(C) Gérard Love

Vous vous sentez perdu parmi les plus de 60 000 titres mis en ligne chaque jour sur Spotify ? Nous aussi. Arrivés péniblement dans la dernière ligne droite de 2023, et plutôt que de faire tomber un top 10 des albums de l’année (que personne ne lit), on a donc préféré regarder dans le rétro pour tabasser quelques grosses sorties dont on se serait bien passé. La direction décline toute responsabilité en cas de surdité prolongée.

James Blake – Playing Robots Into Heaven

Mood : La même douleur qu’un voyage en Inde avec une turista.

James Blake m’a toujours posé un problème, c’est une sorte de James Blunt qui aurait troqué sa guitare contre ses synthés et c’est vachard pour Blunt qui est un mec très drôle et a fait de l’autodérision une arme pour contrer les critiques, notamment sur X.
Pas d’humour chez Blake qui pond des disques sans âme à la chaîne et fait illusion grâce à un savoir-faire éprouvé. C’est donc avec circonspection que j’ai tenté de réécouter son dernier album, pour la dixième fois depuis sa sortie. Je m’identifie au mec sur la pochette qui gravit péniblement un sommet en portant une hampe et son drapeau et sa hampe. Courage ! Cette fois sera la bonne et j’aurai le sentiment du devoir accompli une l’épreuve « Playing Robots Into Heaven » passée.

Fidèle à sa marque de fabrique, le Britannique nous a concocté un nouvel album chiant comme la chiasse, pour passer son réveillon sous Lexomil et la couette, lové dans la position fœtale. Au moins peut-on louer une certaine forme de constance dans l’ennui, Blake ne déçoit jamais. Dans le meilleur des cas, rien ne se passe, au pire, un flot tièdasse irrite l’oreille (la voix de femme-entant geignarde qui entame Loading me donne envie de crever les tympans).

De temps à autre, des artistes sans intérêt émergent et cartonnent grâce à une crédibilité artistique totalement usurpée : en cela, James Blake est le digne rejeton d’Arcade Fire et de Death Grips. J’enrage en écrivant ces lignes parce que j’aurais préféré consacrer mon temps à réhabiliter ce bon vieux Phil Collins dont aucun des artistes cités précédemment n’arrive à la cheville. Je n’ai pas encore fini l’album et voici que des gazouillis étranges parcours des paysages synthétiques sans âme : cette formule répétée à l’envi est devenue le fonds de commerce du Londonien.

Ce qui a fait un mal considérable à la musique expérimentale, c’est la profusion de mixtapes qui ont laissé penser à leurs auteurs que le moindre rogaton était digne d’intérêt et méritait d’être diffusé. Kanye West avait accidentellement enregistré un morceau où l’on entendait une sonnerie d’IPhone. Je crois bien que c’est sur The Life of Pablo mais ne parviens pas à retrouver la piste en question, les réponses de Bard et ChatGPT étant erronées et j’ai la flemme de m’infliger ses derniers disques pour vous retrouver l’information. Cette spontanéité avait été saluée comme un geste d’avant-garde en son temps ce qui correspond à ma conception la plus pure et cristalline du foutage de gueule. Les mecs se prennent pour des génies et publient des chutes de studio sans intérêt. Le streaming n’aide pas : Metallica a publié voici deux ans son « Remastered Deluxe Boxset », exclusivement centré autour du « Black Album », qui dure 15 h et 38 mn. Ecouter ce truc en entier relève de la maladie mentale.

Le disque de Blake se poursuit, j’ai l’impression qu’il ne finira jamais, chacune des quarante-deux minutes le composant dure un bon siècle. Peut-être des voyageurs prennent-ils le RER en écoutant James Blake et c’est une double-peine à laquelle je ne souhaite pas penser… Ah, le supplice de la goutte d’eau s’achève enfin, j’ai fini mon devoir et vais reprendre le cours normal de ma vie. Romain Flon

Sofiane Pamart – Noche 

Mood : Avoir envie de faire un jeu de mot sur le nom de l’artiste et se dire que ce disque d’easy listening pour analphabète n’en vaut même pas la peine.

