Depuis plus de trente ans, une figure européenne méconnue œuvre à la destruction de l'icône rock'n'roll avec ses chansons et son label, Voodoo Rhythm Records. Miraculé ayant retrouvé la voix grâce à « une incarnation divine sous les traits de Screamin’ Jay Hawkins », le Révérend est aussi ce passionné de catch qui a rendu le rock'n'roll à ses propriétaires : les damnés, le fans de bruit, de blues et de mauvais goût. Rencontre avec l’homme le plus cool de Suisse.

On imagine souvent le rock’n’roll comme une musique figée, victime des fantasmes de son public vieillissant et des stéréotypes qui le cristallisent en un objet marketing. Tout ça, c’est sans compter sur les visions quasi célestes du Reverend Beat-Man. Sans Voodoo Rhythm et son fondateur, qui aurait pu se targuer d’écouter du surreal folk blues gospel trash, du cajun-core, ou encore du sexually frustrated teenage blues punk ? Derrière ces appellations barbares, des tonnes de groupes évangélisés sur le label du Révérend : Bob Log III, Pirate Love, Roy and the DMC, King Khan and the Shrines, Movie Star Junkies, The Monsters, Delaney Davidson, The Come, etc. Les intitulés à rallonge en disent long sur la came du catalogue. Insaisissables, les groupes Voodoo sont fabriqués dans le même moule, tous symboles d’une musique souvent dénigrée mais jamais domptée et, bien souvent, sans compromis. Ainsi, le jeune cadre moyen fan des Rolling Stones n’écoutera jamais Voodoo Rythm Records. Et comme le dit si bien Beat-Man : « If it’s too loud, your’re too old. »

Pourquoi avoir décidé de troquer votre titre de Lightning Beat-Man contre celui de Reverend ?

Lightning Beat-Man, c’était un alter ego. Je suis Beatman Zeller, de Bern, en Suisse. Dans les années 80-90, j’ai découvert le catch mexicain (lucha libre, NdlR) et me suis acheté un masque de combat. Une fois sur scène, je devenais ce one-man band, je me battais contre moi-même, et je gagnais à chaque fois ! (Rires.) Ce masque se nourrissait de ma personnalité, devenait de plus en plus taré, et après dix ans de Lightning Beat-Man, mon corps était complètement ravagé. C’est là que j’ai dû changer de nom pour devenir le Reverend Beat-Man.

Est-ce que le Reverend Beat-Man a une mission particulière sur Terre ? Avec la musique, je veux dire ?

Oui bien sûr, c’est l’amour ! L’amour, y a rien de mieux.

Donc Lightning Beat-Man, Reverend Beat-Man et Beat-Man Zeller, ce sont des personnages différents?

Tout le monde a plusieurs personnages en soi. Sur scène, je décide lequel je veux interpréter. Ces personnages font partie de moi, je les lâche sur la scène, mais tout ça, c’est moi.

Et tu ne veux plus utiliser ton masque de combat…

Je ne ressens plus le besoin de me cacher derrière un masque. C’est très facile de porter un masque, on peut explorer plein d’aspects de soi-même sans jamais se découvrir vraiment. C’est extraordinaire comme expérience, de se cacher derrière un masque, de péter un câble, devenir dingue et se mettre à nu… Je n’aurais jamais pu faire ça sans le masque ! Mais maintenant, je n’en ai plus besoin…

À propos du label, Voodoo Rhythm Records, quand est-ce que ça a commencé ?

Dans les années 80. Je travaillais à l’époque pour un label et magasin de disques qui s’appelait Record Junkie, avec lequel j’ai appris comment fonctionnait un label. Et puis, en 1992, j’ai sauté le pas en créant le label Voodoo Rhythm Records.

Dans quelle mesure est-ce que tu arrives à soutenir des groupes peu connus, et qui ne te rapporteront probablement jamais d’argent ?

En fait, c’est vraiment de ça dont il s’agit. Quand j’étais en tournée dans les années 80 et 90, il y avait tellement de groupes qui ne trouvaient pas de label, alors que moi je voulais acheter leurs disques pour ma collection, parce que je suis collectionneur de vinyles ! La seule façon d’avoir leurs disques dans ma collection, c’était de les sortir ! Et c’est toujours ce que je fais ! Je reçois des démos, je vois des groupes, les autres disent : « Oh là c’est complètement dingue ! » Et, en général, je fonce. (Rires.)

