Vous avez raté l’histoire du label fondé en 2007 par Arthur Peschaud et ses poulains dopés aux hormones ? Résumons en quatre lignes : au départ ils se droguèrent et eurent beaucoup d’enfants, la presse publia de jolis carnets roses et la nuit de noce dura longtemps comme dans un trip un peu f(l)ou. Est-ce que le conte se finit bien ? Et les enfants auront-ils leurs doses de LSD avant d’aller dormir ? Réponse avec un programme des sorties prévues pour 2014, qui ressemble à tout sauf à une berceuse.

Réussir sur la durée, demandez à César ou à Kurt Cobain, ce n’est pas à la portée de tout le monde. Il faut d’une part trouver votre totem (Aqua Nebula Oscillator), dénicher les artistes qui vous feront connaître (Koudlam), savoir se renouveler avec ceux qui seront connus dans 50 ans (Jonathan Fitoussi) et encaisser les critiques acerbes sur ces nouvelles signatures (Poni Hoax) censées vous ouvrir les portes de la reconnaissance auprès du grand public. Voyez, ce premier paragraphe n’est même pas fini qu’on est déjà tous crevé et qu’on n’a qu’une envie : laisser à d’autres le soin de s’esquinter la santé sur la création d’un label qui serait à la fois résistant et novateur.
Parce que les histoires d’Amour sont parfois distendues, il faut parfois savoir prendre ses distances, ne plus se voir pendant un certain temps, ne plus s’écouter non plus, mettre le copinage de côté et écouter les disques pour ce qu’ils sont, à savoir des disques composés avec des notes, qu’on aime ou pas. Les récentes sorties de Pan European ne font pas exception à la règle ; à tel point que j’en avais presque fini par me demander à quand remontait la dernière fois où j’avais VRAIMENT aimé l’un des disques sortis du four au père Arthur. A bien y réfléchir, c’était celui de Judah Warsky. C’était en mars 2012. Autant dire y’a trois siècles.

Ce qu’il y a de formidable avec les prophéties auto-réalisatrices, c’est qu’il suffit parfois d’y croire très fort pour que les œuvres deviennent grandes. Je n’écris pas cela pour donner l’impression d’être tombé dans un trip mystique type je suis parti au Mexique pour gober des champignons dans le désert en portant des jeans à fleurs dégueulasses, mais le fait est qu’à l’heure de fêter son septième anniversaire, Pan European annonce trois albums aux durées variables qui, tous, chopent l’auditeur par le colback pour l’accrocher au porte-manteau. Petite session de rattrapage pour ceux qui croiraient que le plus freak des labels français continuent à fumer de l’herbe en écoutant du krautrock.

Flavien Berger, EP « Glitter Gaze »

Comme dirait Ayrton Senna, c’est un grand virage ou je ne m’y connais pas. L’EP annonce trois titres, dont l’un dure plus de 19 minutes. Jusque là rien d’anormal au pays des gens pas normaux. Sauf que Berger, jeune producteur de musique électronique, vient manger sur les platebandes de la jeune génération, telle qu’on l’entend sur le label Entreprise (Jérôme Echenoz, Moodoïd, Blind Digital Citizen, etc). Attendez les mecs, de l’électro digitale chez Pan European, aurais-je pris un cacheton de trop ? On a beau se frotter les yeux, les trois titres de « Glitter Gaze » sont d’une puissance folle et donnent envie de… danser. Ce qu’on sait du même Berger, c’est qu’il fait partie du collectif Sin, un laboratoire de recherche sonore basé à Bruxelles. Et pour le reste, on est dans les choux – facile. A bien y regarder, l’electro-tonique de ce Flavien sorti de nulle part sonne comme une réponse musclée à toutes ces daubes qu’écoute la jeunesse dorée en sirotant des cocktails valant un demi SMIC. Réponse de la bergère au…  Bref : une décharge d’adrénaline électronique telle que Claude François a dû la prendre en découvrant le « Autobahn » de Kraftwerk.

