L'heure des tops de fin d'année arrive avec cette question fatidique: quels sont les disques qui t'ont marqué en 2015 ? C'est là que l’on s’aperçoit que le «Crafted» de l'italien Madato est définitivement dans le haut du panier. Histoire d'en remettre une couche, on a profité de son passage à Paris pour s'entretenir avec le jeune prodige Italien.

madato-profil-credit-luca-di-martino-614x921Il est minuit et demi un samedi soir. Nous sommes au Trabendo, situé dans le parc de la Villette. On a rendez-vous avec Andrea d’Amato, 27 ans, le nouveau punk Napolitain qui joue ce soir-là. Arrivé dans la salle, je m’étonne qu’il y ait autant d’hommes dans l’assistance. C’est seulement après avoir croisé trois drags queens, un stand de capotes et des petits minets en train de se rouler des pelles dans tous les coins que je me rends compte que c’est une soirée gay. Si ma perspicacité légendaire me joue encore des tours ce soir, une chose est sûre : l’album « Crafted » de Madato, lui, est bien une des claques musicales de l’année. Qui d’autre est arrivé à manier les références postmodernistes avec tant d’élégance, de classe et de maitrise ? Je suis en train de me dire ça quand je me rends compte que l’ambiance monte d’un cran autour de moi. Les mecs commencent à se mettre torse nu et à dandiner du cul : entouré de jeunes éphèbes tous plus beaux que moi, j’ai l’impression d’être dans le film Nowhere de Gregg Araki. Backstage, l’italien est là : lunettes élégantes d’intello new yorkais, k-way North Face et grand sourire. A côté de nous, les queens de la soirée se maquillent en riant et mettent au point leurs costumes : une robe confectionnée à partir de Ferrero Rocher…

Ciao Andréa, à Gonzaï on a adoré ton disque, tu sais…

Oui, j’ai vu ça, vraiment je ne sais pas quoi dire, ça me touche. J’ai demandé à un ami de me traduire l’article car je ne comprends pas le Français, ah ah !

Comment es-tu arrivé dans la musique ? On ne sait pas grand-chose sur toi…

Disons que quand j’avais 13 ou 14 ans, mon grand frère était Dj. Il avait cette grande collection de vinyles de house music. C’était le début des années 2000. C’était ma première connexion au monde de l’électronique, au sens général j’ai envie de dire: pas seulement house ou techno. Juste après ça – j’avais 15 ans je pense – j’ai commencé ma propre collection de disques parce que je ne voulais pas dépendre de mon frère, une espèce d’anticipation en quelque sorte. Et un jour tout a basculé quand je suis tombé sur un disque du groupe Neu! J’ai pris une vraie claque avec ce disque. J’étais complètement ébahi par ce style, leur musique. Ce qui a ouvert mon esprit à la créativité et m’a fait comprendre ce qui est possible d’entreprendre. Ce groupe a été très significatif pour moi; vers 17 ans j’étais dans ce mood Krautrock. Tu sais pour beaucoup, Kraftwerk est la pierre angulaire, le groupe par lequel tout le monde entre dans la musique électronique. Ce sont les classiques. Pour moi cela a véritablement débuté avec le groupe Neu!

Tu sortais dans les clubs, tu as commencé comme DJ ?

Oui bien sûr, comme j’achetais des disques je voulais les mixer ensemble. J’ai commencé quand j’avais 16 ou 17 ans. Dans des soirées qui avaient une approche très commerciale. Je jouais là-bas avec une seule règle : je passais ce que je voulais, une musique complètement différente. Le deal avec les patrons était que j’étais supposé ramener au moins vingt-cinq personnes à la soirée. Je leur montrais une poignée de tickets en disant «ouais, ouais je les ai tous vendus» puis je les jetais (rires). Je m’en fichais, ce qui comptait c’est que je joue mes disques. Ça marchait bien puis j’ai arrêté de faire le dj et de passer la musique des autres pour me concentrer sur la production et composer ma propre musique. Même encore maintenant c’est toujours le cas : ma priorité numéro un c’est de faire de la musique en studio et la seconde, de la jouer en live.

Et c’était comment, la techno à Naples ?

