Danser comme un pantin désarticulé en transe au fond d’une cave aux murs transpirants : voilà à peu près ce que l’écoute du premier album de NZE NZE peut réveiller comme envie. Le trio formé des deux loustics d’UVB76 et du grand Sacred Lodge vient d’accoucher d’un premier beau bébé nommé « Adzi Akal », entre tapis rouge très noise et récits guerriers issus des mythologies fang (un peuple et culture essentiellement présents en Guinée équatoriale, au Gabon et au Cameroun). Pour l’occasion, on a questionné les membres sur le véritable intérêt d’une interview, avant de finalement parler musique, un peu.

Manger du métal ! Une expérience culinaire que votre dentiste vous déconseillera sûrement. À l’inverse du trio NZE NZE qui a décidé de nommer son premier projet comme tel en langue fang : « Adzi Akal ». Une invitation à la table d’un projet aussi mystique que transcendantal. D’où l’intérêt de demander à Gaëtan, Tioma et Matthieu quelques indices sur la façon avec laquelle on doit déguster ce mets d’une intensité rare.

Adzi Akal by NZE NZE

En discutant avec l’un d’entre vous du principe de l’interview, j’ai cru comprendre qu’il s’agit d’un exercice auquel vous n’aimez pas particulièrement vous prêter. Dans le sens où commenter votre travail vous semblait quelque peu désuet. 

Tioma : Parler des esthétiques ou des influences sachant que l’œuvre est déjà un manifeste, cela peut être vain. Par contre, l’œuvre ne peut pas tout verbaliser. À savoir, le processus de création, les techniques employées, l’historique, la chronologie ou les contextes d’enregistrement, en l’occurrence : notre résidence au studio RedBull ou le fait d’avoir eu notre première date avec Astropolis. Il est donc toujours intéressant, pour le public, d’en savoir un peu plus sur le cheminement et cet aspect du projet. Je ne serai pas forcément catégorique sur le fait que l’œuvre se suffit à elle-même. Cela peut s’avérer utile d’en parler après coup. Tout dépend ce que tu dis.

Matthieu : En plus, pour ce projet, on tente de mettre en place une atmosphère, une ambiance, un lore (synonyme d’univers dans les jeux vidéos, ndla) riche et profond. On le retrouve à travers le visuel et les sonorités. Parler de l’œuvre en soi n’est pas forcément ce qu’il y a de plus intéressant mais aborder tout ce qui nous y a amené peut se révéler très intéressant. Surtout qu’il s’agit bien souvent d’accidents, de phénomènes naturels ou instinctifs. Tout n’est pas conscientisé. 

C’est intéressant de ne pas trop en donner à voir aux gens.

Une interview se révèle utile lorsqu’elle donne des clés de compréhension (pas toujours évidentes à saisir) au public, c’est ça ? Faut-il donc continuer ?

Tioma : Je ne suis pas sûr… On en a déjà trop dit… Non mais oui bien sûr ! Expliquer le choix de la langue, la création de la cover, le rapport entre le titre et la forme graphique de la fleur peut aider le public à mieux saisir le projet. Mais une partie du public peut très bien apprécier l’objet sans bénéficier de ces clés-là et en même temps ça crée une couche supplémentaire d’informations.

Matthieu : Il faut réussir à trouver un équilibre entre ce que tu donnes à voir et ce dans quoi les gens peuvent se projeter. Il y a énormément de projets sur lesquels rien n’est donné mais qui sont tellement étoffés. Selon moi, Drexciya l’illustre parfaitement. En abordant l’esclavage, ce projet mythologique est si riche d’histoires. Et ce n’est que récemment qu’une bande dessinée est sortie pour expliquer l’étendue du lore. Pendant longtemps les gens ont fantasmé. Qui est derrière ? Pourquoi ? La construction humaine du projet s’est faite à partir d’éléments sporadiques. L’univers était tellement fort qu’il n’y a pas eu besoin de le verbaliser. Parfois ça peut justement venir casser l’approche innocente et imaginaire d’une œuvre.

Tioma : Lors de nos lives avec UVB76, on nous demandait souvent ce qu’on voulait raconter à travers. Et le fait d’imposer une histoire aux gens, tu les prends en otage quelque part, plutôt que de leur laisser une libre interprétation basée sur leurs propres bagages culturels. 

Matthieu : Ça limite ton œuvre ! 

Gaëtan :  On ne donne volontairement pas la signification. Les gens peuvent ainsi s’y intéresser et chercher.

Matthieu : Il y aussi des choses qu’on ne peut pas exprimer de la même manière en français qu’en fang. Certains mots n’expliquent pas les concepts de la même manière. Rien que l’idée de l’amour est très différente. En traduisant les paroles, on ajouterait une posture supplémentaire.