Jonathan Fitoussi, LP live « Polaris »

Changement d’ambiance avec ce parisien dont on a déjà remarqué le formidable, le superbe, que dis-je, l’astral premier album studio nommé « Pluralis », écouté jusque là par à peu près 0,00000000000000000000009 % de la population. C’était en 2011, ça fait une paye. La même année, Fitoussi avait décidé d’enregistrer ses délires répétitifs à la Blanchisserie – petite salle hippie de Boulogne, fermée depuis pour cause de tapage forcément nocturne – et le tout fut capté par des oreilles attentives. Qui recrachent aujourd’hui le morceau en édition vinyle limitée à 500 exemplaires. Que dire, pour vous vendre du rêve concret ? Qu’on oscille entre les improvisations de Terry Riley et la musique d’ambiance pour femmes enceintes. Bon voilà, ça vaut ce que ça vaut toujours mieux qu’un pavé de 50 lignes pour regretter que ce disque artisanal ne soit jamais sorti sur le prestigieux label Shandar. J’exige des autorités qu’un exemplaire me soit immédiatement livré à l’adresse disponible dans le bottin ; sinon j’efface tout ce que j’ai pu écrire sur Fitoussi et je remplace le tout par ma quenelle 2.0 : une photo de Pedro Winter en bermuda flammes à la Grande Motte.

Judah Warsky, LP « Bruxelles »

« Quelques nuits avant un concert à Bruxelles, je me suis rêvé sur scène, récitant un poème dédié à cette ville que j’aime tant. Au réveil, j’ai écrit le poème pour pouvoir transposer ce rêve dans ma vie éveillée. (…) Quand il a fallu l’habiller, j’ai opté pour un son et un tempo New Beat : c’est le son belge. Comme Rome il y a 2000 ans, Bruxelles est aujourd’hui, malgré elle, la capitale d’un Empire. Elle mérite bien son élégie ».
Quand vient l’heure du deuxième album, plus d’un genou claque et peu savent se relever dignement d’un premier succès, serait-ce d’estime. Celui de Judah Warsky, à paraître ces jours-ci, est d’une ambition folle et fait l’effet des stéroïdes sur un somalien jeté sur la piste d’une boite techno. Jadis rachitique et fan de doo-wop, le même Judah montre ici ses biscottos sur un album à la croisée des chemins, au propre comme au figuré. Au propre, parce que si Bruxelles reste le point névralgique d’une Europe en déliquescence, « Bruxelles », le disque, en synthétise parfaitement l’esprit cosmopolite, le bordel ambiant, l’esprit bureaucratique mêlé à l’envie de nuits sans costumes. Au figuré, parce que « Bruxelles » fait lentement glisser Warsky sur une cartographie plus grande, loin des chapelles indie dans laquelle nombre d’artistes maudits aiment à se réfugier. Tantôt chanté en Français (Marre de tout, sommet de ras le bol condensé en 4’ à écouter comme un manifeste contre l’éphémère, best protest song so far), tantôt en Anglais (en vrac : Think of me et ses accords orientaux qui crisperont les fans de Dieudonné, I lost it et cette impression qu’on vient d’envoyer Judah dans l’espace à la recherche du chien Laïka) et parfois même en Espagnol (Las cincos de la tarde, un air de ramblas espagnoles qui vire à la complainte médiévale), un grand disque qui fait oublier toutes les jérémiades sans appétit. Un album de discothèque pour philosophes… une alternative idéale à Stromae ? Sûr que les intégristes de l’indie cracheront sur l’objet vendu au grand capital, mais depuis que la crise a touché les bourses de ces bourgeois précaires qui n’achètent plus de disques, qui se soucie de leur avis ? Certainement pas Pan European. Avec « Bruxelles », les voilà qui se lancent – logique – à la conquête du vieux continent. Ca vaut toujours mieux que d’exciter les jeunes incontinents.

Plus d’infos (et tous les disques en écoute) sur http://paneuropeanrecording.bandcamp.com/

Carte blanche à Judah Warsky le 6 février au Point Ephémère (Paris) avec Buvette et Flavien Berger, soirée Actionnaires #9 spécial Pan European le 13 février au Chaff (Bruxelles)

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