La semaine dernière, mon rédac-chef me lance « patten vient à Paris dans trois jours. C’est de l’électro et il est chez Warp. Ça serait bien de l’interviewer. Tu t’en charges ? ». Bien sûr, la question était réthorique. La quiche en électro que je suis se met alors à paniquer sec. Après une écoute en boucle de son dernier album, tout en fourrageant sur son site internet hyper arty, je me convainc que le type vaut le détour. Il pose une électro psyché, trippante, accompagnées de vidéos interdites aux épileptiques, mais très réussies. Malgré la virginité de mes tympans en musique machinique, je sens que le son est abouti, qu’il se démarque de ce que j’entends d’habitude. « Normal meuf, c’est juste l’album le plus sexy de l’année en matière d’électro » me snobe un pote, quand je lui demande s’il connaît patten.
Pas étonnant que Warp en ai fait son nouveau poulain. Le label fondé à Sheffield il y a vingt-cinq ans n’est plus un ayatollah de la techno et de l’Intelligence Dance Music (IDM). Il a ouvert ses portes à des band comme Grizzly Bear, continue de soutenir Boards of Canada mais peut toujours s’appuyer sur des stars tels Aphex Twin, un des ambassadeurs du label mauve. patten, leur dernière trouvaille, ouvre encore une nouvelle voix, tout en restant dans le sillage IDM.
Warp France me donne rendez-vous à l’hôtel Alba Opéra. Ambiance Paris-Musée, je les rejoints dans un salon aux murs jonchés de photos et dédicaces tape à l’œil. « Excuse-nous, il est très bavard » m’explique un membre du staff, navré de me voir lorgner les murs depuis une demi heure. J’entre enfin dans l’antichambre. Auréolé d’une lumière rouge, patten m’accueille dans un sourire, près à renouveler l’exercice de l’interview. Questionner patten tient plus de l’expérience mystique que d’un dialogue sur la musique électro. Le londonien ne dévoilera ni son vrai nom, ni son âge, ni aucun détail biographique. Tout tient dans le mystère, que Patten protège par l’abstraction de son discours. J’ai bien essayé de lui soutirer des réponses factuelles ou rien que tangibles, mais c’était comme de dire à un tétraplégique « lève-toi et marche ». En revanche, il livre volontiers sa conception de la vie, de la musique, de la création et de l’espace-temps. Florilège.
Qu’est-ce qui a évolué dans ton son depuis ton premier EP ?
patten : Le processus de composition est quelque chose qui est toujours en cours, que l’on ne peut jamais considérer comme fini. Le son dont tu parles, c’est juste un moment qui existe de manière figée sur un disque, mais son évolution est continuelle. C’est une constante collusion d’idées et d’émotions, donc rien n’est jamais terminé.
Est-ce ta conception de l’art en général ?
P : Quand tu prends du recul, tu réalises que tu es juste en train d’exister : de rire, parler, boire, pleurer…comme la plupart des gens. L’art est une explication de ce que signifie vivre en tant qu’être humain dans ce monde. L’art, c’est être connecté. Quand je compose, j’essaie d’expérimenter différents états psychologiques afin qu’il y ait une réelle diversité, même si des éléments sont inégaux. C’est pour moi une manière de m’engager pleinement dans l’existence et envers le monde.
Même l’odeur d’une orange m’inspire…
Quelles sont tes influences musicales majeures ?
P : Je suis influencé par absolument tout : la fin d’une chanson entendue dans une voiture, une phrase captée d’une conversation à côté, le chapitre d’un livre, le fait de ressentir la gravité…même l’odeur d’une orange m’inspire.
Tu possèdes ton propre label, Kaleidoscope. Tu aurais très bien pu sortir ton dernier album toi-même, or tu as signé chez Warp. Est-ce parce que tu préfères séparer ton activité de producteur de ton activité d’artiste ?
P : En fait, je ne décrirais pas Kaleidoscope comme un label mais plutôt comme un écosystème. Ma fonction, c’est de présenter cet espace qui ne répond pas à des règles établies mais qui a des fonctions. Le projet patten ne rentre pas dans ses fonctions pour l’instant, c’est pourquoi j’ai dû chercher ailleurs pour sortir mon album.
Warp est un label historique pour la musique électronique. Qu’est-ce que ça signifie pour toi de signer chez eux ?
P : « Historique »… c’est un mot intéressant. Quand tu y réfléchis bien, dès lors que le présent est passé, il devient historique en un sens. Je pense qu’on vit quelque part entre les archives et ce qui est à venir, le présent serait alors comme une illusion, quelque chose que l’on ne rencontre jamais vraiment. Réfléchir à la notion d’historicité, c’est se demander comment on s’engage envers notre présent.
