à défaire en studio pour la reconstruire, l’assouplir rythmiquement. Christophe Calpini (compagnon de route de Bashung, de Marc Ribot…) programmait ses sons, ses trucs à lui, des frottements de coquillages, des sons des cordes anamorphosés… Et du coup, on a fini par jouer avec Alberto Malo à la batterie et Julien Perraudeau aux claviers. Au fond, c’est un peu l’histoire de l’album.
« J’étais quand même tendu à l’époque de Kat Onoma »
Qu’est-ce qui te pousse à retravailler ainsi les voix, remixer des couches et des couches ?
Pourquoi je fais ça ? Bah, je ne sais pas… Je trouve ça super émouvant, et un peu chamanique aussi. C’est quelque chose que j’ai développée avec Olivier Cadiot, notre travail avec des voix échantilllonnées. Au début, on faisait ça avec nos voisins et aujourd’hui ça devient… Je dirai que c’est une façon de lutter contre la mort, de repousser l’idée de disparition… Faire naître et renaître ? C’est ce qui me fascine dans la musique justement, cette possibilité de créer un état de permanence du monde ; pas de passé pas de présent…
C’est aussi ce que tu fais avec Eliot dans « Waste-Land »… D’ailleurs on peut citer T.S Eliot… « hollow men/Stuffed men/leaning together/dried voices, when/we whisper together… » : « Nos voix desséchées, quand nous chuchotons ensemble ». Dans le même style, il y a aussi ce texte autour de la voix d’Edward Cummings (1894-1962, poète américain).
J’ai procédé un peu différemment pour le coup, en cherchant à décalquer le dessin mélodique du morceau de la voix de Cummings. J’ai tenté d’exhumer l’harmonie implicite que je percevais sous le grain de la voix. C’est une sorte de mixage et ça donne un truc un peu vertigineux, on a l’impression que Cummings chante sur mon morceau alors qu’en réalité c’est l’inverse, tout est fabriqué à partir de sa voix.
Et puis ailleurs, sur Lenz qui clôt l’album, juste ta voix quasiment nue… l’histoire d’un type entre la vie et la mort, une sorte de somnambulisme cold wave.
C’est une histoire inspirée du journal du pasteur Oberlin qui avait recueilli ce Lenz, un proche de Goethe, dans la vallée de la Bruche, dans les Vosges, pas très loin de chez moi. On est alors en 1777. Büchner qui est en exil à Strasbourg reprend cette histoire en 1835 et en fait un grand texte sur la folie, l’histoire d’un personnage perdu, dans l’agitation et le délire… C’est un poète qui marche dans la neige en déclamant, qui se recouvre le visage de poussière avant de se jeter dans l’eau glacée. Le texte est court, il est devenu culte aujourd’hui… Je l’ai composé pour une performance en 2010, dans cette ambiance de primo romantisme allemand. Et puis un peu par hasard, il s’est retrouvé dans l’album.
« En Belgique, en Suisse, on ne demande pas aux artistes d’être dans un style. Personne n’a jamais fait chier les Young gods ou dEUS ! »
Alors justement, si on reste sur les voix, il y a un drôle de ton dans Providence, Happy hour.
Au début, j’ai eu du mal à trouver le ton juste… Je cherchais à dire tes trucs méchants avec douceur et j’en faisais un peu trop alors qu’il fallait éviter de donner une direction franche, de tomber dans le pathos… Alors, j’ai essayé de faire en sorte que tout soit contredit en permanence dans les intonations… Une sorte de chaud froid vocal qui reste un peu constant dans le disque.
Et Samuel Hall, que l’on retrouve sur la version vinyle.