Naples a toujours eu une forte histoire de culture club. Dans les 90’s il y avait des djs comme Marco Carola, Danilo Vigorito par exemple. Ils jouaient tous dans ce club légendaire qui s’appelait le Velvet club à Naples: c’était sulfureux, petit, sombre et underground. Ces mecs ont fait l’histoire. Ce que je vois maintenant : même les nouveaux producteurs Italiens qui sont en train de monter au niveau international viennent de province. C’est très intéressant car il y a plein d’énergie là-dedans, c’est très excitant.

Ton EP précédent: »Portrai » était très connoté 80’s new wave. L’album « Crafted », lui, est plus post punk grinçant. D’où te vient cet amour du punk froid ?

Je suis très fier de « Crafted » car il contient toutes les influences qui m’ont nourri et traversé depuis toutes ces années. On peut y trouver bien sûr du post punk, mais aussi les influences de l’indie-dance, de la new wave ou des trucs plus disco dans une vibe du label Factory de Manchester. Je suis un grand fan de Section 25 par exemple, qui a fait des disques incroyables. Le groupe P.I.L ou A Certain Ratio aussi. « Crafted » est vraiment un vecteur de ces influences. J’ai construit l’album comme cela. La majorité des tracks ont débuté avec un squelette indie et post punk accompagné de vocals. Puis j’ai ajouté des éléments plus dance et techno. Comme la track My Fellini où il y a des guitares et des effets dans tous les sens, mais sur un beat techno. Ou encore un morceau comme Oh Lover avec de la trompette ou encore Leg In Plaster qui sonne très club.

En parlant de Leg In Plaster, quel est le sens des paroles ? Elles m’obsèdent…

Ah! Ah ! C’est une histoire assez drôle, tu sais : quand j’enregistrais ce titre, j’étais avec mon demi-frère de neuf ans, et il s’était cassé la jambe. Il n’arrêtait pas de gémir de douleur, à se plaindre du fait qu’il ne pouvait rien faire. Moi j’essayais de faire de la musique, et je l’entendais pleurnicher dans la pièce à côté. Il fallait que je trouve des paroles, et ça m’est venu comme ça: «Garçon ne pleure pas, mets ta jambe dans du plastique – boy don’t cry, put your leg in plaster ». Parce qu’il avait peur de se mettre un plâtre, c’est de là que viennent ces paroles bizarres, ah ah !

Et 17 Miles ça parle de quoi?

J’adore conduire en écoutant de la musique. Et 17 Miles fait référence à un trajet entre San Francisco et un endroit qui s’appelle Sausalito. Cette longue route californienne s’appelle la 17 miles drive. J’ai imaginé l’histoire très simple d’un couple : ils sont ensemble à boire un café, et la fille veut aller faire un tour. Le mec imagine que si elle veut s’en aller c’est pour le quitter. Les paroles font écho à ce qu’il se passe dans sa tête alors: « 17 miles c’est trop, je ne peux plus faire 17 miles avec toi- 17 miles is too much, I can’t do 17 miles anymore ». C’est une histoire d’amour qui se finit.

Comment t’es venue l’idée de faire un album long format ? Dans la scène club on est habitués au maxis..

Même si je vois mes EP précédents comme des petits albums, je ne savais pas que j’allais réaliser un long format au moment où j’enregistrais les morceaux. Je ne sais pas comment cela se passe pour les autres artistes, mais pour ma part je n’étais pas assis en studio en train de me dire « ok, là je bosse sur un album ». Pour tout te dire, je sortais d’une période assez sombre et bizarrement très créative. Et je ne pouvais plus rien produire après. Cette période m’as rincé, vraiment. J’étais dans le studio en train d’essayer des trucs, mais rien ne venait. Et puis j’ai recommencé à faire de la musique qui avait du sens pour moi. Et je n’ai pas arrêté, pour ne pas perdre la flamme. A la fin je me suis retrouvé avec onze ou douze morceaux, peut-être. J’en été vraiment content, j’ai vu la cohérence entre eux. Je me suis dit : pourquoi ne pas proposer au label de faire un album ? Pris indépendamment certains sont très différents : par exemple My Fellini et Magic, avec le recul, quand ils se retrouvent sur un album cela forme un ensemble, ils se font écho. C’est de cette façon que « Crafted » a vu le jour. Puis j’ai eu la chance de mixer l’album avec Marc Houle à Berlin. J’ai passé presque un mois avec lui dans son studio. Il a juste réalisé un travail de mixage magnifique sur l’album. Je lui en suis reconnaissant.

En tant que dj d’une petite province italienne, comment s’est déroulé ta rencontre avec Magda, Troy Pierce et le label Item & Things ?