Tioma : C’est intéressant de ne pas trop en donner à voir aux gens. Il faut maintenir cet équilibre et garder du hors champ pour les gens !

Au travers d’un concert ou d’une interview, au-delà de l’aspect promotionnel, les artistes ne sont pas à l’abri d’apprendre quelque chose sur leur travail. Ça vous est déjà arrivé ?

Tioma : Bien sûr. Le dernier exemple qui me vient en tête remonte à une performance audiovisuelle avec UVB76 à Grenoble. Une personne m’avait confié avoir été terrorisée par une séquence. Ça lui avait fait peur tout comme un film d’horreur. C’était assez surprenant pour moi. Je nous pensais maîtres des émotions que nous voulons véhiculer.  Et en fait, ça t’échappe complètement. 

Matthieu : Après un des derniers lives avec NZE NZE, deux personnes sont venues nous voir à la fin pour nous expliquer à quel point c’était très fort et viscéral. Elles ne savaient pas comment gérer certaines de leurs émotions. Pas forcément négatives, mais trop intenses. Elles sont restées mais se sont battues avec ce qu’elles étaient en train de vivre. Comme une sorte d’inconfort. 

Tioma : C’est lié au premier geste de faire la musique, qui est le moins conscientisé. T’es dans un geste de création. Tu fais des jets. Plus tu avances dans la conception du titre, plus tu vas vers la conception du cover, du dossier de presse, etc. Jusqu’à te retrouver au pied du mur à devoir justement verbaliser les choses. Tu rajoutes la surcouche artificielle à ce moment-là.

Elle est nécessaire cette couche artificielle ?

Tioma : Oui bien sûr. Le but est que les gens sachent comment entrer dans le monde proposé. Le premier geste reste improvisé et n’est pas parasité par des considérations intellectuelles. Mais ensuite il faut donner des repères pouvant inviter les gens à venir nous voir en live alors qu’ils ne l’auraient pas fait juste avec l’écoute de l’album.

Gaëtan : C’est le fruit de discussions en amont. UVB76 est déjà une œuvre audiovisuelle assez complète, que, pour nous, ajouter de la communication pouvait paraître désuet. Le sujet était déjà très clair et très cerné. Pour NZE NZE, l’exercice de l’interview me paraît plus légitime et davantage intéressant. C’est nécessaire à un moment de se poser la question : qu’est-ce que NZE NZE ? Comment on en parle ? Etc.

Comme par exemple l’élaboration de cette pochette mystique ?

Matthieu : Nous voulions sortir du cliché du trop figuratif et du trashy. En étudiant la mythologie fang, je tombais de façon récurrente sur cette expression : Adzi Malan, signifiant “Manger la plante Malan”.  Ce végétal Malan (ou Alan) est utilisé dans de nombreux rituels de passage Bwiti traditionnel ou chez Biyeri. Aujourd’hui, elle demeure un élément central de la culture fang. Nous avons fait appel à Romy Texier. Cette artiste plasticienne a réalisé une fleur d’étain à la texture manufacturée. Le tout résulte d’un processus aléatoire durant lequel l’objet se forme goutte après goutte. Nous aimions cette dichotomie entre le produit métallique manufacturé en étain et la plante. Il y a un parallèle avec le transhumanisme. Le feu et le métal étant des éléments guerriers importants vus comme des formes d’augmentation ou de réparation des capacités cognitives, nous avons donc logiquement nommé le projet « Adzi Akal » : manger du métal.

Les processus de création semblent assez fluides entre vous. Vous vous connaissez depuis longtemps. Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ?

Gaëtan : À Paris ?

Matthieu : Non, à Rennes ? J’avais des amis en commun avec Gaëtan. Je l’ai déjà vu jouer avec Tioma sous UVB76 à l’Antipode, à Rennes. Ensuite, j’ai rencontré Tioma par le plus grand des hasards à Paris 8. Nous étions tous les deux en master de musicologie. Un jour en amphi, je remarque qu’il est sur la fiche technique de son rider UVB76 alors je suis allé le voir à la fin du cours. C’était marrant de se rencontrer dans ce cadre-là en suivant les mêmes cours pour finir par travailler ensemble.

Et comment est venue l’idée de s’enfermer en studio ensemble ?

Gaëtan : Astropolis nous a proposé de sortir un track sur leur compilation DÔME en collaboration avec un artiste issu de leur roster. On a directement pensé à Mathieu car on se connaissait déjà.

Tioma : On avait déjà sorti des productions de Mathieu sur notre label OKVLT sous l’alias Sacred Lodge. Il n’y pas eu de débat. Nous savions que nous allions nous retrouver tant humainement qu’artistiquement.

Gaëtan : Et c’est passé d’un morceau à une performance sur un système son spatialisé dans le cadre d’Astropolis Hiver 2021. Ça s’est très bien passé. À tel point qu’ils nous ont permis de réaliser une résidence d’une semaine au studio Red Bull à la Gaîté Lyrique de Paris.

