@Chloé Lecarpentier

Delacave, le duo formé par Liliane Chansard et Seb Normal, sort un nouvel album angoissant et jouissif intitulé « Every Night is a Moon Rising » le 3 mars sur Teenage Menopause. Mais il est déjà possible de l’écouter en exclu à la fin de ce « Track by Track ».

1 – Fatherless

Delacave : Ce morceau est basé sur la répétition et l’itération, tout comme l’album en entier. Déjà dans sa manière d’avoir été composé : on l’a commencé il y a plus de six ans et on y est revenu des dizaines de fois. Au départ, c’était juste une boucle avec le premier couplet et un semblant de refrain. C’était plutôt parti pour devenir un morceau au format classique de la pop, couplet, refrain, couplet, refrain, une digression, couplet, deux refrains de fin. On a repris et repris ce morceau en essayant de lui imposer ce format et il s’est avéré qu’on n’y arrivait pas. On est beaucoup trop répétitif pour ça et le sujet de ce morceau, le départ et l’abandon d’un être cher, est trop lourd et chargé pour en réaliser un morceau simpliste.

De la même manière qu’on essaye de comprendre ce qui nous arrive dans la vie, de régler nos problèmes, de comprendre nos traumas, c’est en y revenant sans cesse, en déconstruisant et en procédant par itération, qu’on y arrive. L’itération c’est le langage intérieur, la boucle de pensée qui évolue en se répétant, en se rééditant. La seconde passe n’est jamais exactement identique à la précédente. C’est par une succession d’approximations répétitives qu’on va réussir à régler le problème à la racine. La structure de ce morceau, et de la plupart de nos autres morceaux, se cale en quelque sorte de cette manière. À chaque grande boucle, une transformation se manifeste.

2 – Stranger in the day

Ce morceau est évidemment une ré-interprétation d’une chanson sur l’épiphanie de Hank Williams, lorsqu’il a vu la lumière. Il est parfait pour y coller des textures drones et tremolo à la Spacemen 3. On peut en faire ce qu’on veut de ce genre de chanson country blues, tant dans sa structure et dans les arrangements. On y a ajouté des flûtes, du trombone et des chœurs, ce qui lui donne peu à peu un air plus grandiose, comme pour illustrer l’élargissement et l’intensification d’une révélation. En somme, ça raconte comment on peut se faire avaler dans les ténèbres et la mélancolie et y trouver son compte, comme par exemple se servir directement de cet abandon dans le processus de création.

3 – Crossing times

Ce titre a débuté durant une résidence à la Reliure à Genève pendant une canicule. On allait se baigner deux fois par jour dans l’eau fraîche du Rhône. L’inspiration est venue de là. Un mélange entre les déceptions récurrentes d’amitiés qu’on croyait fortes et le fait naturel que dans le fond de la rivière, invisibles, des poissons se cachent, remontent à la surface pour attraper leur subsistance, et même s’ils ne s’y procurent rien, retournent se cacher dans les profondeurs.

On a demandé à plusieurs amies de chanter sur cette chanson, on voulait absolument qu’il y ait des chœurs et des harmonies comme pour signifier par un ensemble de voix que nous sommes juste un tout, et que si tu souhaites te démarquer des autres en t’appuyant sur eux, tu fais fausse route.

4 – Enter in

On voulait rendre hommage à Suicide. Le morceau a été commencé le jour où Alan Vega est mort. C’est donc parti de la boite à rythmes de l’orgue Farfissa qu’on a mélangé plus tard à de la batterie et des percussions. Et puis ça a dévié. Il y a un côté ambigu dans les paroles de Liliane. Elles paraissent très sensuelles mais sont en fait beaucoup plus profondes et touchent un autre registre, comme les morceaux de Suicide qui ont une telle tension physique, presque sexuelle, alors qu’ils caressent une autre dimension. Le rythme lui aussi est ambigu, il tourne à cinq temps, il n’est pas aussi évident qu’il en a l’air.

5 – Biotope Babe

Encore un morceau initié pendant notre résidence à Genève. Il a beaucoup évolué par rapport à la démo. Il s’appelait My baby Need Some Peace au départ. Pourquoi ? Car les potes et les organisateurs se bourrent la gueule et s’éclatent, mais nous on doit assurer le soir même ou le lendemain matin pour être pleinement disponibles pour notre fille et l’allaiter à n’importe quel moment. C’est au sujet de la dénombrilisation quand tu deviens parent et c’est lié à vie. Tu te projettes au-delà de toi-même. Tu ne seras plus jamais seul.

On avait aussi enregistré notre fille de temps en temps en se disant qu’on en fera certainement quelque chose à un moment, et là, on voulait qu’elle apparaisse dans ce morceau dont elle est quand même l’élément central. Seb a importé quelques fichiers au hasard et il y a eu cette ligne-là lorsqu’elle chante qui collait parfaitement au morceau à cet endroit-là. Beaucoup trop de signes dans l’élaboration de ce morceau.

6 – Us or dust

Ce titre a été composé pendant la grande pause du tout n’importe quoi, le grand flip, le premier, en avril 2020, lorsque l’agriculteur labourait le champ de tournesol à côté du studio. Il y a ces morceaux de Broadcast qu’on a toujours aimés et qui ont ces espèces de lignes de clavier ultra crades et saturées sur une basse tellement douce (comme Black Cat, America’s Boy, Goodbye Girls et la plupart des morceaux de l’album « Tender Button »). On voulait s’en inspirer.

Dans le texte, c’est un hommage à la scène underground qui malgré l’arrêt total en 2020, a continué à organiser des événements ultra secrets qui nous ont permis de vivre et de continuer à tourner. C’est tout un réseau intarissable qui se renouvelle en permanence, une vraie respiration et source d’inspiration et de rencontres.

7 – An escape in headlights

La démo de ce morceau n’a rien à voir. On l’avait composé sur un enregistreur 8 pistes dans un salon, il était sautillant mais bancal, à cinq temps, un mélange entre les country et du molam — musique traditionnelle thaïlandaise — assez festif. On y trouvait une ambiance de salle des fête qui résonne, avec du plancher et des néons, avec un break et des solos de guitare. L’enfer au final quand on y repense. On a failli l’abandonner dix fois, mais les paroles sont tellement puissantes et importantes pour nous qu’on s’y est accrochés. Seb l’a enregistré et ré-enregistré à plusieurs reprises et il s’est transformé peu à peu. Liliane a trouvé cette ligne de basse et de là tout a découlé. Et au final, je crois que c’est devenu mon morceau préféré (Seb).

Luciano Turella y joue de l’alto et Olivier Brichet de la contre basse. Il y a aussi les chœurs de nos amies — Camille Semelet, Anne Raymond, Juliette Duchange, Léa Brodiez et Cristina Maria Violenza. On aime que ce morceau clôture l’album de cette manière, angulaire et au sujet de l’amour. C’est une ode totale à l’amitié. Le texte évoque à quel point la force des amitiés fraternelles permettent de se dépasser et de vivre heureux dans les situations les plus difficiles.

L’album « Every Night is a Moon Rising » sort le 3 mars sur Teenage Menopause.

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