Si l’ours des Pyrénées est une espèce en voie de disparition, il en est de même pour les vieux grognards du Rock’n’Roll. A l’abri des regards indiscrets mais pas très loin de Perpignan, Pascal Comelade et les Liminanas ont tenté un rapprochement nommé « Traité de guitarres triolectiques », disque instrumental qui n’empêche pas les coups de (g)riff(es). Rencontre.

1comeladeurlSans surprise, et en dépit du boucan qu’elle envoie dans les enceintes, la collaboration attendue de longue date entre le Catalan à rouflaquettes et le couple le plus discret du rock garage français n’a pas fait grand bruit. Publié chez Because en février dernier, leur « Traité de guitarres triolectiques », sous-titré A l’usage des portugaises ensablées, est un disque il est vrai peu bavard et pour cause, il est instrumental.

Et ne comptez pas sur ces bandits manchots de la promo pour vous donner le mode d’emploi aux heures de grande écoute. Car de Pascal Comelade et le fardeau qui lui colle aux doigts (père du piano jouet, gnagnagna) aux Liminanas, nous voici sur un champ de bataille peu pratiqué par les rockeurs français : celui de l’invisibilité médiatique. Qui sur ce disque récréatif prend la forme d’un retrait, où chacun a pris soin de ne pas imiter les petits pépères du peuple en braillant des inepties dispensables dans le micro. Avec ce disque manifesto-rigolo à mi-chemin entre le Garage, la Surf et les motifs répétitifs, ils ont décidé de ne pas se laisser bâillonner par le sacro-saint chanteur qui, disons-le, souvent nous emmerde. Il en résulte ce drôle d’objet qui, en y regardant bien, ressemble fort au Bernardo de Zorro : muet, mais pas dénué d’expression. Sauf qu’il est ici, dans la fournaise perpignanaise, doté d’une sacrée paire de couilles et d’une sangle à guitarrrres.

En attendant que l’interview ne débute dans un salon cosy de la Major, je discute avec Pascal Comelade de notre précédente rencontre, lui se lamente de cette France amnésique qui ne se souvient plus que c’est Richard Pinhas qui a réalisé le premier disque jamais autoproduit en France. Puis glisse une petite vacherie à l’égard de Lionel des Liminanas, plus que jamais sosie de feu… Demis Roussos. Comme quoi on peut avoir composé un disque instrumental et être capable de sortir la langue de sa poche. La preuve avec l’interview qui suit.

On va commencer par la question la plus originale de tout ce questionnaire, mais comment vous êtes-vous rencontrés ?

[SILENCE, RIRES]

Pascal Comelade : Je crois que c’était à un concours de sosie de Demis Roussos…

Lionel Liminanas : Et c’est moi qui ai gagné, ah ah.

Pascal Comelade : On a le temps de développer là ? Bon, disons qu’à Perpignan on a un ami commun, qui a un studio, et c’est d’ailleurs lui qui a mixé le disque. Euh… Voilà. Donc bref un jour j’avais besoin d’une guitare électrique pour un ballet que je devais faire, et il est venu avec Lionel qui s’est occupé de toutes les guitares. Plus tard dans un musée je devais faire une intervention, et ils [les Liminanas] sont venus tous les deux. Et pour clôturer l’histoire, Lionel est intervenu sur trois titres de « A Freak Senerade » (2009), puis les Liminanas ensemble sur un titre de « El pianista del antifaz » (2013).

Lionel Liminanas : Et entre temps toi tu es venu faire un piano sur « Crystal Anis ».

Et le disque dont il est ici question devait à l’origine, si mes sources sont bonnes, initialement sortir chez Born Bad.

Pascal Comelade : C’est vrai, tu as raison. Mais si on a atterri ici [chez Because, NDR] c’est « à cause de moi », pour des raisons contractuelles… Bref il se trouve qu’avec les Liminanas on vit dans le même département, on est pour ainsi dire voisins. Le disque s’est donc enregistré par couches, comme un mille-feuilles ; eux enregistraient la rythmique de leur côté, puis ils venaient chez moi, je faisais les pianos, ils rentraient chez eux, et ainsi de suite.

