En 2008, Principles Of Geometry avait été trop rapidement casé parmi les mecs autant accros aux barbes qu’aux synthés. La faute, peut-être, à ce morceau avec Sébastien Tellier, Mountain For President.
« Le cirque qui a été fait autour nous embête. Ca a peut-être desservi l’album, en fait, même si en live on a été assez parfois étonné quand on jouait le titre. Inconsciemment, on s’est rendu compte que ça pouvait paraître putassier avec la com’ que ça a engendré, mais en vérité ça s’est passé comme on l’espérait, vu qu’on ne pensait qu’à lui pour ce morceau. C’est quelqu’un de très simple et enjoué. Très vin blanc, aussi. Là il se barre dans un truc sauvage, faudrait juste qu’il change de nom pour qu’on rebosse avec. Pierre Girard, par exemple ». Ca, c’était en fin d’interview, de la bouche de Guillaume Grosso. S’il ne faisait pas qu’un avec Jeremy Duval, on le qualifierait facilement de grand gourou du groupe. A vrai dire, il en est surtout le meilleur communicant. Principles Of Geometry, un couple finalement plus proche de Jay & Silent Bob que de Julius et Vincent Benedict, tellement les deux semblent se compléter comme une évidence. L’évidence, il en est question tout au long de cette interview entrecoupée de rires et de mauvaises blagues au sujet de leur nouvel album.
En écoutant « Burn The Land & Boil The Oceans », je me suis fait la réflexion que quelque part, cet album sonnait comme le dernier Joakim, au moins dans l’intention.
Oui peut-être parce qu’on a… c’est peut-être le dernier Joakim qui sonne comme nous ! Y’a clairement l’envie de décharner le truc, mais après Joakim est là pour nous copier, 80% de l’album de Joakim a été composé par nous (rires). C’est vrai qu’on est assez raccord, dans notre vision. On a à peu près les mêmes goûts car même si on se berce plus de synthés polyphoniques, on frétille sur les mêmes types de sonorités ou de matériel.
Il y a beaucoup de similitudes avec « Lazare », comparé au premier album qui me semble être un ovni dans votre discographie.
Le premier c’était un album post-adolescent, mais plus on avance, plus on précise notre son. Peut-être parce que c’est aussi une histoire de tricks, quand tu as essayé certains effets, et qu’humblement tu penses les maîtriser, c’est chiant de recommencer. Finalement, la recherche elle s’est faite sur la simplification, c’est plus immédiat. On avait besoin de crudité, de ne pas rééditer les mêmes formules que l’on avait pu utiliser ou trouver sur « Lazare ».
D’où le titre de l’album, qui est aussi le titre d’un film de Godfrey Reggio ?
Ouais, avant on était vachement sur la renaissance, là on prend deux ou trois pas en arrière pour se concentrer sur la destruction, celle qui va vers cette renaissance, le renouveau en ligne de mire. Tous les titres formulent la crainte du matériel qui prend le pas sur le spirituel, mais après ça reste de la branlette hein ! On est tout le temps défoncés tous les deux (rires). On a toujours été friands de ces théories de néo-baba cool. Mais c’est vrai, quand tu prends les images de Godfrey Reggio, c’est le même principe qu’avec notre musique : faire une pause mentale, qui in fine ne regarde que nous. Cette pause, tu la prends si tu as envie, et c’est ce qui est marrant avec la musique. On a pas envie de délivrer un message avec un étendard, mais de faire tripper les gens. Huit à dix personnes, c’est un bon business plan.
Ah ah. Dans votre première interview pour Gonzaï, vous parliez de 59 millions d’albums comme objectif de ventes.
Ouais mais on a revu nos espoirs à la baisse, on a été assez déçus (rires). Enfin, c’est la distribution qui n’a pas suivi, ça coûtait trop cher en placements produits, on a changé notre fusil d’épaule ! Le cinéma américain fait des préquelles, des introductions a des films qui existent déjà, c’est ce qu’on a voulu faire en simplifiant. On ne voulait pas faire un album de doom !
D’un côté, vous n’avez pas non plus ce côté frontal, en préférant commencer presque tous vos morceaux par des nappes…
On a ce besoin pour composer d’introduire, de créer une sorte de pièce, avec une forme de narration pour chaque morceau. C’est ce qui nous fait tripper, y’a pas de calculs bien précis mais des stimulis particuliers. On aurait du mal à créer un schéma pop, et d’ailleurs on a pas envie de le trouver : on sort nos instruments, on se met à deux et on se fait plaisir.
Mais j’ai parfois l’impression que vous l’utilisez, ce schéma, avec des morceaux qui apparaissent comme des évidences à l’écoute (Mongrel, Moloch), mais que votre but est de le casser ensuite.
Au fond, on a cette envie de pied de nez, sans être des Bakounine de la musique. Mongrel, on voulait que ce soit très contrasté, avec un truc un peu pute sans rentrer à fond dedans. L’évidence, c’est plutôt ennuyeux, l’inattendu c’est plus agréable pour créer une émotion, la frustration. La frustration, c’est ce qu’on vit tout le temps quand on compose, alors pourquoi ne pas la laisser aussi aux auditeurs ?
