Une vieille gloire du sax sortie de l’EHPAD de la note bleue, un producteur spécialisé dans la musique dit « électronique » et un orchestre de vieux Anglais pour cimenter l’irréconciliable ; a priori le « Promises » de Pharoah Sanders, 80 ans au compteur, avait tout d’un mauvais pitch d’album chez Ninja Tune. Et pourtant, ce disque-miracle prouve que le jazz n’est pas encore au fond du ravin. Mieux, il touche le ciel.
Écrire qu’on a suivi la longue discographie de Pharoah Sanders, saxophoniste noir de l’Arkansas dès la fin des années 50, ce serait un peu comme dire qu’on a écouté tous ces nouveaux albums de Neil Young qui sortent à rythme régulier, toutes les trois semaines. Ou n’importe quel disque de jazz contemporain, pour taper large. Passé un certain âge, les musiciens aux grands noms agissent dans la majorité des cas comme un laitage à la date de consommation périmé ; on préfère rester éloigné, c’est mieux pour le transit. Quant à la discographie du principal intéressé, difficile de savoir à quand remontait le dernier vrai album studio en date. C’était quand la vraie dernière fois de Pharoah ? En 2020, avec la réédition d’un live à Paris de 1975 ? En 2014 avec le Sao Paulo Underground ? Ou 2003 avec Bill Laswell sur « With a heartbeat » ?
L’exercice mental étant, pour être honnête, compliqué, on préfère entrer directement dans le vif du sujet : « Promises », ce nouvel album dont on n’attendait rien, surpasse de loin toutes les nouveautés du moment au rayon dit du « psychédélisme » dès lors qu’on entend ce mot dans son acceptation la plus large, c’est-à-dire comme un médicament permettant de s’extirper du quotidien en prenant de la hauteur, défoncé ou pas.
Sur la pochette de « Promises », trois tableaux, trois mappemondes superposées. Trois univers, surtout : celui de Sanders, fondamental pour le crayonné, celui de Floating Points (aka Sam Shepherd) pour les couleurs et celui du London Symphony Orchestra, pour les finitions. Une certaine idée de la Dream Team. Réunis sur ce disque-piste composé de neuf mouvements n’en formant qu’un seul, les trois entités réussissent l’exploit de faire oublier qu’il fut un temps où la vraie musique ne se décomposait pas en autant de morceaux à skipper nerveusement. « Promises », on tombe dedans. Qu’on connaisse Alice Coltrane ou pas, qu’on possède le lexique du sax ou non, qu’on écoute du jazz quotidiennement ou qu’on soit un collectionneur compulsif de B.O. des années 70.
Succession de vagues harmoniques et de silences, grosse arnaque marketing au sens où la musique électronique y est quasi absente, à peine audible par petites touches, cet énième album de Pharoah Sanders rappelle à sa manière les grandes heures de la musique planante – « New Age of Earth » d’Ashra, par exemple – et tue instantanément tous les poncifs sur le jazz auxquels on a finir, comme les rhumatismes, par s’habituer. Et l’on est surpris d’apprendre que Floating Points, loin d’être un simple pousse-bouton foutu là par hasard, assure lui-même toutes les parties de piano, orgues et autres harpsichord. Pas mal, pour un vulgaire « musicien électronique ».
Dans sa chronique dudit disque, Pitchfork se permet un lien avec l’excellent « Tongues » de Kieran Hebden (Four Tet) et Steve Reid (batteur pour Sun Ra, entre autre). Le pont est intéressant, mais il ne reflète en rien la puissance de cet « album à la Jeff Mills Davis », et où tous les genres musicaux semblent s’être mélangés dans du métal bouillant. Bien téméraire qui pourra, après l’écoute, définir ce qu’il a entendu : est-ce du new age pour gens reconfinés ? De la musique free-psychédélique ? Peut-être simplement du jazz bien, parce que joué avec les tripes et un cordon ombilical branché sur le cosmos ? On vous laisse avec toutes ces questions ; « Promises » vient de se terminer et c’est comme si tout était à recommencer. Back to track one.
Pharoah Sanders & Floating Points // Promises // Luaka Bop
3 commentaires
Il ne me reste plus qu’à aller le chercher, chez Darty …..?