Le meilleur riff de tous les temps ? Louie Louie, sans hésitation.

Lionel Liminanas : On n’a donc jamais joué ce disque ensemble pour l’enregistrer. Y’a pas eu de répétitions, on s’est occupé des sections rythmiques, et Pascal des mélodies.

Pascal Comelade : Ah, la mélodie, la mélodie… le concept du disque, si on peut dire, c’est le riff. Trouver un riff, notre rêve à tous. Y’a Louie Louie, est-ce que tu peux faire mieux ? En gros. Le riff, c’est ce qui nous réunit, culturellement parlant. Après ça, il y a aussi la musique répétitive, les mélodies en escalier… Et donc on en revient à la mélodie. Soit à la fin de l’enregistrement tu n’as que des situations répétitives où la mélodie devient dispensable. On a donc fait en sorte de varier les effets pour ne pas tomber dans le piège du riff, de la couche de mélodie et du soliste, ce qui aurait été le pire des pièges. Faut toujours lister les pièges à éviter. « Traité de guitarres triolectiques » c’est donc du riff, de la musique répétitive et de la musique instrumentale.

Et donc : aucune discussion sur le fait que le riff de Louie Louie soit le truc le plus ultime pour vous trois.

Pascal Comelade : Le meilleur riff de tous les temps ? Non, pas de débat. Depuis quelques années on a un projet à Barcelone qui s’appelle le Rififi : on joue l’histoire du riff, disons les plus grands riffs de l’histoire du rock, avec jusqu’à vingt-cinq musiciens sur scène. Tout ça pour dire que si tu listes les plus gros riffs, il y a bien évidemment Smoke on the Water, Hoochie Coochie Man, Whole Lotta Love, etc. Mais quand tu sors Louie Louie, force est d’admettre que ça reste le riff suprême.

Lionel Liminanas : Et ce qui est fou c’est qu’il est chanté sur le morceau original de Richard Berry.

Lors de notre première rencontre voilà quatre ans, Pascal, vous m’aviez parlé de vos obsessions, notamment pour la « muzak » [une forme de musique aseptisée mais populaire notamment diffusée dans les fêtes foraines, les centres commerciaux, NDR]. Quelles sont vos obsessions esthétique communes ?

Pascal Comelade : Un sacré paquet, en dépit de notre différence d’âge. Déjà, ils sont pas obsédés par le concept de chanteur, ni par la mélodie. Et puis on a le rock garage américain de 64 à 67, les séries Z, la fascination pour­ les troisièmes couteaux… Tu connais les Wimple Winch et leur morceau Save my Soul ? Et The Factory ? Tout ça c’est la même époque. Grâce à cette saloperie d’Internet, on redécouvre tout ça, c’est sans fin… On avait quoi en France à la même époque ? Des groupes de twist, ah ah ! Les Variations à la limite…

Puisqu’on parle de la France, vous les Liminanas, on vous entend pas souvent ici. Quant à vous voir, c’est encore plus compliqué. C’est quoi votre raison d’exister ? Enregistrer des disques et basta ? A moins que je me sois « enduit d’erreurs », mais dites-moi.

Lionel Liminanas : Très sincèrement ce qui m’intéresse moi c’est de produire des disques, ça c’est vrai. On n’est pas des « montreurs ». Avec les groupes qu’on a eus avant, que ce soit les Beach Bitches ou Les Bella’s, à l’époque d’avant Internet on envoyait des cassettes par la Poste et les gens nous rigolaient au nez dès qu’on disait qu’on faisait du Garage en répondant qu’ils réparaient pas les voitures. Donc c’était une musique qui ne concernait que très peu de gens, et sortir de France s’avérait encore plus compliqué. Même l’exposition qu’on a aujourd’hui, aussi minime soit-elle, à l’époque ç’aurait été complètement impensable. Impossible d’imaginer le succès de Ty Segall ou Thee Oh Sees dans les années 90 ! Alors l’exposition médiatique, ça nous a jamais préoccupés, et on se sent tous sauf concerné. Ce n’est absolument pas du mépris, soyons clair. Quant au live, je dois bien avouer que j’ai pas forcément envie de passer ma vie dans les SMAC…

Mais alors : vous allez le jouer en live cet album ?

