Ô belle Zeffira, tu provoques en moi des sentiments contradictoires. Ta musique, aussi émouvante qu’un mouchoir usagé après une comédie romantique de premier ordre, type Quatre mariages et un enterrement, m’évoque également une synchro de publicité pour voiture, comme ton nom l’indique à demi-mot. Au volant de l’Opel, le cadre supérieur à qui tout réussi. Une belle femme, deux enfants, un chien, un abonnement à Gonzaï Magazine. En un mot, le rêve. Plan large, contre-plongée. En pleine forêt, lui et le véhicule ne font plus qu’un. Il chevauche l’étron d’argent dans un océan de verdure. Le spectateur y voit là un ballet romantique sur une route sinueuse. Une danse du ventre pour lui faire cracher les roupies durement gagnées. Sortez les sacs à vomis, on est en Irlande : le pays des roux et de la bière. Une île sur laquelle y’a tellement rien à faire qu’on passe son temps à boire pour ne pas se suicider.
L’équation était pourtant simple Cat’s Eyes – Faris Badwan = Rachel Zeffira
Rachel Zeffira n’est pas Irlandaise. Elle est Canadienne. Vous me direz, cela ne change rien. Pas faux. Difficile de prétendre le contraire quand on écoute « The Deserters ». Les chansons se ressemblent toutes. Sauf deux, ou trois. C’est peut-être très beau, je n’en doute pas ! C’est peut-être aussi très chiant, et ça j’en suis sûr. Loin de moi l’idée d’abattre cet album, j’aime beaucoup Rachel Zeffira que je connaissais de son adorable duo avec Faris Badwan des Horrors : Cat’s Eyes. Et une fois qu’on a dit ça, on a tout dit. Le problème c’est qu’elle est seule sur ce coup. Adieu la nervosité du grand Faris, adieu les contrepoints vocaux, le grave de son organe, et les sonorités sixties qu’il avait ramenées dans son baluchon de vagabond. Adieu les Love you anyway, I knew it was over et les Cat’s eyes. Adieu le Sunshine girls halluciné, la guitare nerveuse et l’orgue en érection ! Ah cette chanson ! dans le métro, sur les trottoirs de Paris, excité par le soleil langoureux de septembre, c’était quelque chose. Je m’attendais à tomber amoureux à chaque coin de rue. Je voyais la vie en rouge. De Cat’s Eyes, il ne reste que l’enveloppe brumeuse des violons et sa délicieuse voix qui flotte dans les aigües. Pourquoi Rachel la cannibale a-t-elle bouffé l’homme et recraché les os ? Parce que c’est de ça qu’il s’agit : de cannibalisme, ni plus ni moins.
Et voilà qu’à présent je compte les jours avant l’été. Ca fait bien longtemps que j’ai déserté la fenêtre. Dehors, il fait froid. Les arbres ressemblent à des corps nus, et les os saillent de cette chair comme des montagnes escarpées, balafres du temps sur une nature peinte en monochrome de gris. Et cette musique qui exhume plein de souvenirs. A 12h51, est-ce bien sérieux ? J’ouvre le journal intime de cette fille et ce que j’y vois ce sont des doutes écrits à l’encre bleue. Ils ont la couleur et la profondeur de l’océan, voire d’une pataugeoire de piscine municipale.
La délicatesse de sa voix m’insupporte autant qu’elle me séduit
« One day we’ll meeeeeeeeeet again, one day we’ll speeeeeaaaaaaaak like we did back then. Old friend. You’re stiiiiiiiiiiiill my old friend ». Cette première chanson sent le sapin. Non pas qu’elle soit mauvaise, loin de là. J’aime bien. « The Deserters » sent le sapin de Noël et toute la cohorte de souvenirs qui l’accompagne. Les genoux de papy, les lumières multicolores qui clignotent dans le salon, la veillée le 24 décembre à regarder les programmes télé familiaux et la publicité de 23h50 sur France 2 qui annonce la messe de minuit dans un instant. Impossible attente annonciatrice d’une nuit insomniaque. A demi insomniaque, parce qu’à six ans on reste jamais éveillé assez longtemps pour voir le père Noël.
Deuxième piste, troisième piste, quatrième piste. Je m’endors bercé par cette musique de chambre, avant que Rachel ne rompe le charme. Break the spell est aussi rythmée que la première chanson de l’album. Et tant mieux. Il y a aussi la reprise de To here knows when de My Bloody Valentine. Ensuite je ne me rappelle plus très bien. A mesure que les minutes passent, à mesure que les jours s’écoulent, tout semble perdre sa signification. Tout parait plus lent. Tout parait plus fade. Bonjour tristesse. Est-ce que cette musique ne me rend pas trop impuissant ? Oui, peut-être. Mais avec le sourire. Et Oasis derrière ça marche. Le groupe, pas le jus de fruit. I feel anémique, give me gin and tonic.
Rachel Zeffira // The Deserters // RAF Records
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