L’autre fois j’ai vu Lubomyr Melnyk en concert, dit « le pianiste le plus rapide du monde ». L’homme est ukrainien, il porte ses 75 balais comme le Gandalf du Seigneur des anneaux, avec cette impression qu’il pourrait vous dégainer un « vous ne passerez pas ! » entre ses vingt notes à la seconde. Avant son titre final, l’homme pris le micro pour parler des soldats ukrainiens morts dans l’usine Azovstal de Marioupol, repoussant pendant des mois l’envahisseur russe, sans nourriture ni rien. Le morceau en question, The Sacred Thousand, dura trente minutes et cela en sembla deux tellement le son continu du maitre du kung-fu harmonique donnait l’impression d’être entré dans un voyage à la vitesse de la lumière. Et puis le vieux quitta la scène avec son sac à dos élimé ; tel un troubadour sans maison parcourant le monde encore et encore pour aller prêcher la sainte parole auprès de gens capables de vivre un concert sans regarder leurs notifications.

Tout ça pour dire que le piano pour débutants de Sofiane Pamart fait pâle figure à côté de celui de Lubomyr. Et comme comparaison n’est pas raison, on se contentera de dire qu’il ne suffit pas de se fringuer comme un sapin de Noël de chez Gucci pour ressembler à Elton John. J’ai pris le temps d’écouter trois titres de « Noche », et je peux vous garantir que cela donne moins de frisson qu’une envie pressante aux toilettes. Alors oui, Sofiane est le pianiste préféré des rappeurs ; il remplit plusieurs Olympia sans même avoir à poser ses doigts bagouzés sur l’instrument en bois et il défonce surement le pianiste évoqué ci-haut niveau statistiques sur Spotify. Cela n’empêche pas que son troisième album trouvera parfaitement sa place sur l’étagère des gens qui écoutent « un peu de tout » et pensent à la guerre en Ukraine en se demandant s’ils ont bien fermé la porte du congélateur. Bester 

La Perversita – Réédition 1979 (Sofa Records)

Mood : Redécouvrir un bijou de mamie rock au milieu d’une pile de journaux pourris.

Quand est venue l’heure de ce dernier Club Dial de l’année, c’est bibi qui a proposé que ne soient chroniqués que les disques qu’on avait refusé d’écouter en 2023. De vous à moi, le reste de l’équipe est vraiment stupide d’avoir cru que j’allais m’appliquer ces propres règles. Déjà d’une : je fais ce que je veux (et c’est certainement dû à une adolescence pourrie que je tente chaque jour de venger un peu plus en m’autorisant ces libertés qui m’ont souri de loin à la puberté). Et de deux : la réédition de ce disque expérimental essentiel chez Sofa Records méritait tout de même qu’on s’y attarde, d’autant plus qu’il est sorti en 2022 (nique la règle, volume 2). Milieu des années 2010, il fut même question que Gonzaï réédite l’objet dont il est ici question, mais que voulez-vous, nous sommes parfois des bras cassés.Pas Sofa Records qui a pris le taureau par les cornes et sorti du placard le collectif fondé en 1979 autour de Kiki Picasso, Hector Zazou et Jacques Pasquier avec, à la clef, un disque concept autour de la perversion sexuelle où il est surtout question de sampler le Strawberry Fields des Beatles et le Satisfaction des Stones sur un air avant-gardiste mêlant le post-unk (sans le p, ça vaut rien dire et je fais toujours ce que je veux), le No New York de James Chance et tout ce qui allait sortir de bien des années 80, notamment chez Celluloid.

Un côté foutraque, en gros, où tout se mélange en sept petits titres qu’on redécouvre 45 ans après, comme fascinés par l’esprit de liberté qui régnait à l’époque chez Libération, cœur névralgique de cet Ovni sonore qui aurait tout aussi bien pu sortir chez les Belges de Crammed. Si l’on était un peu cynique – ce qu’on est évidemment pas – on pourrait dire que La Perversita n’a pas été plus été écouté en 2023 (5000 écoutes sur Spotify de I love you S….) qu’en 1979. Bonne nouvelle à tous les connards : ce disque est parfait pour fêter le Nouvel an et entrer dans l’ère 2024 avec autre chose qu’un putain de disque de Sofiane Pamart. Bester

The National – Laugh Track / First Two Pages Of Frankenstein

Mood : musique pour film imaginaire qu’on n‘aurait pas envie de voir.