Comelade : Ah mais pas du tout, c’est un objet-disque, c’est le concept. C’est le genre de disque qu’on joue chez soi, c’est le principe. Depuis le début, moi je suis dans une politique de production de disque instrumental et CA, c’est intéressant qu’on s’y intéresse… [il prend le CD de « Traité de guitarres triolectiques »]. Regarde, qu’est-ce qu’il y a d’écrit sur la pochette ? « 16 chansons inédites »… voilà. On va pas gueuler auprès de la maison de disque, mais c’est assez significatif de la difficulté des maisons de disque à bosser la musique instrumentale.

Qu’est-ce qui m’a cassé les couilles toute ma vie ? La variété bien sûr !

Puisque tous les trois, à votre manière, vous semblez être en guerre contre un certain type de musique, est-ce que l’époque actuelle vous rend heureux, musicalement ?

Pascal : Forcément il va y avoir deux réponses, parce qu’on n’est pas de la même génération. Pour moi c’est évidemment non, je suis un mec des années 70, on va dire que je suis « proto-punk ». Ma pratique de la culture, elle date d’avant les subventions, donc bien sûr que je suis en guerre : qu’est-ce qui m’a cassé les couilles toute ma vie ? La variété bien sûr. Qu’est-ce que je vois aujourd’hui ? Le retour de ce mode dominant qui a tué tous les concepts de merde que sont l’avant-garde, la marge, l’underground. Comment ça s’appelle aujourd’hui la variété ? Rap, R&B, une certaine forme d’électro de merde, une certaine forme de chanson française de merde…

Lionel : Le rock de merde aussi.

Pascal [il le coupe] : Paw paw paw ! Dieu merci, c’est dans le rock que tu peux encore trouver des gens dignes qui veulent encore produire des choses dignes. Alors bien sûr, on préfèrerait que Lux Interior soit considéré comme Dean Martin, et on préfèrerait aussi que Lux Interior et Dean Martin soient considérés comme les références. Y’a une façon merdeuse de continuer à parler de la musique, et c’est ça qui me dérange. Pourquoi personne n’a fait une ligne à la mort de Jacques Thollot ? Et celle de Captain Beefheart, on en parle ? Tout cela va nous permettre de boucler sur le nom de ce disque, inspiré par le grand Asger Jorn, grand situationniste que je relisais un jour quand je suis tombé sur son concept de « football à trois équipes ». L’idée du traité de guitarres triolectiques est venue de là. C’est pas vraiment un détournement, plutôt un clin d’œil, auquel on a rajouté « à l’usage des portugaises ensablées. Je vais pas passer pour un vieux réac’ – encore que – mais c’est là que tu vois la dégénérescence de la langue française : plus personne ne sait ce que ça signifie, les « portugaises ensablées », il ne savent pas qu’en argot ça s’emploie pour qualifier ceux qui n’entendent plus rien. Rajoute à ça le fait que la pochette ce soit un dessin de Mickey avec deux vinyles pour symboliser les oreilles, avec à l’intérieur écrit Louie Louie, et là on frôle la branlette… ah ah !

Pascal Comelade & Les Liminanas // Traité de guitarres triolectiques (à l’usage des portugaises ensablées) // Because
Les Liminanas // Réédition vinyle du catalogue (3 albums studio et un album de raretés) chez Because

En concert le 21 mai à la Boule Noire

1 commentaire

  1. C’est un peu ma came tout ça…

    La dialectique peut-elle casser des briques

    « Car de Pascal Comelade et le fardeau qui lui colle aux doigts (père du piano jouet, gnagnagna) … » C’est un peu toi qui lui colle le fardeau, non?

    Le football à trois côtés évoqué dans l’article est au football traditionnel ce que le drapeau transparent est au patriotisme.

    Chouette disque sinon.

    Guitou

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