A l'occasion de leur séparation, retour sur le dernier disque des athéniens. Entre nostalgie et regrets: REMember.

Giorgio Vasari écrit, dans La vie d’Andrea del Sarto, l’histoire de  Jules Romains, peintre qui est trompé sur une œuvre qu’on lui présente comme étant de son maître Raphaël. Loin d’être offusqué, il ne l’estime pas moins, comme si elle était de Raphaël lui-même, voire l’aime même plus encore, « car c’est une chose surnaturelle qu’un homme puisse imiter la manière d’un autre d’une façon aussi parfaite ».

Si bien copier est une prouesse, bien se copier relève du génie. C’est à ça qu’on voit un grand groupe : REM fait et refait du REM. REMЗЯ. A chaque album, on crie « REM est mort, vive REM ». Mais crie-t-on encore au génie ? Etude de cas.

Le petit REM illustré pour les nuls :

1. Cultes dès leur premier album.
2. Originaires de Géorgie (pas le pays mais l’Etat américain), ville d’Athens (pas celle située à l’Ouest du pays Géorgie mais bien la ville du comté de Clarke, aux Etats-Unis).
3. Intellos. Donnent peu dans le culbutage de groupies, l’herbe de bison, le pillage de chambres d’hôtel. Préfèrent appeler au vote, tendance gauche écolo. Ont peu engendré, dans les générations d’après, des vocations de rock star. Plutôt des vocations de bibliothécaires.
4. Adulés par des adeptes de trekking hardcore en Suisse romande.
5. Après un pic fin des années 90, sont de moins en moins soutenus par la presse homosexuelle yéménite.
6. Une voix deep throat.
7. Une guitare cristalline.
8. Un bassiste aux bésicles triple foyer.
9. Un batteur qui, en plus d’être affublé d’un monosourcil, ressort vivant d’une rupture d’anévrisme en plein concert.
10. Sont très connus pour ne pas l’être vraiment. En 2007, ont été intronisés au Rock’n’Roll Hall of Fame. Devenus donc immortels. D’ailleurs, depuis, qui a des nouvelles ?

Papy-rockeurs aux tempes poivre et sel : REMember

L’auditeur lambda croit dur comme fer que REM n’a plus rien à lui apprendre, en tout cas, plus rien pour le surprendre. Et il a raison. REM cru 2011, c’est un REM honnête, mais modeste. Si l’on y goûte à deux fois, on sent le raffiné de la robe mais, l’arôme n’étant pas très puissant, les nuances de poivre s’estompent promptement. On a juste eu le temps d’imaginer Oncle Buck gratouillant le nylon de sa guitare, GrandPa Mills à côté, plus intéressé à comparer sa coupe de douille à celle du labrador de Stipe Senior, trop absorbé à lire les derniers messages de la page Facebook de Clarence B. Jones (ancien conseiller et confident de Martin Luther King ayant déclaré qu’il est désormais temps pour les gens de gauche de rompre avec Barack Obama) pour peaufiner un énième « hit of the century ».

Voilà pour le poivre. Reste le sel. Le nouvel opus en manque cruellement. Comme tous les autres depuis Up. 1998, déjà. Treize ans que les trois brigands, Peter Buck-Mike Mills-Michael Stipe, ont enclenché la vitesse de croisière. Un seul titre, Imitation of life, les a fait réapparaître dans un top 10. Evidemment, l’imitation ! REM se copie parfaitement. Depuis plus de dix ans, les membres de REM sont bien plus que les ombres d’eux-mêmes, ils sont les faussaires d’eux-mêmes (rappelons-nous l’exemple de Bad day, une démo des 80’s, ressortie des cartons pour finir en single dans les 00’s, toute retapée-customisée-bodybuildée).

La poire et le fromage

On sent qu’ils ont envoyé la maison de disques se brosser : on n’ira pas chercher le tube. S’il vient, tant mieux ; s’il ne vient pas, tant pis. Nous, on sortira l’album quand même. Hey, le DG là, tu veux qu’on te la fasse à l’envers façon nos potos de Radiohead ? Non ? Bon, bah, alors, tu mets le nouveau REM pour le 8 mars, un point c’est marre.

Entre 1991 (Out of time) et 1994 (Monster), les ventes du groupe sont estimées à 30 millions d’albums. Entre 2001 (Reveal) et 2004 (Around the sun), les ventes du groupe sont estimées à 3 millions d’albums. Là, le DG pourrait ramener sa poire, mais c’est moi, le narrateur omniscient, qui l’envoie bouler. Omnipotence de l’écrit.