Les groupes « un peu indés » qui traversent la quarantaine ont tendance à me mettre l’angoisse. Je pense que c’est surtout à cause de leurs dégaines : jean brut avec l’ourlet qui va bien, bottines à talons qui brillent, petite veste en cuir toute neuve et coupe de cheveux fraîche. J’ai l’impression qu’ils passent tous par là à un moment. Peut-être que je fais aussi un transfert sur ma propre ligne vestimentaire avec la peur d’en arriver là un jour. Si ce n’est pas déjà le cas. Et dans le même temps, cet aspect propret, sans aspérités où rien ne dépasse se retrouve alors dans leur musique. Tout y est très ou trop produit, le son est lisse et clinquant, on fait venir plein d’invités. Comme pour les fringues, il faut bien dépenser le pognon ramené par les années de gloire.

J’aurais pu choisir plein de groupes des années 2000 en « The ». Je pensais même au départ parler de The Coral. Malgré de nombreux essais, je n’ai jamais réussi à accrocher à leur musique alors qu’ils ont tout pour que je les apprécie. A l’écoute rapide de « Sea of Mirrors », un des deux albums sortis par les Anglais en 2023, j’ai rapidement abandonné cette idée. Je n’écouterai probablement jamais leur musique avec assiduité mais elle est tout à fait respectable. Non, quitte à taper dans les groupes de quadras aux dégaines de pubs pour Diesel, autant choisir les meilleurs, les boss du genre : The National.

Il s’agit là encore d’un groupe dont j’ai toujours entendu parler sans jamais les écouter. En s’y intéressant de plus près, j’ai eu la chance de constater qu’eux aussi avaient sorti non pas un, mais deux albums en 2023 ! Les deux pochettes sont quasi-identiques avec un enfant qui tient une sorte de tête de mannequin. Il doit y avoir un concept derrière que je n’ai pas saisi. Pour parler enfin musique, c’est d’un ennui insondable. Sur des notes de piano tire-larmes, Matt Berninger gémit, accompagné d’une foule de petits débutants invités pour l’occasion : Taylor Swift (oui carrément), Sufjan Stevens, Bon Iver ou Phoebe Bridgers. Ça me fait à chaque fois penser aux musiques de film américain de type choral passé au vernis indé ; ces séquences où on voit au ralenti chacun des personnages dans son quotidien le regard perdu. Toute une imagerie pour hipsters de la première génération.

Je me demande qui écoute encore ça aujourd’hui. Probablement des quadras dans leurs SUV qui rentrent du boulot. D’ailleurs, ça consomme beaucoup un SUV ? Emmanuel Jean

Taylor Swift – Rééditions Speak Now et 1989

Mood : La même sensation qu’un mauvais cadeau de Noël qu’on revendra sur LeBonCoin dès le 2 janvier.

Vous trouvez pas qu’on nous fait un peu tous chier avec Taylor Swift ? Outre le fait qu’un vieux mec blanc ne soit pas vraiment le public cible de celle qui a été élue femme de l’année par Time magazine, j’ai toujours du mal à comprendre ce succès mondial au-delà des frontières américaines où la musique est semblable à la junk food.

