Guillaume de Chirac, chef d’orchestre du projet Landscape, revient avec un troisième mandat, toujours dans les clous du label Square Dogs. Le garçon persiste et signe dans sa fabuleuse aventure indépendante. Aujourd’hui, survivre avec les loups peut s’avérer financièrement casse-gueule, mais là n’est pas le débat : ce disque est le résultat d’une passion. Rencontré dans un bar parisien lui-même sans prétention au croisement de la rue Lacharrière et de la rue Saint-Maur, le maestro contemporain est venu parler de musique comme on n’en a pas toujours l’habitude : avec sincérité, fragilité et passion. Résumons ? Non.
Landscape, cela pourrait être la nouvelle page d’un roman tragique. Des paquets de nuages cotonneux obstruent les lignes de ces douces mélopées. C’est seulement quand le disque se met à tourner que les ballons veulent se mettre à danser. La lumière peut rentrer. En commençant cet article, j’entends les premières notes de Rhodes qui caressent Escape from the sticks, issu de s.t.a.n.d.b.y, l’album des Misadventures Of… C’est un peu là qu’a commencé ce beau roman. Guillaume de Chirac et les autres se sont ensuite dispersés, puis retrouvés. Entre-temps, un sacré mélange de rencontres pour bâtir un scénario musical unique, amical et différent. Landscape.
Comme Carp ou Simple As Pop, ce projet est issu du label autogéré Square Dogs, une « entité » souvent décrite comme le Constellation français, voire le cousin de l’Amicale Underground. Ce sont des amis, des hasards et d’autres vies qui depuis ces dernières années nourrissent la marque à grands coups d’albums lumineux comme le récent Day Walks de Carp. Les membres qui œuvrent en satellites autour du label se retrouvent alors sur les albums des uns, des autres. Sur With A Little Help From My Friends, précédent album de Landscape, on retrouvait du Syd Matters, de l’Arman Melies, de l’Overhead et, bien sûr, du Carp.
Aujourd’hui, les rangs se resserrent autour de ce nouveau disque éponyme. Seuls cinq musiciens interprètent les paysages de Guillaume de Chirac pour un album plus homogène, plus simple. Le chef de projet qui partage parfois la scène avec Sébastien Schuller va nous parler de tout ça. Je branche le dictaphone sur la chaîne et réécoute l’interview de la veille. Le son crache, saute, mais on en retiendra l’essentiel.
Cette année, Møn Rock Orchestra affichait un petit écriteau sur le haut de sa page Myspace. Ça parlait de ces petits tracas qui rongent les collectifs alternatifs et indépendants, dès qu’ils sortent des formations habituelles à quatre musiciens. Ces derniers temps, toi, Carp, Simple as Pop, avez invité les internautes à acheter vos disques… pour sauver le label. Bref, dans ce secteur, on est un peu dans la merde jusqu’au cou. Qu’est-ce qui te pousse à sortir un troisième album ?
La passion, cette envie de toujours faire de la musique. Ça ne s’envolera jamais avec les problèmes financiers. C’est pas avec Landscape que je gagne ma vie. Moi, comme les autres musiciens signés chez Square Dogs, nous payons pour faire nos disques. Si Landscape existe c’est bien sûr parce je fais d’autres choses à côté. Concernant Square Dogs, on se demande parfois si on ne devrait pas tout arrêter. Aujourd’hui le label existe encore, mais il est sur la corde raide. On peut très bien se retrouver à la fin de l’année et dire stop. Comme toutes les structures, Square Dogs coûte de l’argent et on ne gère pas ça forcément bien. Disons que ce n’est pas notre boulot. Notre but, c’était de sortir des disques. Ce qu’on a fait et qu’on continue de faire. Mais c’est parfois dur de se mettre tous à fond sur quelque chose et voir que finalement, tout cela ne prend pas. En attendant je dis ça, mais il y a un nouveau Landscape et peut-être un nouveau Simple As Pop pour la fin de l’année… Donc oui, encore une fois, la passion.
Ton deuxième album était construit, structuré comme une symphonie avec ses mouvements, ce qui n’était pas sans rappeler Lift your skinny’ de Godspeed. As-tu repris un schéma particulier sur ce nouvel opus ?
Non. Sur Landscape, les morceaux s’enchaînent tout simplement dans un ordre chronologique. Ce qui explique peut-être des similitudes entre certaines pistes composées à une même époque. Les deux premiers titres sont plus pop, les derniers plus instrumentaux, plus « post ». Ces écarts sont expliqués par le temps que j’ai mis pour réaliser ce disque : 3 ans. En fait, pour revenir au début, l’album aurait très bien pu ne jamais exister. J’ai commencé l’écriture pendant ma tournée avec Sébastien Schuller. Je voulais un disque différent et du coup, je suis parti sur quelque chose de plus lumineux, plus pop. Mais, après deux-trois morceaux, je me suis retrouvé dans une impasse. Puis, quand les concerts avec Schuller ont cessés en novembre 2009, je m’y suis remis. J’ai passé l’hiver dessus et c’est allé très vite, naturellement, jusqu’à ce que j’arrive à neuf titres. Je n’en voulais pas un de plus, pas un de moins.
