Janvier 2016 : deux cousins mystérieux publient Virile, premier single-clip d’une longue série de deux et qui excite l’Internet orphelin des Daft Punk et de PNL. Octobre 2018 : sortie de l’album, mais tout le monde s’en fout. Que s’est-il passé en seulement 20 mois ? Et pourquoi la révélation dance-tribal-graphique de l’année est retombée tel un DJ gavé par trop de stéroïdes ? Remontons le temps, d’environ un quart d’heure.

Dans la critique musicale, il est de bon ton de dire qu’on peut « user un disque jusqu’à l’os ». Manière de dire que l’excitation provoquée par l’attente libère un taux d’adrénaline tel que l’auditeur est parfois capable de tomber dans une addiction compulsive, irraisonnée, au point que l’objet du désir se détruit sous le poids répété des écoutes à la manière de la gomme des pneus d’une bagnole qu’on aurait poussé un peu trop loin. Quand cette magie opère, plus rien ne compte, le temps s’arrête. Et ce jusqu’à cet écœurement malsain qui vient nous rappeler qu’il n’est après tout pas normal de mettre autant de passion sur une chose aussi mineure que la musique, et qu’il vaudrait peut-être mieux trouver un vrai job, penser à cotiser pour sa retraite, bref, revenir du bon côté de la ligne Maginot de l’état adulte.

La sortie de « Dancehall » premier album de The Blaze, contrecarre tous ces raisonnements. Mieux même (ou pire), le duo cristallise sans le savoir tout ce qui déconne actuellement dans l’industrie de la musique.

Buzz virile

Tout avait pourtant très bien commencé. Un premier son, atypique, ringardisait la néo chanson française 40 BPM rejouant un film d’Eric Rohmer dans les locaux de Télérama. Ca s’appelait Virile, et outre le beat des machines plaquée sur une voix désincarnée, The Blaze avait ce double avantage de sortir de nulle part en appliquant à la perfection un nouveau standard : la chanson Youtube. Soit le genre de titre qu’on aime autant écouter que regarder. Virile, publiée sur feu Bromance Records, détournait les codes homosexuels et se présentait comme une version efféminée de PNL où les protagonistes du clip se baladaient dans un Barbès rose, coincés dans un 20m2 entre mecs à fumer des joints nez à nez. Les blancs adoraient ce travestissement sociétal, pour le reste on ne sait pas. C’était en janvier 2016. On aurait pu croire à un feu d’artifice trop rapide pour briller durablement. Ce n’était pas encore le cas.

Les deux cousins ont bien lu l’histoire de la pop : deshumanisation du projet comme Kraftwerk, refus des interviews comme PNL et homothétie daftpunkienne.

Six mois plus tard, second coup de canon. On dit « second », pas « deuxième », car ce sera le dernier. Ca s’appelle Territory, c’est un climax. Avec ses histoires de muscu pour français de seconde ou troisième génération, The Blaze vise juste : c’est la réconciliation des peuples sur un cheval d’arçons algérien, la réponse parfaite aux propos fascistes d’Eric Zemmour, l’entrée des communautés invisibles dans la République française du dancefloor – un an avant Kiddy Smile à l’Elysée. Le titre, au delà de l’esthétique d’un clip encore plus léché qu’un phallus dans la rue Saint Denis, impressionne. Deuxième vague de salutations médiatiques, cette fois plus large. Le monde s’embrase, la France espère une second French Touch aux couleurs Macron Blanc Beur. Le buzz, lui, frappe à la porte.

La force du hors champ

On ne sait pas si le sacre de Macron au Louvre aurait pu être illustré par Territory, mais toujours est-il que le parcours de The Blaze, lui, est jusque là un sans faute. Les deux cousins ont bien lu l’histoire de la pop et la récitent à la perfection : deshumanisation du projet comme jadis Kraftwerk, refus des interviews comme PNL, homothétie daftpunkienne (ils sont français, ils sont deux). Le saint Triptyque fait mouche, tout le monde y croit. J’avoue, moi aussi.

Un système commercial, dès lors, se met en marche : un album est annoncé. Fidèle à la logique du début, et comme on gèrerait une communication de crise dans le bureau House music de Jacques Séguela, le duo raréfie encore davantage sa parole. PNL accordait l’une de ses rares interviews au média americaine Fader en 2016 ? Les cousins, eux, se dévoilent dans une photo faussement mal cadrée dans un « entretien fleuve » avec les Inrocks. A priori, 2018 leur appartient. On les annonce à Coachella (ont-ils payés comme la majorité des groupes français pour y être ?), Primavera ou au Pitchfork Paris, et avec le clip Territory ils gagnent le Film Craft Grand Prix de Cannes – alors que ce dernier est logiquement décerné aux vidéos publicitaires, un signe ?