Ok. Donc, pour toi, signer chez Warp ou ailleurs, ça n’a aucune importance puisque tu ne tires aucune fierté particulière d’être un artiste de ce label-là.
P : Non non ! Je n’ai jamais dit ça ! Bien évidemment que Warp est un label génial, tout d’abord parce que c’est une organisation qui fonctionne parfaitement. Ensuite, c’est une équipe qui a toujours fait des choix artistiques respectant une même ligne directrice : ne pas avoir peur des territoires inexplorés de la musique, proposer des artistes dont le son est un réel aboutissement et signifie quelque chose émotionnellement, pour les gens qui l’écoutent… [On vous a coupé la fin de la phrase, un peu trop porte ouverte] Quand je compose, je pense à cette autre personne dans le monde qui écoutera ma musique. J’aimerais que cette personne se l’approprie vraiment, qu’elle la fasse sienne, sans aucun élément perturbateur; c’est à dire sans révéler des pans de ma biographie ou dévoiler mes influences musicales, ce qui pourrait figer les choses.
Ton travail est tout autant visuel que musical. Tu collabores avec la vidéaste Jane Eastlight, comment fonctionne votre duo vidéo / musique?
P : Je ne parle pas souvent de ça. Comment l’expliquer… On fonctionne dans une sorte de va-et-vient elle et moi. Jane travaille les images d’une manière assez similaire à celle que j’adopte en musique. Elle collecte des choses, les teste, les expérimente… Nos démarches respectives évoluent parallèlement et sont toujours connectées. Jamais je n’appelle Jane pour lui dire Hey, j’ai un son pour toi, je t’envoie le fichier et tu me fais une vidéo ! C’est un dialogue constant et évolutif, comme dans toutes mes relations avec les artistes de Kaleidoscope d’ailleurs.
Sur ton album « ESTOILE NAIANT », une des chansons s’intitule Agen. J’ai vérifié, ce mot ne veut rien dire en anglais et fait probablement allusion à Agen, petite ville du Sud-Ouest plus connue pour ses pruneaux que pour ses folles nuits électro… Pourquoi ce titre ? Que s’est-il passé à Agen ?!
P : Je préfère ne pas définir ou expliquer ce genre de choses afin que les gens se fassent leur propre jugement. Mon but est vraiment de laisser tout ça ouvert à l’interprétation de chacun. Quand je compose, je pense à cette autre personne dans le monde qui écoutera ma musique. J’aimerais qu’elle la fasse sienne, sans aucun élément perturbateur. Révéler des pans de ma biographie ou dévoiler mes influences musicales pourrait figer les choses.
Qu’est-ce que tu recherches en musique ?
P : Je vais essayer de t’illustrer ça par un exemple concret. Parfois quand tu allumes la radio, tu n’entends qu’une espèce de chaos où tout est brouillé. Soudainement, ton cerveau reconnaît quelque chose, comme une chanson. Quelle chanson tu choisirais, toi ? Ok, parfait. Donc tout à coup, ton cerveau te dit, ah oui, je reconnais ça, c’est le Velvet Underground. Ce qui m’intéresse, c’est le moment juste avant : un moment qui se passe dans la zone pré linguistique du cerveau. C’est un moment où tu es ultra réceptif et où tes neurones cherchent activement du sens. Je pense qu’il est possible de prolonger ce type d’instants avec de la musique et des images.
Notre temps est presque écoulé. J’avais une dernière question, mais je crois savoir ce que tu vas me répondre…
P : Quoi ? Non ! Qu’est-ce que tu crois que je vais dire ? Quelle est la question ?
J’ai lu quelque part que le titre « Eolian Instate » (ton précédent LP) était l’anagramme d’un autre titre d’album, d’où son sens obscur. Je me demandais ce que signifiait « ESTOILE NAIANT », mais j’imagine que c’est à moi de décider de son sens avec ma propre subjectivité…
P : Ok. Le terme Estoile Naiant vient du blason héraldique. C’est un langage du Moyen-Âge, codifié pour décrire les armoiries sur les costumes. Ce sont des mots spécifiques dont la seule fonction est la description de ces images. J’ai utilisé le blason pour créer une image très précise, « ESTOILE NAIANT », qui englobe tout ce que ce disque peut être et devenir.
patten // ESTOILE NAIANT // Warp
Sortie le 24 février