Tu crées l’ensemble des compositions seul, dans ton coin, et c’est ensuite que tu invites les musiciens pour qu’ils posent leurs lignes d’instruments et leur voix sur l’enregistrement… Comment ça se passe exactement ? Une fois que t’as fini ta maquette tu vas voir tout le monde et tu leur dictes les parties à jouer ?
Disons que c’était surtout ça avant. Sur les albums précédents, je voulais entendre le résultat de ce que j’avais écrit et je laissais très peu de liberté aux musiciens. Ce contrôle de A à Z, c’est peut-être le défaut que je trouve aux deux premiers albums. Aujourd’hui, si les autres membres de Landscape étaient là, ils te diraient que ça n’a pas changé ! Mais pour ce disque, Richard Cousin – basse – en qui j’ai une totale confiance, a eu carte blanche. Il a écrit toutes ses lignes et je suis très content du résultat. Nicolas Leroux – voix – a également écrit ses textes. Parfois, je lui demandais de changer une ou deux notes dans son chant, mais je trouvais normal qu’il soit maître des paroles puisqu’il allait faire les voix sur tout l’album. Seule la batterie reste assez fidèle à la maquette et je me dis que s’il y a un prochain album, je laisserai sûrement plus de liberté au batteur.
C’est vrai que maintenant que tu me dis ça, cette retenue des musiciens sur les albums précédents me fait penser que certaines personnes à qui j’ai fait écouter l’ensemble de ton travail regrettaient qu’à certains moments ça ne pète pas plus, que ça n’aille pas plus loin…
C’est là où composer seul peut avoir ses limites, parce que je ne vais pas m’exciter devant mon ordinateur. Mais j’ai toujours voulu éviter de faire péter pour faire péter. Je suis plutôt contre cette nécessité de faire péter constamment un morceau. Ça aussi, ça a ses limites. Landscape est un projet où j’ai toujours voulu privilégier la mélodie et le beau. Landscape, c’est avant tout du beau.
Bon choix…
On s’accorde une pause, le temps de remplir les verres. Pendant que le barman ressort la quille de rouge et fait marcher la tireuse, je jette un oeil sur mon carnet. On se rassied au fond du bar, sous une lumière jaune-orangée, puis ça continue…
Tous les albums de Landscape sont différents, mais tous griffés. Sur celui-ci, où chante Nicolas Leroux d’Overhead, les voix sont beaucoup plus en retrait, comme des nappes, un instrument en quelque sorte, alors que sur With A Little Help From My Friends, les chants étaient beaucoup plus présents, il y avait un vrai lead…
Ça c’est Nico, sa qualité. L’album a été enregistré chez lui et il a mixé toutes les voix comme ça, avec cet effet écho/reverb qui noie la voix, un peu comme un instrument effectivement. Les guitares aussi sont en retrait pour mettre en avant le jeu basse-batterie plus pop. Je voulais vraiment qu’il y ait de la basse-batterie sur cet album.
Mais il y a aussi beaucoup de pistes clavier…
C’est un disque de pianiste ! Qui d’ailleurs est marqué par un truc tout con, c’est le M-Tron. Un plugin type mellotron. Dès qu’on me l’a filé ça m’a débloqué sur la composition, et c’est ce qui m’a permis de finir l’album en deux mois. J’en ai collé partout. C’est ce son que je cherchais et qui me manquait. Je ne voulais pas refaire comme sur le précédent disque et devoir mettre des cordes, des cuivres. Je voulais toujours garder cette formation resserrée et c’est ce son, le M-Tron qui finalement donne cette texture à l’album.
Aussi, je voulais parler des textes. Je n’ai pas encore eu le temps de vraiment me pencher dessus…
Moi non plus…
Ah bon ?
Bien sûr, je les ai lus. On s’était mis d’accord avec Nico, pour qu’il ne parle pas de choses sur lesquelles je n’étais pas politiquement d’accord, mais finalement, je les ai lus et je n’ai rien eu à changer. Il parle de ses démons, de ce qu’il voulait, et c’est très bien comme ça.
L’heure tournait en ce début de soirée et nous avons continué à parler autour d’un dernier verre… De la préparation du concert prévu le 29 avril prochain, de l’album en tant qu’objet avec les photos signées Élise Boularan, de la possibilité d’un futur album que Guillaume pourrait construire seul, de la composition à l’interprétation… Nous sommes sortis un instant pour prendre quelques photos et je suis rentré chez moi, réécouter Landscape. Un disque très abouti « à réécouter » pour une réception surprenante et différente à chaque fois. Ce troisième disque est un petit bijou de composition comme il y en a de trop rares en France, ou de trop difficiles à dénicher. Une larme doucement révolutionnaire, aux teintes froides et aux vents agréables dans les contrées parfois musicalement sclérosées de la Gaule.
Photos : Mathis Up Bloater.
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