Ca vient du fait que vous n’êtes pas musiciens, cette frustration ?
On s’est vite fait une religion. Et ne pas être musicien, ne pas avoir de background théorique, c’est pour nous une chance. On aime le hasard, faire ce qu’on veut en se disant qu’à un moment, la magie va opérer. Quand on discute avec Laurent (Bardainne, ndlr) de Poni Hoax, qui lui a un putain de background, on se rend compte que la page blanche te baise dans les deux cas. C’est pareil quand on discute avec Juan (Dye, ndlr) on se sent tout merdeux. Mais au final ça reste une torture pour tout le monde.
« Je me suis déjà engueulé avec une journaliste qui s’attendait à ce qu’on porte des masques en plastique et qu’on fasse les robots par rapport à notre nom ! »
Sur certains morceaux, j’ai l’impression d’un collage un peu bancal mais qui finalement, fonctionne, comme sur Springed Dodge, à la manière de Throbbing Gristle. Et j’en suis venu à penser à Spectrum, qui semble tout autant se faire plaisir mais en utilisant un modèle super rigide, à savoir la suite de Fibonacci.
Ouais, ça créé une trame intéressante. Nous on s’est déjà essayé à l’ostinato, mais on s’est vite cassé les dents. Se focaliser sur la théorie, ça ne nous donne pas assez de liberté pour s’évader et s’offrir à 200% sur un morceau en devenir.
En fait vous êtes à la recherche d’un truc qui n’existe pas, à l’image de vos morceaux avec des rappeurs.
C’est l’addition des choses qu’on aime, finalement on fait la musique que l’on aimerait découvrir. Donc oui, c’est plein de substances qui ont forgé nos goûts, comme le hip-hop, une musique électronique. On adore sampler aussi, c’est la jouissance quand tu commences, c’est très ludique et c’est un des piliers de notre musique, même si c’est juste une charley ! Tu sais, on n’a pas envie de créer le prochain hit des clubs, même si créer un morceau universel, oui, on aimerait bien.
Vers la fin de votre album, il y a ce morceau superbe, Zero In The Zenith, qui pour moi fait écho à cet album ambient de Jürgen Müller, « Science Of The Sea ».
C’est une prise live en fait, on a trouvé que l’instant était bien, c’est un coup de trait rapide, instinctif, assez animal finalement, et ça tenait la route. Tu connais le régime d’Okinawa ? Une façon de manger dans laquelle tu arrêtes de manger alors que tu as encore faim, ce qui te permet de mieux te concentrer et atteindre un certain niveau de bien-être. Là c’est pareil, on s’arrête avant d’en faire trop. A un moment on s’est posé la question : est-ce qu’on fait des concerts d’ambient ? On adore, avec les sept personnes qui sont avec nous ! En live ou souhaite pousser le cran « rock », que ce soit plus énergique. Les concerts d’ambient, on les fera ici même et avec ces sept personnes qui pourront s’allonger sur ce superbe tapis afghan (rires) !
Parlons d’un homme qui aime les gens nus, c’est Tonetta qu’on retrouve sur Carbon Cowboy !
Ouais, c’est Krikor qui nous a fait écouter ça, ça nous a coupé en deux. On a les vinyles, on est fans, c’est complètement dingue. Sur ce morceau, on voulait vraiment un vieux cowboy, mais c’était pas évident. Un rappeur, c’est plus facile à avoir ! Mais dès qu’on a vu Tonetta, on s’est dit que ce serait bien de bosser avec un mec pas facile, de ne pas faire un featuring pour le featuring.
Ce sont ses paroles ?
Ca a été un sacré chemin de croix, il est super compliqué à joindre, on savait que ce serait la merde. Mais on a fini par réussir à contacter son label, qui sort ses trucs en vinyles, Black Tent Press. On a pris une des voix qu’on a calé sur le morceau, et ça rendait à mort. Du coup, on est restés sur ce truc là, on n’a pas eu envie de commencer à s’envoyer des fichiers. Subtitle, le rappeur sur Deerhunt, ça s’est fait aussi très simplement, on aime bien son côté foutraque et un peu je m’en foutiste.
Finalement, vous êtes assez proches de Geoff Barrow et de son boulot en tant que label manager avec Invada Records.
Je n’ai écouté que très récemment son projet Quakers et en fait j’ai pas aimé, j’ai trouvé ça très 90’s. Peut-être que dans le travail, il y a la même envie, ou la même mentalité. C’est la base de notre projet d’être à formule variable, sans pour autant avoir 18 projets en même temps, peut-être parce qu’on vend rien d’ailleurs (rires). Ce foutoir, comme sur « Lazare », pour nous c’est hyper important. Je me suis déjà engueulé avec une journaliste qui s’attendait à ce qu’on porte des masques en plastique et qu’on fasse les robots par rapport à notre nom. Mais alors il faudrait me dire quel est le point commun entre un carré, un rond et un triangle. Notre musique, en fait, c’est un carron. Ou un tricarron ! Le même sujet, mais totalement différent !
Principles Of Geometry // Burn This Land & Boil The Oceans // Tigersushi