Justement, est-ce que Voodoo suit un genre de fil conducteur ? Comment est-ce que vous choisissez vos groupes, est-ce que c’est une question de style, ou plutôt de rencontres ?

Ah, mon fil conducteur… justement, il n’y en a pas. L’authenticité des musiciens, c’est ça qui compte. Ce sont tous des gens géniaux, qui écrivent de super chansons, mais après, le style musical, je m’en fous, s’il y a une ou dix personnes dans le groupe, je m’en fous, qu’ils fassent du jazz, du rock, du punk, du blues, ça m’est égal. Si c’est de la bonne musique, alors ça m’attire, et j’ai envie de les avoir sur mon label. C’est un peu comme d’être dans un marché aux puces et de chercher quelque chose sans trop savoir quoi, et qu’une fois qu’on l’a trouvé, on le veut absolument. Voodoo Rythm, c’est un peu pareil.

J’imagine que beaucoup de gens viennent te voir pour te demander de sortir un album ?

Oui, oui, beaucoup de gens.

Et est-ce que ça marche ?

Oui, parfois ça marche, mais c’est vraiment difficile pour moi car je ne veux décevoir personne. Si quelqu’un commence à jouer de la guitare et à enregistrer sa propre musique, c’est déjà super ! Et c’est très dur pour moi de lui dire que je ne vais pas sortir sa musique sur Voodoo Rhythm Records, même si je la trouve géniale. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus difficile dans la gestion d’un label. Voodoo Rhythm Records, c’est juste une histoire d’émotion, de sentiments. Ce n’est pas mon cerveau qui me guide vers un artiste ou un autre, c’est autre chose, qui ne me laisse pas le choix. Il n’y a rien de personnel, pour ou contre tel ou tel musicien. Si je ressens cette émotion, alors il faut que je le fasse, c’est tout. C’est ma passion.

Est-ce que Voodoo Rhythm veut s’agrandir ?

Ah, oui, bien sûr qu’on veut ! Plus c’est gros mieux c’est, hein ! On aime bien ce qu’on fait en ce moment, mais je pense qu’il y a tellement de monde sur cette planète, des milliards de personnes. Et dans ce que la musique grand public leur apporte, il n’y a aucune créativité, et ça n’amène les gens nulle part. Moi, je veux que la musique soit différente. Quand on allume la radio, ils passent toujours les dix mêmes musiciens, 24 heures sur 24 ! Alors qu’il y a tellement de diversité musicale dans le monde, entre l’Afrique, l’Arabie, l’Amérique, la Suisse, la France, etc. Chacun fait quelque chose de différent, et ils sont tous talentueux, leurs chansons sont vraiment bonnes ! Pourquoi est-ce qu’ils ne passent pas à la radio ? Ça, ça ouvrirait un peu l’esprit de tout le monde sur Terre. Dans nos cerveaux, il y a de la place pour tellement de diversité, de complexité, et pourtant on nous en donne si peu !

Quelles sont vos prochaines sorties sur Voodoo Rhythm Records ?

Alors en ce moment, on prépare la sortie de Hank Haint, un one-man band d’Angleterre, c’est génial. Non, en fait c’est vraiment super-génial. Et puis en septembre on va sortir Becky Lee & Drunkfoot, une fille qui vient de l’Arizona, un one-girl band qui est époustouflant. Le milieu du blues est vachement dominé par les hommes, et puis il y a cette femme qui débarque de Tempee en Arizona, et c’est un vrai orchestre à elle toute seule. C’est du blues, du desert blues. Les chansons qu’elle écrit et qu’elle chante aussi sont impressionnantes, ce sont des histoires complètement déjantées sur sa vie. Son histoire est dingue, et tout est dans sa musique, c’est vraiment très beau. Et puis, en octobre, on va sortir les Heart Attack Alley, un groupe néo-zélandais, deux filles et un gars ; c’est aussi plutôt blues, et c’est aussi très très bon.

