L’histoire de la musique est peuplée de bouteilles à la mer qui mettent des années à remonter à la surface. Celle du batteur des Stinky Toys et de Mathématiques Modernes, Hervé Zénouda, aura mis 40 ans à arriver à l’expéditeur, mais son contenu est bien chargé : l’album « Lonesome Harvest: Re​-​enactment N°1 », débuté en 1981, au carrefour entre la mort du punk et de la naissance du Mitterrandisme, et finalement publié en 2022, est un magnifique brouillon à la fois définitif et inachevé qui sonne comme un échos aux aventures new-yorkaises de Lou et quelques autres.

 Un gros lecteur à K7 sur lequel on appuierait compulsivement sur les touches avance rapide et marche arrière ; voilà en résumé à quoi pourrait ressembler une partie de plus en plus importante de l’histoire du rock. L’édition imminente de démos inédites de Lou Reed chez Light In The Attic (« Words & Music, May 1965 », sortie le 26 aout prochain), majoritairement enregistrées dans l’appartement mal insonorisé de Reed, en compagnie du futur Velvet John Cale, en est le dernier exemple ; le plus saillant sans doute, de la fascination exercée par le squelette, l’esquisse, le pointillé pas encore relié qui laisse deviner à quoi ressembleront des titres comme I’m waiting for the man ou Heroin.

Mais il n’est pas forcément nécessaire d’avoir fait une carrière outre-Atlantique, ni d’avoir été imbuvable tout du long en sabotant la dernière ligne droite jusqu’à crever d’une mort très conne (une complication de greffe du foie pour Lou, qui aurait « fêté » ses 80 ans en 2022) pour revenir du passé avec des titres préhistoriques. Plus près de nous, à cinq arrêts de métro, c’est aussi l’histoire d’Hervé Zénouda, batteur du gratin punk et after-punk français (Stinky Stoys, Guilty Razors, Mathématiques Modernes) ; un homme qui dès le début des années 80, sentant que la fête est finie, se met en tête de voler de ses propres ailes pour un hypothétique premier album qui va mettre 40 ans à voir le jour.

Démos de minuit

Fasciné par New York et le bruit qui y secoue les murs, de Television aux Feelies, Hervé rêve de s’exiler quand tant d’autres continuent, dans une grande désespérance, à rêver d’un lendemain pour le punk parisien. Ce sera sa grande chance, autant que son grand malheur. Par la beauté d’une rencontre improbable avec Gregory Davidow, leader éphémère du groupe art-punk hongrois des Spions, voici Mitzpah formé. Entre Paris et New York, un destin se dessine. Mais tout est rapidement gommé ; les démos peinant à convaincre qui que ce soit que le duo peut rivaliser avec Téléphone ou les Rita Mitsouko. C’est-à-dire que Mitzpah ne joue pas vraiment dans la même catégorie : pas de tubes, peu de connexions, le bateau prend l’eau et Zénouda repart avec ses chansons sous le bras, oubliant son grand projet pour se diluer peu à peu dans des disques de seconde division Discogs tout en écrivant des musiques pour des courts-métrages et des CD-ROM.

Hervé Zénouda, en mode Syd Barrett
Gregory Davidow

 

L’ombre d’Andy

L’injustice étant parfois bien faite, il arrive qu’on cogne la malle d’un trésor avec un simple coup de pioche. En 2020, le label Pop Supérette entreprend de (re)donner vie à ces chansons mortes-nées. « Hervé est un ami que j’avais rencontré pour un projet sur les Stinky Toys (à paraître à l’automne, Ndr) explique Pierre Søjdrug du label toulousain, il avait ces démos, pas suffisamment bonnes pour être sorties comme ça, mais qui ressuscitaient une parfum de 1978 que j’ai connue à Paris. La nécessité d’inventer une modernité en rupture avec les clichés pop anglo-saxons ».

Le fait d’évoquer Reed en amorce de ce papier est tout un hasard : alors qu’on aurait pu craindre un reboot raté avec un vieille légende du punk bégayant ses fondamentaux sur un album mal photoshopé excitant mollement les anciens combattants du Rose Bonbon, « Lonesome Harvest », ré-enregistré par Zénouda avec la majorité des musiciens d’époque, sonne comme une étonnante bouffée d’oxygène. Des comptines insouciantes, un parfum low-fi, une voix imparfaite qui rentre dans les os, quelques chansons comme Pardon qui renvoient au traitement des guitares à l’intersection 70-80, mais lavées de toute la ringarditude parce que son auteur, plutôt que de lorgner vers Belleville, regardait dès 1981 vers Manhattan. Ce regard vers le haut, dans une uchronie martienne, donne à « Lonesome Harvest » comme un air du « Songs for Drella » de Reed et Cale, pourtant enregistré 9 ans après le début de l’album inachevé de Zénouda. Et c’est d’autant plus difficile de ne pas penser à Lou Reed qu’Andy Warhol est cité dès le premier titre.

D’autres fantômes viendront s’agglomérer, comme ceux de Rowland S. Howard sur le sublime Notre Dame, ou même celui du Français oublié Maxim Rad (signé chez feu Motors) sur Penal Servitude. Dit autrement : cet édifice ayant mis 40 ans à sortir de terre, loin d’être un tombeau, exhume sec son cortège de légendes d’un temps oublié, offrant ainsi à l’ancien batteur des Stinky, si ce n’est une sortie de prison, du moins une réhabilitation méritée, et d’autant plus sublimée par la pochette réalisée par Loulou Picasso du collectif Bazooka.

Rares sont les punks français, ou qualifiés comme tels, à avoir bien géré leur survivance, leur mort voire même leur postérité. Avec ce document d’époques au pluriel, c’est une autre notion du temps qui est offerte à l’auditeur. Comme quoi, même sans timbre, certaines lettres peuvent arriver aux bons destinataires pour peu qu’on relève correctement le courrier.

Mitzpah // Lonesome Harvest Re-enactment N°1 ( Paris 1981) // Pop Supérette
https://mitzpah.bandcamp.com

5 commentaires

  1. très chouette album. très agréable. la voix de G. Davidow est tout de même parfois discutable …. cette diction ….. ou prononciation anglaise à la hache. on parle même plus de compréhension là. mais ça passe. sauvé par les mélodies (certaines superbes) et atmosphères !

    L’enchainement Seventh Trumpet / Lost Shepherd/Lenght of Life est prenant.

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