La première connexion a eu lieu une nuit à Ibiza en 2008. Magda et Troy Pierce jouaient ce soir-là, moi j’y suis allé juste pour faire la fête comme n’importe qui d’autre. Et j’ai été réellement impressionné par la musique, la lumière, le club. La musique ce soir-là était la bande son parfaite de la soirée. Et je me suis dit : « ok, maintenant ce que je veux faire, c’est retourner dans mon studio et créer de la musique qui pourrait coller à l’atmosphère de cette soirée, qui pourrait coller au climax ». Mon unique but à l’époque était d’envoyer ces morceaux à Magda et Troy Pierce pour qu’ils puissent les jouer. C’est ce que j’ai fait : je me suis enfermé dans mon studio d’août à septembre 2008, chaque jour sans relâche à travailler sur une vingtaine de morceaux, tous inspirés par l’ambiance de cette soirée à Ibiza. J’ai tout envoyé à Troy Pierce, j’avais obtenu son adresse mail par un ami. Je me souviens du mail, tout seul chez moi, du style : «hey, moi c’est Andréa je viens d’Italie, j’ai 18 ans, j’ai fait ces morceaux, bla bla bla». Et il ne m’a jamais répondu…  J’étais tellement frustré, tu sais. J’étais vraiment obsédé par ça, ça me rendait malheureux, en fait. J’avais passé toutes mes vacances scolaires sur ces putains de vingt morceaux, et je n’ai pas eu une seule réponse. Un jour j’étais en train de mater un mix de Troy Pierce sur Youtube enregistré à Berlin. J’ai laissé la vidéo jouer en fond sonore, et je suis allé aux toilettes. Tout à coup, je me dis « ouais, je connais ce morceau », je suis revenu devant mon ordinateur pour écouter plus attentivement. Et j’ai reconnu le morceau que j’avais envoyé 3 mois auparavant ! Je revois encore la scène: Troy Pierce qui mixe devant 10 000 personnes, avec les écrans LED géants derrière lui. Et moi en pyjama au bord de la dépression devant Youtube ! C’est comme ça qu’en cherchant, j’ai vu que Magda et Troy jouaient trois ou quatre des morceaux que je leur avais envoyé durant leur set. Et finalement j’ai enfin reçu un mail trois mois après de la part de Troy, c’était en décembre. Il disait «hey, je suis avec Magda, on aime ta musique on aimerait sortir un disque !». Et donc voilà, je les ai rencontré à Londres plus tard, c’était deux ans avant mon EP « Speak Of The She Devil », ils étaient en train de lancer le label Item & Things. C’est vraiment incroyable pour moi.

https://youtu.be/BN8VIC6mVrc

A t’écouter, il y a une approche autre que la musique : tu parles de lumière et d’atmosphère.

Tout à fait, oui. La musique est une chose, et puis il y a tout le reste. Si tu veux tout savoir, mon premier amour c’est le cinéma. Mais malheureusement je ne suis pas capable de faire de la mise en scène et de réaliser un film. C’est pour ça que ma façon à moi de faire du cinéma, c’est de faire de la musique.

Comme des petites histoires ?

Oui, c’est ça. La musique est un médium pour raconter des histoires, faire voyager les personnes et installer une ambiance, un climax. C’est la soundtrack pour une expérience. Je suis conscient de cela. J’ai eu quelques expériences au théâtre. J’ai fait de la musique pour une tragédie, en Italie. J’ai eu cette liaison entre la musique, les décors, la lumière. Tenter de capter l’atmosphère.

Quels sont les cinéastes dont tu te sens proche et avec qui tu rêverais de travailler ? Paolo Sorrentino peut être ?

J’adore Sorrentino, oui. Il est devenu un grand réalisateur et un grand storyteller. Sa scénographie, sa photographie, le cadrage : c’est merveilleux. C’est comme du Kubrick, réellement. Travailler avec lui serait un honneur. Je sais en plus qu’il prend beaucoup de soin à choisir la musique pour ses films, c’est quelque de très important pour lui. Même si c’est impossible, j’aurais aimé travaillé avec François Truffaut, bien sûr. C’est un de mes préférés. Je suis vraiment impressionné par Alejandro Innàritu aussi. La façon dont il construit ses films. J’essaie de faire pareil à mon humble niveau.

Madato // Crafted // Album de l’année toujours disponible chez Item & Things.
https://www.facebook.com/madatomusic/

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