Il y a quelques années, vous avez eu des problèmes avec la Sacem et Voodoo Rhythm a été menacé de fermeture. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce qui s’est passé et sur les manifestations de solidarité qui ont en ont résulté ?

Je tiens un petit label, comme plein d’autres, et il y a les droits d’auteurs : la Sacem, Suisa… Il y a des tonnes de sociétés de gestion des droits d’auteurs, et c’est une bonne chose, car elles soutiennent les musiciens et se soucient de leur situation. Mais je leur versais tellement d’argent – alors que les groupes ne touchaient rien – que j’en ai eu marre et j’ai arrêté de les payer ; je préférais donner l’argent directement aux groupes… C’était parfait pour moi et pour les groupes, mais bien sûr les sociétés de gestion des droits d’auteur, ça ne leur a pas plu du tout. Alors j’ai été poursuivi en justice pour 50, 60 millions de dollars, et je ne pouvais pas payer ! Alors j’ai lancé un appel sur Internet : « À l’aide, Voodoo Rhythm Records est menacé de fermeture ! » Et des gens, de partout sur la planète, m’ont envoyé de l’argent, ont organisé des concerts dont les bénéfices étaient reversés à Voodoo Rhythm, et au final j’ai pu payer ! C’était dingue. Quand on tient un label, et qu’on est chez soi, devant son écran d’ordinateur, on ne se rend pas compte du nombre de contacts que l’on crée avec les gens qui achètent nos disques. Et en faisant ça, on obtient tellement de réactions… Nous, on s’est rendu compte qu’on créait quelque chose que peut-être les gens aimaient vraiment. Et ce qui leur plaît c’est qu’on fasse quelque chose de différent, et qu’on ne se limite pas à un style mais qu’on s’intéresse à tous les genres musicaux, et la musique qu’on sort est différente, elle est bizarre… Ça nous a vraiment bien aidé. Mais bon, maintenant, on paie l’argent qu’on doit, et on travaille en étroite collaboration avec la Sacem et la Suisa pour changer le système. Nous, on veut que les musiciens soient la priorité de ces boîtes. Et pas seulement les musiciens du top 50, ni les dix plus grands musiciens, eux sont déjà riches. Nous, on veut que tous les musiciens, y compris les petits mecs qui font genre 300 concerts par an, touchent l’argent. C’est pour ça qu’on se bat en ce moment.

À propos des Monsters maintenant, qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes remis ensemble ?

Ah, mais on ne s’est jamais séparés ! (Rires.) On a commencé en 1986, et on a continué. Au début, on faisait beaucoup de concerts et de tournées, et puis paf, j’ai eu un enfant, paf, j’en ai eu un deuxième, puis le bassiste a eu un enfant, le batteur a eu un enfant… ça fait beaucoup d’enfants ! Ce n’est pas facile à gérer, surtout qu’il ne faut pas mettre nos femmes en colère… Alors on doit s’arranger, trouver des priorités. Les Monsters ont toujours été une priorité, on a toujours gardé un jour de répétition par semaine pour se retrouver, puisqu’on vient tous d’une ville différente mais que le groupe est basé à Zürich. Ça, avec les tournées, il y a toujours eu beaucoup à organiser. Mais sinon je m’éclate vraiment avec les Monsters, c’est vraiment le groupe avec lequel je préfère jouer.

Les Monsters sont vraiment une référence en Europe… Ça te surprend d’entendre cela ?

Oui oui, je suis très surpris ! (Rires.) C’est vraiment que du punk trash qu’on joue, c’est pas comme si c’était de la musique du Top 50. Je suis toujours surpris que notre musique plaise.

Est-ce que tu peux expliquer ça ?

Non, c’est un vrai mystère, je n’en ai pas la moindre idée… On ne sait pas jouer, on ne sait pas chanter, on ne sait rien faire. Mais bon, ça plaît, alors tant mieux !

Mais vous, vous jouez avec vos tripes !

Oui, mais même si tu joues avec tes tripes, tu peux être très mauvais…

Tu as d’autres choses en cours ? D’autres groupes ?