Ici, c’est pas le Figaro, c’est Gonzaï

Vous allez me dire que je défends REM. Bien sûr, je défends REM. Ce groupe n’a pas cessé de nous arroser de pépites trois décades durant, sans jamais plier. Et sans jamais se la raconter. Vous connaissez un songwriter qui assure encore à sa trois centième chanson comme Michael Stipe a pu le faire avec Daysleeper sur Up : “Receiving department, 3 a.m./Staff cuts have socked up the overage/Directives are posted/No callbacks, complaints/Everywhere is calm/Hong Kong is present/Taipei awakes/All talk of circadian rhythm/I see today with a newsprint fray/My night is colored headache grey/Daysleeper”.
Du solo de basse dans The finest worksong aux paroles poussives de All the way to Reno, du kitsch revendiqué de Superman (qui clôt l’album Life’s Rich Pageant… pour l’image, c’est un peu comme finir une thèse doctorale sur une grosse blague de potache) à leur cover du Strange de Wire en Man-size wreath sur l’album Accelerate, j’ai accepté le bon comme le mauvais chez REM. Pourquoi ce masochisme ? Parce que je leur serai éternellement reconnaissant pour des titres comme Country Feedback, Man on the moon, What’s the frequency, Kenneth ?, How the West was won and where it got us. Comprenez : pour atteindre la qualité formelle de Country Feedback sur Out of time, il faut passer par le brainardien I remember California sur Green. Country Feedback, c’est la poésie stipienne at its most beautiful : « We’ve been through fake-a-breakdown, self hurt/Plastics, collections, self help, self pain, EST, psychics, fuck off/I was central, I had control, I lost my head, I need this ». Inégalable ? Non, puisque transcendée sur Monster avec Let me in.

It’s the end of the band as we know it (and I feel fine)

Cinq jours avant la sortie officielle prévue le 8 mars, l’opus est en streaming sur le site NPR. Collapse into Now : bien que ce titre soit pompeux (ils nous ont habitué à pire : Fables of the Reconstruction, en 1985), on découvre des chansons dénudées parfois nues, épurées parfois pures. « Oh my heart, every day is yours to win », comme dit l’autre.

Ça commence par un jeu de mots. Tout pourrait finir sur ce jeu de mots. Heureusement, je suis dans un bon jour et « Überlin », ça reste toujours mieux que « Supermanhattan ». Puis All the best envoie du bois. Enfin, du bois vert. Relativisons. All the best n’est que la petite sœur de I took your name (1995), tout au plus. Sur Walk it back, on devine. Stipe veut faire passer le mot : avec l’âge, il a atteint la sagesse. Et un mot comme « time » signifie quelque chose de si fort pour lui maintenant, qu’il peut se permettre de le répéter trois fois entrecoupé de longs silences tchékhoviens. Respect, papa.

En avril, ne te découvre pas d’un fil. Discoverer est le single de février. Un avant-goût du printemps. L’époque où les jours rallongent. Ma joie d’écouter du bon REM avec. « J’aime ».
Emmanuel Zitnick, l’homme qui murmure à l’oreille des Gibson, me rappelait tantôt qu’il y a une blagounette qui tourne entre gratteux, comme quoi Peter Buck ne sait pas faire un barré (triple lol arrière) d’où ses accords avec des cordes à vide. Pour le coup, sa marque de fabrique nous donne un Blue digne du plus tièdasse do-mi-la-ré qu’est connu la formation. La nouvelle chanson avec Patti Smith ne soutient pas la comparaison avec E-Bow the letter ou si, c’est du sous-E-Bow the letter.  « Je n’aime plus ».

Au final, je ne suis pas surpris que la chanson qui me plaît le plus soit celle avec Peaches : Alligator Aviator Autopilot Antimatter. Je ne vous parle même pas du duo avec Eddie Vedder. Il représente pour moi l’homme à abattre dans le monde du rock.

Bon, bon, voilà. Je n’ai pas pu me passer et repasser l’album en entier. Juste des bribes d’avant-promo et autres teasers glanés çà et là sur le 2.0. Voilà pourquoi je remercie Warner de ne pas avoir envoyé le CD à Gonzaï. Il est vrai qu’il eut été possible qu’il finisse avant le 8 mars dans un bac à soldes chez Boulinier. Il est vrai aussi qu’il eut été possible que je rippe, avant de le revendre, Me, Marlon Brando, Marlon Brando and I, la chanson du dernier album qui fait que je défendrai toujours REM envers et contre tout.

REM // Collapse into Now // Warner
http://remhq.com/index.php

14 commentaires

  1. Super article!
    Cependant, il me paraît important de relever une faute (mineure): L’adjectif « culte », traduction littérale de l’anglais « cult » lorsqu’il est employé dans les arts, pour la musique ou le cinéma, ne veut pas dire « unanimement populaire, encensé par tous », mais plutôt le contraire! C’est en quelque sorte un faux-ami.

    Un « cult band », c’est en fait un groupe que très peu de gens connaissent, et que seule une petite poignée d’initiés apprécie.

    Un groupe ayant vendu des milions d’albums comme REM ne peut pas être qualifié de culte.