Matthieu : On s’est alors retrouvé dans un studio avec énormément de machines et Thibault Javoy, un ingé son entièrement à notre disposition. Ce dernier a réalisé un gros travail sur les prises de voix et l’utilisation des processeurs d’effets. 

Cet apport technique au moment de l’enregistrement n’a-t-il pas créé un trop gros décalage par rapport au live ?

Tioma : Le live c’est un autre exercice mais la question que l’on se pose concerne nos prochains enregistrements. Car nous n’aurons plus accès aux mêmes conditions et aux mêmes outils. On a quand même un peu de modulaires, un drum pad et quelques autres instruments à notre disposition. Ce qu’on veut d’ailleurs mettre en avant le plus possible pour s’éloigner le plus possible du processus de création uniquement sur ordinateur. Et en live, même si l’ordi est nécessaire, l’objectif est de lui donner la place la plus minime possible pour s’en détacher. À la voix pour Mathieu c’est différent mais pour Gaëtan et moi, on a très vite vu les frustrations que l’on pouvait avoir en étant sur nos ordis. D’où l’utilisation d’un drum pad et de baguettes. Nous voulons pousser l’interactivité avec le public en donnant à voir des gens jouer et sortir cette vision opaque de mecs qui touchent juste des boutons. D’ailleurs, on s’en est rendu compte sur ce projet. Les morceaux les plus évidents sont ceux qui n’ont pas débuté sur l’ordinateur pour lesquels tout s’est fait à partir d’une boucle percussive en la travaillant à l’aide du Tape Echo SRE 555 de Roland et d’un Ensoniq DP4 du studio RedBull. Et je pense que d’une certaine manière, le public peut le ressentir car pour moi, les sons formatés par l’ordinateur sonnent moins fluides.

En écoutant le projet, on se prend dans la gueule une énergie tribale assez puissante. Ça donne l’impression d’un état de transe très cathartique lors de l’enregistrement. Je me trompe ?

Matthieu : Il y a évidemment un basculement. Quand j’essaie de répéter chez moi – à bas volume sinon mes voisins me prennent pour un fou – je n’ai ni la même diction, ni la même prononciation. Ce n’est pas aussi fort qu’en live ou lors des prises de voix à l’enregistrement car il faut tout donner. En studio, le micro est devant toi, tu ne dois pas bouger ta tête. Sur scène, ça n’a rien à voir, le jeu fait partie de la chose. Il y a le mouvement du corps et ma voix n’est pas forcément la même. Je répétais chez moi à Montreuil et un de mes voisins est déjà venu sonner. Il a demandé à mon coloc si je ne souffrais pas trop et s’il ne fallait pas m’emmener à l’hôpital… 

Comment vous en êtes venu à vous mettre d’accord sur le fait que Matthieu chante en fang ? Était-ce une langue que Tioma et Gaëtan vous connaissiez ? 

Matthieu : Juste avant de démarrer cette collaboration, je venais d’entamer un travail de recherche personnelle sur une partie de mon identité. Au vu de mon contexte familial, il est compliqué de recueillir des informations sur mes origines liées à la Guinée équatoriale. Je n’ai plus de contact avec mon père. Opposant politique au régime dans son pays, il est impossible pour lui et donc difficile pour moi d’y aller. J’ai donc décidé d’étudier le fang, une des langues principales du pays. Quand j’étais petit, mon père me parlait en fang, je nourrissais une envie personnelle de reconnecter avec cette langue. Je suis arrivé avec ce truc là auprès de Gaëtan et Tioma et les choses se sont faites naturellement.

Le plus intéressant, c’est de voir les publics se connecter différemment aux morceaux selon leurs bagages culturels. 

Il m’a semblé que vous avez livré plusieurs performances avant de sortir le moindre titre. Est-ce que le live devant un public vous a (aussi) permis de faire le tri dans les morceaux à mettre sur l’album ?

Gaëtan : À part un morceau qu’on a mis de côté très rapidement après deux trois lives car il sonnait techno industriel très bas du front, ça n’est pas le cas ! 

Tioma : On n’a pas produit un album pour produire un album. L’initiative de départ était d’arriver avec un live complet. On a produit des morceaux pour faire un live en sachant que ça allait aboutir ensuite. En un an et demi, on s’est produit dans des contextes très variés : au Trempo à Nantes avec des artistes rap, au Meta à Marseille, à Astropolis où c’est davantage rattaché à la scène électronique, ou encore à 3h du mat au festival Ideal Trouble à la Station Gares des Mines, à Paris. Le plus intéressant, c’est de voir les publics se connecter différemment aux morceaux selon leurs bagages culturels. 

NZE NZE // Adzi Akal // Teenage Menopause
https://nzenze.bandcamp.com

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