Persistance rétinienne ou délire chronologique, croyez-le ou pas mais Taylor n’a pas sorti de nouvel album cette année ; et pourtant on n’a jamais autant eu cette impression que la folk singer avait inondé les tuyaux, la faute à deux albums réédités et réenregistrés par la dame. Aurait-elle réécouté les originaux en réalisant à quel point elle était bien en dessous de Carole King ? Absolument pas. Il s’agit simplement d’une nouvelle technique commerciale consistant à publier des nouveaux morceaux même quand on n’a pas. Preuve qu’à défaut de savoir écrire des titres faisant plus d’effet qu’un robinet d’eau tiède, Swift (c’est marrant, ça me fait toujours penser à la norme code d’identification internationale de votre banque, blague que seuls les gens faisant des virements comprendront) a oublié d’être bête. On tient d’ailleurs là le point central de la carrière de la miauleuse milliardaire : elle sait compter. On pourrait bien le lui reprocher, mais ce serait un biais sexiste. Personne n’a jamais fait le procès à Mick Jagger d’aimer la couleur des billets verts, et au-delà du fait que l’Américaine fasse preuve d’empowerment en ressortant elle-même ses albums façon director’s cut, on aimerait vraiment qu’elle profite désormais de sa montagne de sous pour nous foutre la paix ; qu’elle parte faire du yoga sur des tapis volants au fin fond du Vermont et qu’elle laisse sa « communauté » découvrir un monde où les oiseaux ne volent pas au ralenti comme dans une mauvaise pub pour des tampons hygiéniques. Bester

Olivia Rodrigo – Guts

Mood : temps d’écoute réel : 39 minutes / temps d’écoute ressenti : 420 minutes.

Ça fait quelques temps que je vois circuler le nom d’Olivia Rodrigo sans savoir de qui il s’agit. C’est en retrouvant son album « Guts » à la dixième place du top 2023 de The Guardian que je me suis demandé s’il ne fallait finalement pas s’y pencher. C’est quand même du sérieux The Guardian, c’est l’Angleterre, pas comme ces ravagés de Pitchfork et leur poptimisme.
Alors pour parler d’un disque qu’on n’a pas écouté d’un artiste qu’on ne connait pas, quoi de mieux qu’une chronique wikipedia ? Déjà, elle est née en 2003, ce qui est un premier choc. Elle a été une enfant star chez Disney. Gare au syndrome Lindsay Lohan. On peut y lire : « Lorsqu’elle découvre la musique de Taylor Swift, Olivia Rodrigo devient fan et commence à écrire ses propres chansons ». OK.

Elle signe un contrat dément chez Geffen. Son premier album « Sour » en 2021 a enchainé les records sur Spotify (un des titres, Drivers License, en est à 2 milliards d’écoutes sur Spotify). Elle a fait campagne avec Joe Biden pour promouvoir la vaccination contre le Covid. C’est déjà pas mal à même pas 20 ans et son deuxième disque est encore un carton planétaire. Toujours chez wiki, elle est cataloguée en indie rock, pop alternative, punk ce qui fait beaucoup de genres.

A l’écoute, ce qui est amusant c’est que le premier titre All American Bitch n’est pas si mauvais. On dirait un peu du Weezer nul d’après Pinkerton. Arrive ensuite le single et immense succès Vampire où elle se permet des petits « suckers » et « fuckers » qui ont passé la censure et doivent rendre dingues les préados qui insultent en douce leurs parents pour les avoir privés de Tiktok pour le week-end. Sur le plan musical, ce titre n’a quasiment aucun intérêt. Ça pourrait être une version pour enfants de Lana Del Rey. Il y a ailleurs dans ce disque d’étonnantes réminiscences rappelant parfois Devo ou même L7. Je me demande ce que les Riot Grrrls première génération doivent penser en entendant ça. Entre titres punk emo à la Avril Lavigne et ballades aussi sucrées qu’un Oreo, l’écoute entière de l’album est une épreuve. C’est n’est pas très grave ni étonnant car il est destiné directement aux adolescents. Ce qui est finalement un peu gênant, c’est cette rébellion de supermarché régurgitée par le capitalisme pour vendre du stream. Ce n’est pas nouveau mais ça fait drôle de voir que l’esthétique de l’indie rock US a désormais totalement envahi la musique de masse. C’était déjà le cas avec des artistes comme Boygenius ou Mitski qui gardaient encore une petite caution artistique. Ça ne l’est plus du tout avec Rodrigo. Ça me fait penser à cette scène dans le film Under The Silver Lake quand le héros rencontre un vieillard songwriter dans son château à L.A. qui lui dit que c’est lui qui a composé tous les grands tubes des 50 dernières années y compris « Smell Like Teen Spirit » ou « Where is my Mind ? ». On nous mentirait depuis des années. J’aurais dû me méfier, Pitchfork l’avait classé 14ème. Emmanuel Jean

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