Par définition imprévisible, le tremblement de terre englobe une foultitude d’accidents heureux allant de Beth Ditto en train de faire son jogging à un single de Dorothée en 1989 qui s’écoule à 650 000 exemplaires, en passant par la tectonique du mec plaqué sous lequel, subitement, le sol se dérobe. Mais c’est aussi le deuxième album du groupe du même nom qui, comme on dit à Monaco, va tout emporter.

La première chose, un peu futile, qui frappe lorsqu’on découvre le « Salvage Blues » de La Terre Tremble !!!, c’est qu’ils sont français. Si l’on s’émeut assez peu d’apprendre que les saucisses qu’on achète par paquets de six sont véritablement de Toulouse, il y a tellement d’idées et de bousculades dans ce disque anti-supermarché qu’il convient de saluer dignement ceux pour qui Benjamin Biolay, Naive New Beaters, Dionysos et consort  constituent autant de passagers potentiels pour des concerts à déporter qui, comme leur nom l’indique, permettraient d’expédier les affreux sur une autre planète.
Tout cela est d’autant plus étonnant que le premier album de La Terre Tremble (« Travail », 2009) n’a pas secoué grand chose. Littéralement passé à travers, le disque. Deux ans avant Fukushima (mon amour) et trois avant une fin du monde qu’on attend avec impatience – histoire d’éviter un nouvel album de Phoenix en 2013 – le trio livrait dans une indifférence absolue un disque anecdotique ; ce qui, soit dit en passant, ne changeait finalement pas beaucoup des perles françaises dont personne ne parle.

La deuxième chose qui frappe lorsqu’on découvre ce « Salvage Blues » avec la gueule pendante comme le loup de Tex Avery, c’est que ces garçons sont originaires de Clermont-Ferrand, dont tous ceux qui ont un jour eu la (mal)chance d’y poser les pieds savent que le chef-lieu de l’Auvergne est surtout connu pour le côté très symétrique de son mortel ennui. Une grande avenue qui divise la ville en deux ; d’un côté une supérette à moitié vide et un PMU rempli de types désespérés grattant en vain sur des tickets perdants, et de l’autre un complexe d’hôtels pour les commerciaux de passage, bien pressés de passer la seconde dans leur Twingo de location pour s’extirper de cette terre du milieu. On suppose que c’est la même envie d’ailleurs qui poussa La Terre Tremble !!! à migrer vers des contrées plus rugueuses – la Bretagne, Rennes – pour composer les morceaux de ce « Salvage Blues » qui lorgnent vers les plaines anglo-saxonnes sans pour autant tomber dans la myopie. À écouter les neuf pistes qui composent ce disque que Météo France décrirait comme une éclaircie par temps brumeux, on se dit surtout que l’évasion tant recherchée passe avant tout par l’imagination. Creuser un tunnel, après tout pourquoi pas, mais l’ailleurs est souvent  aussi triste qu’une barquette de merguez sous vide.

On aura vite compris – et si ce n’est pas le cas, on va l’apprendre – que « Salvage Blues » échappe à tout système de notation tel qu’on en voit dans les concours de patinage artistique ou chez les critiques en manque de vocabulaire pour fixer correctement l’émotion. Derrière la pochette mettant en scène trois mémés bretonnes transbahutées dans un conte occulte d’Aleister Crowley, il y a tout cet imaginaire qui manque aux intermittents, trop occupés à compter leurs congés spectacle pour composer un disque autant brutal que poétique, aussi mélodieux que sinueux. Et si on pourrait penser à première vue que les trois de La Terre Tremble !!! sont américains, la déflagration qui suit ne ressemble clairement à rien de connu. Et certainement pas au cliché de carte postale qu’on a pris soin de nous vendre avec la fameuse « scène musicale de Clermont-Ferrand ».
Forcément, lorsqu’arrive la fatidique scène finale de ce minifilm qu’est la chronique, ce climax verbal où l’auteur, le poignet en sang, lâche ses dernières cartouches pour flinguer le lecteur avec de la punchline plus belle qu’une balle, y a plus grand monde. « Salvage Blues » condense, en moins de temps qu’il n’en faut pour se prendre un mur sur la gueule, tout ce qu’on serait en droit d’attendre de musiciens français ayant grandi avec la presse musicale anglo-saxonne à portée de main et un abonnement Deezer Premium en guise de baladeur. Tantôt porté sur les guitares blues sur cet Elements qui fait penser à du Black Keys composé dans le Puy-de-Dôme, tantôt balloté entre le désir de déterrer le Led Zeppelin de « Presence » avec Hang on salvage is coming et l’envie de foutre une branlée aux Cold War Kids avec Visit, les Français donnent presque l’impression de n’être pas nés sous la bonne étoile, ou du moins pas chez eux. Ou alors pas du bon côté de l’Atlantique. Sans jouer la démonstration technique qui vire souvent à la pignolade pour initiés, ni se cantonner au rôle de l’artiste maudit coincé dans des squats de banlieue pour altermondialistes, les Français de La Terre Tremble !!! labourent un terrain vierge pour y planter des graines d’Amérique sur un autre continent – le nôtre. La pollinisation étant souvent affaire de vents contraires capables de transporter ces bonnes graines à l’autre bout du monde, on laissera, une fois n’est pas coutume, la parole à Dorothée pour conclure ce grand séisme qu’est « Salvage Blues » : « C’est comme un tremblement de terre, un typhon sur la mer, un grand coup de tonnerre qui vient tout bouleverser. »

La Terre Tremble !!! // « Salvage Blues » // Murailles Music (Differ-Ant)
http://laterretrembleband.tumblr.com/

La Terre Tremble!!! – Salvage blues – European germs (Murailles Music) by pdis_inpartmaint

5 commentaires

  1. Effectivement, leur deuxième album ne ressemble à rien de connu (même s’il rappelle plein de trucs indé US). En gros, ça joue dans la même cour que NLF3 et la clique Prohibited, autres musiciens français à s’être affranchis à la fois du complexe français (la copie misérable) et du modèle américain (post-bidule). Oui, ça marque des points.

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