Ici, pas question de faire fortune dans le Nouveau Monde. C’est seulement l’histoire de « Nachthorn », le nouvel album de Maxime Denuc enregistré sur un orgue d’église MIDI. Au programme, rave d’église, Bach, expérimentations sociologiques et musicales.

Rien à voir avec le Klondike : cette ruée vers l’orgue se passe à Düsseldorf, en Allemagne. C’est là-bas que Maxime Denuc s’est rendu pour composer et enregistrer son nouvel album, « Nachthorn », sur l’orgue MIDI de l’église Saint-Antonius. Pour autant, l’artiste n’est pas vraiment un organiste au sens classique du terme, il est plutôt connu pour sa musique électronique, qu’il produit seul ou avec son duo Plapla Pinky. « Je suis autant imprégné de techno que de musique classique, et l’idée du disque est de faire de la musique électronique avec les codes de la musique classique ». Et avec un orgue d’église branché sur ordinateur, donc.

La ruée vers l’orgue de Maxime Denuc commence en fait en 2010. Grand admirateur de Bach, il découvre la composition sur orgue autour d’un festival toulousain de musique baroque. Cinq ans plus tard, avec son acolyte de Plapla Pinky, il enregistre « Appel » à l’église du Chant d’Oiseau de Bruxelles, un album qu’il qualifie de « rave d’église ».

« Je pense qu’on avait dans le fond l’idée de trouver de nouvelles formes de sacré, autant que de mélanger les mondes, ramener les gens vers le classique. Si l’on prend Bach, c’est la pop music de l’époque, mais elle n’existe pas sans la religion et le sacré. Comme disait Cioran, s’il y en a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu ».

 

L’expérimentation sur orgue de Maxime Denuc prend un nouveau tournant au petit matin du dimanche 22 septembre 2019, quand la rave d’église devient une expérience concrète non seulement pour l’artiste, mais aussi pour son public. À l’issue d’un festival techno toulousain, Maxime Denuc rassemble la foule pour un after dans l’église publique du Gesu. Il y joue alors sa pièce d’orgue « Solarium », un long drone de trois heures, au lever du jour, quand les premiers rayons de soleil percent timidement dans les vitraux. « J’étais plus attiré par l’expérience sociologique du projet que la pièce musicale en soi, c’était passionnant confie-t-il, j’ai vu des jeunes se mettre en cercle et jouer aux cartes pendant des heures, et d’autres complètement en transe ».

La question du cadre d’écoute de la musique est en fait centrale dans le travail de Maxime Denuc. Non seulement musicien, il est aussi imprégné d’un bagage académique sociologique et mène actuellement une thèse à l’EHESS sur les dispositifs et discours autour des différentes formes de musique. « J’ai toujours eu un panel musical très large, mais il faut reconnaître que les musiques dites savantes ont souvent un dispositif très difficile d’accès ». En effet, celles-ci sont souvent imprégnées d’un corpus de codes stricts et portent avec elles un capital culturel et symbolique très chargé, souvent l’apanage de classes sociales plus favorisées.

D’ailleurs, depuis la création du concert symphonique aux alentours de 1850, sa forme n’a pas vraiment évolué et a même conditionné les autres manières d’écouter et vivre la musique, avec des codes clairs et stricts. « Tu dois être absolument silencieux pendant l’écoute, rester immobile, applaudir à la fin, tu dois avoir une manière d’apprécier la musique… j’ai de plus en plus de mal avec la forme classique du concert, mais ce genre de cadre très strict et très ancré se retrouve aussi dans des musiques plus actuelles comme le rock ou les musiques expérimentales. C’est difficile de faire bouger les lignes, que ce soit pour la musique en elle-même ou la manière de la jouer ».

Revenons à nos moutons, orgues d’église et autres afters cléricaux. Lorsque Maxime Denuc propose « Solarium », l’expérience est un franc succès et une tournée se dessine. Là-dessus, le covid arrive sur son cheval de bataille et tue dans l’œuf un projet prometteur. Mais l’artiste ne s’avoue pas vaincu. Et alors que le pays est en pause, il mène quelques recherches sur les orgues d’église équipés de système MIDI : des orgues contrôlables et modulables par ordinateur, qui deviennent ainsi un synthétiseur monumental à la résonance de cathédrale. « Je suis tombé sur le site d’un fabricant d’orgues MIDI qui recensait toutes les églises qui en étaient équipées. J’ai envoyé une série de mails pour expliquer mon projet de travailler sur ces machines et j’ai fini par avoir une réponse positive ».

Cap sur l’église Saint-Antonius de Düsseldorf. En plein confinement, Maxime Denuc est détenteur du Graal, le sésame qui lui permet non seulement de mener à bien son projet, mais aussi de voyager à l’envi en Allemagne. C’est le très enthousiaste Marcus Hinz qui l’accueille, lui donne les clés de l’église et carte blanche pour y travailler.

« C’était comme une résidence dans l’église. Je travaillais sur l’orgue de 9h à 23h tous les jours, avec seulement des pauses pour les messes. Parfois, je voyais des gens prier en bas et j’étais presque gêné de jouer ma musique, mais Marcus me disait que c’était au contraire tout à fait adapté. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les gens d’église peuvent comprendre l’idée et l’attrait pour le sacré. Marcus voulait vraiment faire avancer la musique d’orgue ».

En effet, l’association de l’ordinateur et de l’orgue permet de transcender l’instrument, autant que la manière classique de l’utiliser. Maxime Denuc compose sur logiciel avec la précision chirurgicale des musiques électroniques, et mène l’orgue comme un chef d’orchestre. « On dépasse les limites de l’instrument, un organiste seul ne pourrait pas physiquement jouer cette musique ». Ainsi, l’artiste ne cherche pas à faire de l’ombre à l’orgue classique, ou l’enterrer, mais simplement explorer de nouvelles manières d’en jouer. Et à l’inverse, l’instrument a aussi son propre son, ses modules et un cadre qu’il est impossible de dépasser : « l’orgue façonne aussi sa propre musique ».

Et pour le live ? L’inconvénient de l’orgue d’église est qu’il est difficile de transporter l’orgue, ou l’église, en tourbus. Maxime Denuc réfléchit donc à travailler sa nouvelle pièce sur un système d’orgue MIDI transportable. Mais cette machine est évidemment beaucoup plus petite, ce qui reviendrait finalement à réadapter complètement son projet. « Ce sont les limites et les découvertes de mes projets qui me poussent à en explorer d’autres. Il y a encore beaucoup de choses à dire sur l’orgue », conclue-t-il avec un sourire énigmatique.

Maxime Denuc // Nachthorn // Sortie le 21 octobre chez Vlek
https://maximedenuc.bandcamp.com/album/nachthorn

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