  2. [citation] »Je ne vous parle même pas du duo avec Eddie Vedder. Il représente pour moi l’homme à abattre dans le monde du rock »[/citation]

    ah! Je crois que tu te trompes de cible (sourire). Certes Pearl Jam a donné dans le gros rock qui tache, mais derrière un engagement politique à la mords-moi-le-noeud et une tripotée d’albums remplis de fillers bizarres, se trouve également un homme qui à mon humble avis possède un talent certain pour le songwriting. Les chansons « Sometimes », « Nothingman », « Betterman » sont de purs chef d’oeuvres. L’excellentissime « Mirror Ball » de Neil Young (en collaboration avec PJ) est l’un des meilleurs disques des années 90, rien que pour le titre « I’m the ocean » et la BO d' »Into the Wild » n’est pas dégueu non plus!
    Pour moi, l’homme à abattre dans le rock, ce serait plutôt Matthew Bellamy de Muse.

  3. @Manu: merci pour la définition de « cult », je savais pas. Au final, ça s’applique pas mal aux 10 premières années du groupe, apprécié par une poignée (grandissante) d’universitaires, ou REM LE groupe de campus par excellence dans les eighties.
    Quant à Eddie, je peux pas. C’est comme ça, j’y arrive pas. Désolé. Et Muse, beurk itou.

    PS: c’est Jules Romain, pas Romain avec un « s », comme l’écrivain.

  4. @roman: « plutôt des vocations de bibliothécaire » mort de lol

    @manu: +1 pour Bellamy, il est DEFINITIVEMENT l’homme à abattre.

    @both of you: je serais ravi des les voir avec vous dès qu’ils refouleront des planches parisiennes (je n’en suis pas fier mais ils manquent à mon tableau de chasse).

  5. et ben en tout cas le single est une soupasse fm imbuvable.
    Franchement accelerate un poil plus couillu était plus dans le ton
    là sur ce titre, on retrouve les tics de pleurnichard et la douze cordes aseptisée au formol années 90.
    Jamais trop capté le culte autour de ce groupe même s’il y a toujours un truc à sauver de ci de là.
    Ce qui est le plus agaçant c’est cette façon qu’on les fans de nous faire croire que ces mecs ont inventé l’indie, alors que c’était un groupe parmi les autres avec pas plus d’éthique et de visions que la grande majorité des groupes de cette scène dans le début des années 80.
    Ils ont survécu,ils font des stades à best of et sous prétexte que Stipe est intelligent ( et il l’est là n’est pas la question)on doit dire amen, la bonne affaire.

  6. Si REM s’est distingué des autres groupes indés américains des années 80, c’est pas pour une question d’éthique ou de vision (ça c’est de la coquetterie de bloggeur) c’est par des chansons (Talk about the passion, Driver 8, I’ts the end of the world etc…) et des albums, largement supérieurs à la concurrence. C’est une distinction qualitative, pas militante. Un peu comme les Pixies quoi. Et puis après 1998, c’est devenu peu inspiré, souvent (très) chiant. C’est dommage. Ils ont fait de la très bonne musique pendant 2 décennies, c’est déjà ça. J’avais zappé les 2 derniers et je me suis lancé dans « Collapse into now ». Aie aie aie : après 5 titres, j’ai du abandonner.

  7. @Hanchois mariné: méfie-toi, la dernière que j’ai vu REM, c’était dasn un Bercy à moitié rempli, avec le petit gros à lunettes qui présente l’athlétisme sur France 2 à côté de moi dans la fosse. Si c’est pas rock’n’roll…

    @Serlach:c’est vrai qu' »accelerate » était pas mal, ouais, un petit sursaut dans la mélasse de Reveal-Around the Sun-et le petit dernier: Collapse into now.

    @Dada:bien sûr, les chansons. Et pour moi, les lyrics surtout, de Stipe. C’est Cobain qui était super-impressionné par le fait que REM ait su garder un niveau d’exigence, même quand le succès a frappé de plein fouet le groupe avec « Losing my religion ».

  8. [quote]C’est Cobain qui était super-impressionné par le fait que REM ait su garder un niveau d’exigence, même quand le succès a frappé de plein fouet le groupe avec « Losing my religion ».[/quote]

    Cobain trouvait aussi qu’Eddie Vedder était un type génial mais qu’il détestait sa musique, hahaha. Bon allez, j’arrête!

  9. pour l’essentiel d’accord avec cette analyse. Collapse (hin hin) fait regretter Around the sun, disque soul pour une époque qui n’en avait pas besoin. Ici rien n’accroche l’oreille, les liens affectifs n’interviennent pas, le tout semble désinvesti et terne. Quant aux featurings, ils sont censés vouloir dire quelque chose mais le plaisir de la connivence n’agit pas. Les Smiths ont dû sonner comme ça quant Morrissey a tenté de remplacer Johnny Marr par… je ne sais plus qui. La beauté a disparu. C’est triste. Encore pire que le dernier Radiohead.

  10. ch’uis ok avec toi ,Manu ,sur Eddie Vedder..

    (je cache timidement mon exemplaire de Vitalogy sous mon tee shirt , de peur que les gens me jettent du gravier ..)

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