Non, non, je pense que c’est tout. Par le passé, j’ai toujours eu plein de groupes différents. Mais maintenant, j’ai trois groupes et c’est Die Zorros, les Monsters et Reverend Beat-Man.

Est-ce que tu peux nous parler de Die Zorros ?

Ah ! Oui, c’est un de mes groupes préférés alors que personne n’aime ce groupe. C’est d’ailleurs celui qui se vend le moins bien sur le label. J’y joue de la batterie et c’est vraiment trop cool, c’est n’importe quoi, les concerts sont complètement bordéliques. On ne répète jamais, et même en studio on n’a pas de chanson, on ne répète pas, on ne fait rien du tout !

Alors maintenant, quelques questions sur l’enregistrement des vinyles. Tu sais qu’on a aussi un label, et on trouve que le tien est vraiment un bel exemple. Quel genre de matériel vous utilisez pour enregistrer ?

Ça dépend. On peut faire du numérique comme de l’analogique. D’une manière générale, j’essaie de travailler avec de bons studios, que je connais déjà, et il y en a beaucoup. Il y en a quelques-uns en Italie, il y a Star Track en Suisse, les Toe Rag Studios à Londres. J’aime bien travailler avec de bons ingénieurs du son, des gens dont je sois sûr qu’ils s’y connaissent. Ça, c’est la première étape de l’enregistrement, et puis ensuite il y a la masterisation : une fois qu’on a la version finale de l’enregistrement, on la donne au gars, c’est un procédé complètement différent et ça coûte assez cher. Je travaille aussi parfois avec plusieurs masteriseurs différents. Ensuite il y a l’encodage, qui est aussi très important. En général, après le master, on peut presser le CD, mais si on veut faire un disque vinyle, alors il faut un bon encodage. À Berne, on a de bons encodeurs, les Centraldubs, et aussi en République Tchèque, en ce moment il y a un encodeur qui est vraiment très doué, j’adore son travail, il fait vraiment quelque chose de bien sur le vinyle, le son est très fort, la qualité est super bonne, et même la qualité du vinyle est super bien. J’adore cette plateforme de pressage.

Donc l’enregistrement et la masterisation, ce sont des étapes très importantes…

Absolument. Ça peut être un groupe très trash, peu importe, mais je veux vraiment obtenir un disque qui déchire tout. Tu vois, quand tu le mets sur la platine et qu’il se passe quelque chose, tu es assis dans une pièce et tu es tout à coup transporté complètement ailleurs, c’est ça que je veux faire. Mais c’est aussi beaucoup de travail. Souvent, on se prend beaucoup la tête avec les musiciens sur l’enregistrement. Avec Delaney, par exemple, cela peut durer des mois. Des mois de discussions… sur ce que je n’aime pas, ce que lui n’aime pas… C’est tout un processus. Le réenregistrement par exemple, que ce soit dans un studio ou à la maison, une chose en amenant une autre, cela me prend en général entre un et deux ans de travail avec un groupe, pour un disque. C’est vraiment beaucoup de travail. Et je peux vraiment être très chiant avec les musiciens, je tiens d’ailleurs à m’en excuser auprès d’eux : les mecs, je suis désolé d’être aussi chiant !

Et pour les couvertures d’albums, c’est la même chose ?

Oui, la même chose. Encore une fois, je m’excuse auprès de tous mes musiciens. Si ce n’est pas absolument parfait, je peux vraiment devenir très chiant, ah ah ! (…) Je fais la plupart des pochettes moi-même. Mais après, ça dépend si ça plaît aux groupes ou non. Sinon, il faut qu’ils fassent une autre couverture, ou alors ils trouvent un artiste avec qui je dois travailler et souvent, soit je le vire soit je le pousse vraiment dans ses retranchements. Je peux vraiment, vraiment être tellement chiant ! Ce n’est pas de la méchanceté ou quoi que ce soit, c’est seulement que je veux créer le meilleur produit sur la planète.

http://www.voodoorhythm.com/

Interview réalisée au Binic Folk Blues Festival par Jordane et traduite par Mathilde Ekel.
Écoutez l’émission avec sa playlist sur Casbah-records.com


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