Depuis près de trois ans, Margaux et Camille d’Ottis Cœur forment le renouveau de la « pop féministe » francophone. Léon, deuxième EP, vient affirmer une démarche musicale caustique dopée de sonorités aux influences d’outre-Manche.

Margaux et Camille se sont rencontrées dans le vivier d’une formation du Studio des Variétés, à Paris. Le hasard peut parfois sembler pavé d’heureuses coïncidences puisque leur success story est née dans la torpeur pandémique. Confinées ensemble, leurs expérimentations musicales les amènent à former un duo qu’elles baptisent Ottis Cœur. Le retour progressif des concerts va alors leur donner l’occasion de se faire les dents et d’user les planches des scènes avec cette nouvelle collaboration, d’abord dans le circuit classique des groupes indés de la capitale, puis dans les salles de concert et festivals des quatre coins de l’Hexagone. 

Leurs prestations, sincères et dynamiques, séduisent rapidement une large audience pour deux raisons majeures. L’une tient au fait que le duo de compositrices, rejoint par une batteuse, reste exclusivement féminin sur une scène hexagonale qui vise à se diversifier davantage sur les questions de genre. L’autre, au fait que leurs chansons sont intégralement francophones et résolument imprégnées d’un certain militantisme féministe. Une frange d’auditeurs et auditrices s’identifient ainsi à leurs textes axés sur leurs histoires de cœur et leur refus d’intégrer les stéréotypes autant conventionnels que systémiques.

 

Le rock féminin, une tendance qui a encore du mal à s’institutionnaliser

Proposer un groupe de musique dans lequel la place de la femme ne se réduit pas à celui de la chanteuse ingénue, candide et sensuelle, ou à la diva qui marque son époque, n’est somme toute pas une ambition si récente que ça. En oubliant les Joan Baez et autres chanteuses folk à guitare, les premiers groupes de musiques populaires contemporaines à avoir souhaité prouver qu’une formation exclusivement composée de femmes pouvait tout aussi bien assurer remontent certainement au Liverbirds de Liverpool, actives entre 1963 et 1968, ou aux Américaines Goldie & the Gingerbreads, premières à signer sur une major (Decca en 1963 puis Atlantic l’année suivante). Dans la même veine, au sein du monde anglo-saxon, rendons hommage aux Beat-Chics.
La décennie suivante connaît notamment la renommée des Slits dont la musique et l’attitude punk viennent bouleverser les stéréotypes de genre dans le milieu. Eh ouais, une meuf ça peut se révéler tout aussi destroy et vulgaire qu’un sale môme à la Sid Vicious, et aucune raison intelligible ne semble valable pour qu’elles ne puissent élaborer une musique riche et subversive comme les plus grandes vedettes décadentes.
 

Peut être une image de 2 personnes

Outre-Atlantique, les 90’s voient émerger le mouvement Riot Grrrl avec entre autres Bikini Kill. Les chansons de ces révoltées féministes traitent de sujets souvent exclus de l’édulcorée pop culture comme le viol, les violences domestiques, la sexualité féminine, le racisme, le patriarcat ou l’émancipation féminine. En France, ce sont principalement Les Calamités, dont les chansons aux sonorités yéyés s’approprient les thèmes traditionnellement chantés par des hommes, avec un humour sarcastique quant aux stéréotypes de genre, qui marqueront les années 1980 comme rare formation presque exclusivement féminine. 

On pourrait alors, de manière assez hypocrite, passer outre les combats actuels pour la parité dans l’industrie musicale et faire valoir que des Melenas, Los Bitchos ou même Alvilda, Grandma’s Ashes ou Ottis Cœur sur notre scène nationale s’insèrent uniquement dans la continuité de ces aspirations militantes et ne proposent ainsi rien de vraiment nouveau dans le paysage musical. Sauf que la société, et par extension l’industrie musicale, semble évoluer en même temps qu’elle ne régresse sur certains aspects, d’où la création de safe spaces et d’ateliers en non mixité pour encourager les musiciennes à apprendre et pratiquer sans se laisser parasiter. 

Peut être une image de 2 personnes, personnes debout et mur de briques

Un constat est dressé par le Centre National de la Musique. Les chiffres révélés lors des Assises de l’égalité femmes-hommes dans la musique, qui se sont tenues en ce début d’année à Marseille, soulignent que « la marge de progression est considérable, dans les programmations, dans les projets artistiques, dans les postes à responsabilité ». Leur étude révèle néanmoins que les disparités au sein de l’industrie musicale française restent persistantes. Sur 20 000 artistes, les femmes sont uniquement 17% programmées sur scène en 2019, 14% en festivals et elles représentent 40% des effectifs de la filière. En ce sens, le combat est devenu aussi politique que culturel, appuyé par des initiatives comme BandShe – subventionnée par le CNM et le ministère de la Culture, le programme de mentorat Mewem – qui a pour présidente Rachel Cartier, Directrice musique de la plateforme Deezer – ou l’association More Women on Stage fondée par Lola Frichet, bassiste du groupe de hard rock Pogo Car Crash Control. Toutes ces démarches visent à faciliter l’accès des femmes à l’univers de la musique professionnelle, leur assurer une égalité des chances sur scène autant que dans les métiers qui y sont affiliés.

Ainsi, lorsque Margaux dévoile le slogan « More Women on Stage », gaffé à l’arrière de sa guitare lors des Trans Musicales, en 2021, Ottis Cœur s’insère aisément dans ces aspirations progressistes qui souhaitent secouer l’industrie musicale pour exiger une meilleure représentativité des femmes dans le milieu. La même année, programmé dans le cadre du festival Les Femmes S’en Mêlent, le duo est invité sur scène par les New-Yorkaise de Gustaf. 

Par sororité elles s’entourent alors d’un maximum de femmes pour développer leur carrière musicale, de Lucie Marmiesse, leur attachée de presse, à Bénédicte Schmitt pour le mixage de leurs titres. Les textes, quant à eux, assument un ton irrévérencieux qui demeurait encore timide et peu engagé à travers les titres de Juste Derrière Toi, leur premier EP. Ceux de Léon clament avec humour l’émancipation et content les déboires féminins dans une société où le progressisme en la matière requiert une plus grande liberté d’expression, infusés par une instrumentation qui lorgne sur le post-punk.

Incarnation francophone de Wet Leg ?

Dans un style qui n’est pas non plus sans rappeler celui de Wet Leg de l’autre côté de la Manche, des chansons comme « Jamais Je Ne Viens » traitent du plaisir féminin et de sexualité phallocentrée. Laisse-Moi souligne la lourdeur des dragueurs malhabiles, Labrador le refus des archétypes familiaux traditionnels, le bluesy Le Cercle dénonce un certain rétropédalage sur les libertés féminines et Je N’aime Pas qui sur des phases stoner méprise les grandes gueules qui gagneraient à se taire. À travers une élocution pop et un jeu acéré qui semble parfois très proche de celui de leurs homologues britanniques dont le premier album est certifié disque d’or – et qui ont raflé de nombreux prix aux Grammy et Brit Awards qui les a notamment désigné « groupe de l’année » – Ottis Cœur adapte une formule qui fait des émules tout en l’imprégnant d’une dose de militantisme à la française. 

Après deux EPs, il ne reste qu’à souhaiter que leurs prochaines compositions forment la pierre angulaire de leur premier album et que, d’ici-là, les voix se fassent entendre pour que l’industrie musicale se modernise quant à l’égalité des chances dans ces milieux.

Ottis Coeur // EP Leon chez Howlin Banana
https://howlinbananarecords.bandcamp.com/album/l-on

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