Il y a dix ans, The Horrors avaient le monde à ses pieds. Aujourd’hui, les Anglais sont au mieux un souvenir dans cet univers du rock qu’ils semblaient dominer. Comment passer du feu des projecteurs à l’ombre de l’oubli ? Sont-ils encore ensemble ou reconvertis employés aux espaces verts ? Enquête sur une chute.

En vérité, The Horrors n’ont jamais été aussi horribles que ça. Au début des années 2010, on leur aurait donné le bon Dieu sans confession, en plus d’une ribambelle de superlatifs tous plus exagérés les uns que les autres. Ils incarnaient une forme de renouveau garage-punk-rock britannique, et suscitaient une hype aussi communicative que justifiée. Les Horreurs avaient de sérieux arguments pour eux : une esthétique (notamment capillaire) reconnaissable entre mille, très emo MySpace de la première heure. On aime ou on n’aime pas, en tout cas on remarque. Mais surtout, ils se démarquaient par une véritable créativité musicale (ce qui est tout de même un bon atout, compte tenu du choix de carrière) et une volonté de ne pas se laisser enfermer dans l’un ou l’autre genre en vogue, quitte à jouer au caméléon d’un album à l’autre. Et quitte, peut-être, à un peu trop brouiller les pistes pour le public.

Fort d’un premier album (« Strange House ») jonglant entre garage et post-punk (en plus de la fameuse esthétique mentionnée plus haut), The Horrors ne vont pas tarder à faire parler d’eux. C’était en 2007. Leur single Sheena Is A Parasite a rapidement conquis le grand public. Deux ans plus tard, les Horreurs dérivent vers le krautrock et des horizons plus psychédéliques avec l’incroyable « Primary Colours » et son remarquable Sea Within a Sea, peut-être encore l’un de leurs meilleurs morceaux à ce jour; le tout produit par Geoff Barrow de Portishead et Beak. Peut-être la clef de l’histoire qui suit, et de l’impression d’un saut dans le vide sur un champ de cactus.

Au tournant des années 2010, le groupe change encore son fusil d’épaule et mis de l’eau dans leur vin, tirant alors vers un son indé, new wave, shoegaze et autres étiquettes plus ou moins pop et vaporeuses. Le « Skying » de 2011 est le résultat de ces nouvelles expérimentations, marquant au passage une forme d’apogée pour le groupe. L’album touche notamment un large public dans le renouveau neo-psychedelia du moment, dont les brillantes couleurs perdurent aujourd’hui encore.

The Errors

Mais petit à petit vient le déclin, peut-être naturel après tant de gloire. The Horrors suscitèrent de moins en moins de superlatifs, leurs fameux cheveux ébouriffés et autres jeans slims crevèrent de moins en moins l’écran. On ne peut pourtant pas leur reprocher de ne pas être ouvert à la nouveauté (leur mantra depuis leurs débuts), avec un son plus electro (voire EDM) sur leur cinquième et dernier album « V », sorti en 2017, moins spectaculaire que les précédents. En 2021, ils sortiront deux EP pandémiques : d’abord « Lout » puis « Against The Blade », tous deux surprenants par leur virage indus et metal, d’une brutalité renouant avec l’univers des débuts. Ces derniers EP rencontreront un certain succès (manière élégante de dire qu’ils n’auront pas de succès), principalement au Royaume-Uni, avec un résultat incomparable toutefois par rapport au bruit qui accompagnait la sortie de leurs précédents albums.

Et finalement, The Horrors sont devenus invisibles, pour la première fois peut-être après plus d’une décennie de carrière. Un groupe éloignés du feu des projecteurs, voire un groupe de seconde zone. Ils ne semblent pas chercher à se défaire de ce silence, puisqu’aucun de leurs réseaux n’affiche d’activité depuis un an environ (c’est-à-dire une éternité, à l’échelle numérique). Sont-ils même toujours ensemble ? Il semblerait que oui, bien que leur claviériste Tom Furse ait décidé de quitter le navire, au moins pour la partie concert. Dans un de leurs derniers communiqués, le groupe expliquait leur choix de passer à quatre membres, plutôt que de remplacer leur ami par un musicien ou un « cyborg » (peut-on y lire une saillie prémonitoire contre ChatGPT ?).

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Perdu de vue

The Horrors ont-ils perdu leur panache, leur jus, leur énergie, pour se laisser ainsi dériver à l’anonymat et au triste monde des souvenirs ? Peut-être. Peut-être aussi que l’industrie qui les a fabriqués s’est trouvé une nouvelle coqueluche, plus bankable, plus lisse et générique, plus dans l’air du temps. Difficile de suivre un groupe qui semble s’échiner à ne pas s’inscrire dans un genre en particulier tout en incarnant un esprit rock plus ancien, bien que sur leur quinzaine d’années de carrière une personnalité indubitable hante leur rétroviseur. Peut-être furent-ils victimes de cette esthétique caractéristique des débuts, très datée, qu’ils retrouvèrent sur leurs derniers EP (et qui donna du grain à moudre aux deux tiers des médias spécialisés, commentant plus leurs coupes de cheveux que leur musique, pourtant produite avec talent). En somme, The Horrors ont-ils toujours des fans ? Le « retour en force » est-il encore attendu, ou bien le train est-il déjà passé depuis longtemps ? Si retour il y a, The Horrors trouveront-ils encore quelqu’un à terrifier ? Et si, finalement, le climax du groupe en 2009 n’était pas dû simplement à un membre extérieur au groupe, à savoir Geoff Barrow ? Parfois, se poser autant de questions, c’est déjà y répondre un peu.

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