Samuel Hall, c’est un peu le le bad boy blanc, le Stagger Lee acariâtre et parano. Cadiot m’avait lancé dessus en mode cut-up. Il avait proposé un truc de Jim Thompson : « je suis parti à 15h30, j’étais fatigué… » Ça a commencé comme ça, j’ai fait le morceau et bon, l’histoire c’est que je le sentais pas du tout avec Kat Onoma. Je ne pensais qu’à Bashung et de façon totalement extraordinaire, ça s’est produit, il a intégré le morceau in fine dans « Fantaisie militaire » tel quel ! J’y croyais pas. C’est un morceau que je reprends assez souvent sur scène, en hommage donc en fait je reprends un truc d’Alain que j’avais fait avant… Tu vois c’est comme si quelque chose de l’origine se perdait. Je me retrouve souvent dans ce genre de situation.
Tu reprends également le Family Dingo de Kat Onoma. Qu’est-ce que tu dirais du groupe aujourd’hui ? Sachant qu’il t’arrive de jouer avec Philippe Poirier, et d’y revenir un peu.
C’est marrant, on parle de « Good » et de son côté ténébreux, et de tout ce que j’ai tenté de faire pour éviter d’être un peu trop explicite, un peu trop « gothique » en quelque sorte; mais je me dis qu’avec Kat Onoma, je n’aurais peut-être pas eu cette nonchalance. J’étais quand même tendu à l’époque, on était à la recherche d’un son fantasmé, qu’est–ce qu’on peut encore dire, est-ce que l’on peut encore jouer du rock… Donc avec Kat Onoma, il y avait un peu de pose ; ça pouvait paraître sérieux même si au fond non, c’était pas ça. L’expérience du groupe a été super… On avait juste l’impression d’être isolé… J’étais un peu en colère : Téléphone Indochine, Noir désir… Mais bon, on entrait dans aucune case française. Avec les médias ça a été dur, à partir du moment où Nova a abandonné le rock, on a perdu ce qui aurait pu être un « Couleur 3 » français (chaine de la Radiotélévision Suisse)… les Inrocks ben, je crois qu’ils ne comprenaient pas du tout les racines américaines du projet, ils étaient branchés sur l’Angleterre, essentiellement. L’alternatif c’était pas nous, l’underground c’était réservé aux artistes étrangers… En Belgique, en Suisse, on ne demande pas aux artistes d’être dans un style. Personne n’a jamais fait chier les Young gods ou dEUS ! J’ai vraiment un regret par rapport à l’international : on aurait pu cartonner mais voilà c’était juste pas possible à l’époque. Aujourd’hui on vit ça beaucoup mieux, Daft Punk est passé par là… Tu écoutes ce que fait Cheveu au Saraha avec Doueh, c’est génial. On est tous beaucoup plus libres.
Rodolphe Burger // Good // Dernière Band [Pias] En concert le 30 novembre au Trianon (Paris)
12 commentaires
pfff j’irais bien le voir en concert mais de là à me trainer au 104…pas la force de me rendre en plein quartier saturé de parvenus « de gauche » qui vont mettre leur gamin dans le privé…
Une autre date au Trianon, mais ce sera le 30 novembre …
je prends !
Gonzai s’est mis aux faux commentaires ?
pardon ? je ne suis pas un robot man !
ah bon.parce que tu cliches quand même. Même moi j’aurais pas osé.
Anvers Pigalle c’est pas pire? Oublie les banques.
Oublie tout.
oui tu as raison, Anvers Pigalle tu as les touristes en plus… purée on est dans la merde.
Les touristes? Ils s’accrochent au Sacré Coeur et ils ont raison.
Les parvenus y sont venus et ont vaincu sur les perdus.
Le fleuve est là où il y a des fesses
Prend le colimaçon jusqu’au sommet
Yaura plus de mais…,juste des maçons,
Éjaculons pour que tout cela cesse.
Poème néo bleu pour noéz rouges.
Beef Burger or Veg ?
#DaddyCouder
théo luhaka est un BOUFFONNE
chaude pisse press aucun des sociaus!? ne se presentera aux legislatives, y’a courant d’air ? !