Il ne se passe plus six mois sans nouvelles de Neil Young. Productivité testamentaire? C'est sûr que le Canadien en a des tonnes à raconter et 2014 aura vu la sortie de deux albums studio, des lives passés, un lecteur (Pono), un nouveau bouquin et un divorce. Il truste l'actu sans twitter ni selfie et donnerait presque l'impression de revenir alors qu'il n'est même pas parti, et la nouvelle étape/décennie discographique qu'il a entamée avec Le Noise a tout d'une véritable croisade où le processus d'enregistrement semble être un motif à lui seul comme le prouvent encore le dernier né, Storytone.

« Storytone » prend particulièrement sens au regard des disques précédents. Et même si nous l’isolions il s’en dégagerait quelque chose de spécial, preuve que parler pour ne rien dire (spécialité de la modernité) ne fait toujours pas partie de la syntaxe youngienne.

A ceux qui craignent que Neil Young n’ait eu des idées de grandeur, je vous rassure. Quels que soient leurs arrangements, ces chansons restent des morceaux simples et sans détours. Pas de crise élitiste ou de fumeux coup de fin de carrière (celui qui happe tous les groupes de hard rock proches de la retraite). Nous avons ici une appropriation, quelquefois douteuse certes, mais qui cherche toujours à rajouter de la chaleur sans virer démonstration. Baguette de chef d’orchestre certes, mais toujours en chemise à carreau.

Alors : qu’y-a t-il de nouveau dans ce Storytone?

Un disque dont la version deluxe scinde le concept en deux parties. On l’a déjà vu (« Greendale studio »/live, « Harvest Moon »/ »Dreamin Man »…). Des orchestrations classiques? Déjà vu sur « Harvest« . Une palette musicale qui revisite l’Amérique par époque. Déjà vu aussi mais disséminé dans son œuvre (« Prairie wind », « Americana » et toute sa période Geffen). Prise live? La routine. Pour ma part s’il y a quelque chose qui m’extasie encore chez lui et c’est le cas, c’est bien la façon dont son âge nourrit son œuvre. Depuis quatre albums, il multiplie les expériences et les sorties d’héritage (deux volumes de bio, un nouveau coffret d’Archives qui devrait arriver). Son entourage part  ? Lui se prépare et fait son legs à l’histoire, affrontant encore avec un courage peu commun les frontières qu’il a déjà tant délimitées en cinq décennies.

Plastic flowers prouvera une fois pour toute que Neil Young peut enchanter autant à la guitare sèche ou électrique qu’au piano. Un morceau prompt à nous laisser dormir avec les anges (1994), et une obsession mélodique qui réapparaît régulièrement dès qu’il touche au clavier. Who’s gonna stand up est celle dont le double visage m’a le plus convaincu car son immédiateté y reste intacte. Ce que j’apprécie aussi, même si l’écoute ne m’a pas toujours convaincu, c’est ce manque de coordination voire d’anticipation. Faire coûte que coûte. Aussi I want to drive my car est totalement décalée avec son orchestration style Chicago blues. La ligne de voix grave ne lui sied pas du tout. Et la version orchestrée de Say Hello to Chicago laisse perplexe. Désolé cher Loner, tu portes aussi mal le costard à la Sinatra que ces arrangements supportent ton look de pêcheur. Mais mine de rien, dans cette totalité qui constitue l’œuvre d’une vie, on ne pourra nier qu’un coup de fraîcheur fait parfois du bien (même si avec « This note’s for you » il avait tenté le coup).

Storytone

La dimension du son de « Storytone » impressionne même si certains titres laissent perplexes.

La dichotomie qui a toujours habité ce mythe, c’est à dire cette rencontre du bois et de l’électricité autant que ce besoin de solitude qui le dispute à celui de fusion (la magnifique danse de Crazy Horse, le groupe le plus fusionnel qui soit) trouve ici un nouvel écrin. Et si cette dichotomie était l’aspect le plus cohérent de son œuvre? Pour ce qui est de Storytone, l’équilibre n’est pas évident, et personnellement la face solo en ressort gagnante. Oui « Dreamin Man » squatte ma voiture. Mais Ordinary People sur « Chrome Dreams II » montrait que le big band à cuivre pouvait relever à la magie. Je n’y suis donc pas fermé mais si Tumbleweed est très touchante et sincère en solo, sa version orchestrée sonne gala télévisé ou Christmas album. Reste la voix bien sûr. De là à dire qu’il y a 92 musiciens de trop serait superflu (sic), sauf par moment. Rajoutons à cela quelques morceaux bien faiblards (Like you used to do), et voici un de ses disques les plus déséquilibrés, parfois trop sec, d’autres fois trop gras tout en pouvant être trop léger. Sacré challenge. Reste quelques-uns de ses titres les plus sensibles comme I’m glad I found you, aussi beau que Philadelphia, qui résiste magnifiquement à la schizophrénie du concept tout comme Glimmer.

Le « dispositif » que Neil a choisit ici en se limitant au chant pour la partie orchestrée avec une prise live avec 92 types, est parfois plus intéressant que son résultat. L’expérience, l’aura du moment, voilà ce qu’il cherche. En d’autres mots: le frisson. « Storytone » est l’album d’un mec toujours autant passionné et qui après avoir changé la vie musicale de millions de gens (sans lui jamais je n’aurais commencé la sèche) n’a pas peur de se planter, de narguer l’ordalie des critiques pour la cinquantième fois au moins. Rien que pour ça j’ai aimé cet album, son esprit, parfois même plus que ses chansons (si si).

A l’heure où presque tous les groupes indépendants se disputent la couronne du roi de l’nderground en jouant pour des tremplins sponsorisés par la Caisse d’Epargne ou le Crédit Mutuel, la vraie histoire s’écrit avec ses grands moments et ses faiblesses, ses révélations et maladresses, son chemin. Le but ultime c’est de rester le seul à décider de ses virages et lignes droites. Neil Young est un des rares à faire de ce choix un moteur de son plaisir dont il nous offre aujourd’hui l’un des possibles.

Neil Young // Storytone // Warner
www.neilyoung.com/

Photo of 225 Young Neil

10 commentaires

  1. il n’a jamais sonné aussi américain en fait. c’est peut être ça qui bloque héhé! oui les arrangements big band c’est vraiment mal vu. Et les orchestrations marchent sur certains titres, pas sur d’autres. Par contre les titres en solos s’en sortent bien mieux. Aurait-il voulu prouver qu’il fait mieux seul que 92 personnes? On le croirait

  2. mon papier n’est indulgent que grâce à la face solo! pourtant j’ai voulu y croire, mais il n’y a pas à dire, nous sommes loin de Travelogue de sa chère consœur et hôte passée Joni Mitchell. Il aurait dû l’écouter avant de tenter

  3. Ouaip,Fan de la première heure (et l’âge qui va avec), et bien…pour tout dire, ce disque m’emmerde ! Tout autant que j’ai trouvé passionnant son avant dernier projet avec Jack White, au point d’acheter le coffret !!! Pas grâve Neil, je t’Aime !

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