Lente dégringolade fulgurante

Février 2018, besoin de rassurer les fans sur la success story : une nouvelle chanson-clip (Heaven) est publiée pour asseoir le poinçon The Blaze sur l’internet français. Un premier doute s’installe : The Blaze aurait-il déjà tout raconté de son histoire ? La formule, identique aux deux précédents morceaux, patine dans le groove. Certains croient à une erreur de parcours, d’autres à une impasse. L’album, lui, est prévu pour septembre. Deux morceaux sortent avant et pendant l’été : She et Faces, anecdotiques.

Quand arrive en septembre dernier « Dancehall », le fameux premier album, toutes les cartouches semblent déjà avoir été utilisées. Le disque, vraisemblablement enregistré à la hâte pour ne pas laisser pourrir l’engouement des derniers mois, ne contient pourtant ni Virile ni Territory. A l’écoute dudit long format, on a subitement l’impression que c’est comme d’avoir amputer Zidane de ses deux jambes. Trop fort, trop vite ? Ca se pourrait. Du statut d’outsider, The Blaze passe à celui moins surprenant « d’artiste de la rentrée ». Le système, toujours lui, avec ses lassantes techniques marketing et surexcitation de l’attente du public, a roulé sur The Blaze pour n’en laisser qu’une plate décalcomanie usée, et pas dans le bon sens. Face à cette barre d’immeuble sensée illustrer la post-modernité d’un monde à trois lettres hésitant entre HLM et PNL, l’auditeur pas amnésique repense au syndrome Fauve et à tous ces artistes anti-système dilués dans leurs propres innocences et qu’on aurait voulu, comme avec les légumes, faire grandir trop vite.

La plus grande contradiction pour The Blaze, c’est certainement ce syndrome de Stockholm dont ils sont peu à peu devenus prisonniers. Enfants d’internet, ses membres sont nés grâce à Youtube mais le public, lui, ne regarde pas des chansons. L’urgence de sortir un vieil album qu’on pourrait vendre à la Fnac et la peur de l’oubli d’une audience amnésique un jour sur deux explique certainement que « Dancehall » était, dès le départ, condamné à l’abattoir. Ce disque, sans être une arnaque, a tout de même une sacrée odeur de déjà vu : c’est le « Play » de Moby en moins bien – ne manquent que les samples de vieux bluesmen collés sur des pads électroniques, c’est tout Archive en pire avec le discours United Colors of Benetton en plus et c’est au final une poupée massacrée dont on devine, maintenant que le tour de magie est fini, toutes les coutures trip-hop. Une formule rapidement éculée, donc usante, où des mantras réverbérés tournent en boucle, pardon, en rond. Où les rythmiques tropicales évoquent désormais la Jungle londonienne déjà pas supportable à l’époque, et où les pianos filtrés sur logiciel sonnent plus vieux qu’un disque de Massive Attack. Le bruit du plastique, mais sans le jouet à l’intérieur.

Qu’en retiendrons-nous dans 5, 10 ans ? Certainement le son du génération, soit deux titres qu’on retrouvera sur des compilations des années 2010, deux pas plus loin que le Sur la planche de La Femme. La faute à qui, la faute à quoi ? Certainement pas aux deux principaux intéressés, à peine fautifs d’avoir fait tomber le masque trop tôt, mais surtout symboles d’une époque où tout doit passer au rouleau compresseur ; victimes collatérales d’une guerre de l’immédiateté où l’offre doit savoir s’adapter à la demande en des temps records pour nourrir le tuyau d’une industrie digitale dénuée de centre névralgique.

Désormais dans la production des phénomènes, tout s’accélère. Et bien malheureux ceux qui seront prêts à accélérer le tempo pour suivre la cadence. Pour Guillaume et Jonathan, en tout cas, la partie allait trop vite. Vingt mois : c’est le temps qu’il aura fallu pour être blasé de The Blaze.

11 commentaires

  1. C’est un peu pareil à l’époque Jonathan il à déjà fait un carton avec David, hein? « est ce que tu viens pour les vacances » quand mêmes! et puis pfuuitt le néant, éternel recommencement tout ça

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