Le seul problème de cette introduction, c’est qu’à l’écoute ça déraille sec. Pour mieux comprendre comment ce putain de disque sans âme, composé par des Londoniens sortis des Beaux Arts, a fini par retourner les tympans de votre modeste serviteur, remontons la pendule quelques années en arrière.
Juillet 2005. L’Angleterre a le moral dans les chaussettes, ou pas loin. Dans un éclair de lucidité, les Libertines viennent de se séparer et les Arctic Monkeys s’apprêtent à débouler avec leurs boutons d’acné, leurs chansons pas finies et cette très désagréable impression d’arnaque façonnée par deux directeurs marketing nostalgiques des Beatles. Pour se dégourdir les jambes, cette même Angleterre accouche entre deux contractions rock d’un groupe électronique nommé Clor, au visage si difforme qu’on peine à comprendre qui sont ses parents, et à quelles drogues synthétiques ils ont bien pu carburer pour pondre pareil truc. Le temps d’un disque éponyme, ces jeunes gens parviennent à produire une espèce de pop alambiquée qui plaque ses accords sur des circuits imprimés, qui groove avec ses batteries digitales, le tout avec une maestria bordélique telle qu’on n’en a pas vue depuis Devo. Génération Myspace oblige, le succès de Clor est aussi fulgurant qu’éphémère. Portés par une vaguelette de hype qui les voit traverser la Manche en première classe, nos stars d’un jour finissent par prendre le melon puis s’embrouillent au point de splitter cordialement début 2006. Le NME a beau placer cinq ans plus tard ce « Clor » dans la liste des greatest albums you’ve never heard, rien n’y fait. Bébé part avec l’eau du bain, et il ne faut pas longtemps aux trop rares déçus du rock anglais pour placer le groupe dans la catégorie des artistes maudits qui ne vont pas tarder à se reconvertir en vendeur de hot-dogs. Too much, too soon. Trop con.
On est certes en droit de se demander quel est le rapport avec cet autre album éponyme qui, six ans plus tard, débarque dans un Londres qui a bien changé. Carnaby Street est devenue une succursale à baskets, le livide Pete Doherty pourrait désormais jouer le rôle du zombie crétin dans le plus navrant des navets de Carpenter, et l’industrie du disque va tellement mal qu’on se retrouve à chroniquer des disques publiés par une enseigne de chemins de fer. Une fois n’est pas coutume, cette Angleterre a pourtant plus d’un tour dans sa manche – humour ! – et, sans dire que Plugs augure d’une sortie du tunnel – blague ! –, il y a quand même de quoi prendre le train en marche – roulement de tambours et retour à la ligne.
La biographie parle d’un groupe inspiré par « l’art contemporain, le krautrock, les émeutes de l’été 2011, le hip hop old school, les synthés analogiques, John Carpenter, le psychédélisme et Black Sabbath ». Bah tiens, tu la vois ma carotte ? Étant entendu qu’une bio raconte toujours n’importe quoi et qu’il faut être salarié chez Libération pour perdre son temps à recopier des conneries pondues par le service marketing, c’est encore une fois tout l’inverse. Disque d’esthète, composé par un passionné d’art contemporain — Morgan Quaintance, repéré jadis avec son ancien groupe Does It Offend You, Yeah ? — « Plugs » ressemble à une Lamborghini en plastique, un nain invisible muni d’un port USB sur l’index ou d’une popstar dont tous les membres seraient des surdoués dotés d’un charisme inversement proportionnel à leur QI ; grosso modo, un disque de pop exigeante ne cédant aucune concession au mainstream, et ressemblant au final à un pique-nique avec Zombie Zombie et Metronomy sur la nappe à carreaux. Polymorphe, impersonnel, déshumanisé et sur-shooté au vocoder… certes. N’empêche qu’on n’en aura pas écouté beaucoup, cette année, des disques si cohérents qu’il s’avère impossible de jeter un seul titre à la corbeille. Fan de David Hockney, Andy Warhol, Marcel Duchamp, et certainement aussi de Brian Eno période mascara et blip blip, Morgan dit : « tous ces artistes m’ont aidé à pénétrer le monde des idées. » Okay. Son disque est tellement bien qu’on a presque envie d’y croire ; suffit de se laisser bercer par son Molecule Man susurré à l’oreille d’un robot, d’écouter sa cavalcade kraut-chelou à mi-chemin entre le Chapi Chapo de De Roubaix et Yeasayer, ou même d’apprécier le single On and On, pour comprendre que Plugs ne triche pas. Ou si peu. Ou si bien…
Au bout du compte, la grande différence entre Clor et Plugs, c’est surtout les six ans d’intervalle qui ont permis à Metronomy, Alt-J ou Django Django d’ouvrir un boulevard à la pop buvard, sucrée et acide, à tel point que même Madame Michu veut désormais sucer sa pastille. Pas sûr pour autant que nos petits Anglais en vendent des wagons, de ce disque génétiquement modifié. Et pas certain non plus qu’on se réveille dans six ans pour réécouter « Plugs », le tee-shirt tout trempé de sueur. Non. « Plugs » est tout connement un excellent disque qu’on réécoutera peut-être par défaut, après être retombé dessus par hasard en fouinant dans son disque dur. Rien de plus qu’un heureux accident, rien de plus qu’un plaisir simple. Comme quoi, l’industrie ferroviaire n’est pas toujours en retard.
Plugs // « Plugs » // Eurostar Records
www.thisisplugs.com
2 commentaires
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« Clor, c’était bien »
J.Jet
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Dommage, cette voix ternasse et ce débardeur sur des échafauds mélodiques intrigants…