Toujours subjectif de débuter ainsi mais à la première écoute, « Fauxbourdon » est un disque raté. À la deuxième aussi. À la troisième, on commence à douter. C’est que la lenteur qui se dégage de ce quatrième album pourrait faire passer les plus impatients à côté de ce qui est, en fait, une introspection qui mijote façon pot-au-feu. À la quatrième, on commence à relever la tête en se demandant si ce n’est pas l’écoute qui était mauvaise et si le trio, fondé en 2005, n’a pas gardé ses meilleures cartouches pour les plus patients.
Il n’a certes pas la saveur instantanée de « Salvage Blues » (2012), mais le « Fauxbourdon » dont il est ici question est surtout un faux ami. Il y a des comptines hawaïennes en clôture (Pretend I’m There) qui évoquent surtout Mururoa période essais nucléaires, des dégringolades de piano (Ringroad Continuum) qui rappellent la période ciné-concert du groupe (ils ont passé trois ans à accompagner le dessin animé Tom & Jerry) ; et puis cette fausse impression de surplace (le premier tiers du disque) quand, en fait, il est surtout question de virage à 360°. « [On ne veut] pas faire des disques parce qu’il faut bien, explique le groupe, sinon, autant arrêter. Un disque, pour nous, ça prend plus de deux ans de nos vies. On vit avec tous les jours, on ne pense plus qu’à ça, avant même de l’avoir enregistré. » Okay, va pour cette explication. Cette fois, La Terre Tremble !!! a donc pris son temps pour revenir, et le résultat désarçonne : on en sort simultanément avec l’impression qu’aucune des mélodies de « Fauxbourdon » ne pourra être sifflée sous la douche et qu’on a raté quelque chose sur ce disque à triple fond dont l’objectif n’est clairement pas d’être streamé dans les cours d’école sur de petits écrans YouTube fabriqués par des Chinois.
Apocalypse maintenant
Là encore, ça se passe juste à côté, au Japon. Où La Terre Tremble s’est branché avec des envies de synthés qui « ne sonnent pas comme du sous John Carpenter ». La meilleure preuve reste le très perché Sannaires Novels qui aurait pu servir de générique pour un clip de la secte Aum. Découverte voilà longtemps grâce à deux de leurs héros ultimes, Van Dyke Parks et Jim O’Rourke, la musique de Haruomi Hosono (membre du Yellow Magic Orchestra) filtre également ça et là, discrètement, et donne au groupe, jusque-là plus connu comme un groupe de rock contemporain, une épaisseur inédite ; celle-là même qui peut rebuter de prime abord.
Le disque de chevet pendant l’enregistrement ? « Un album complètement dingue de Yasuaki Shimizu qui s’appelle « IQ179 ». The Life Within sur notre album, c’est clairement un hommage à la chanson Lizard sur ce disque. That Old Moonlight c’était plutôt influencé par Thatness and Thereness de Sakamoto. Tiens, justement, ça c’est une chanson paisible et douce d’après l’apocalypse. » Quand un groupe formé entre Rennes et Clermont-Ferrand s’inspire du soleil levant, ça donne donc un beau bordel ; ou alors même l’inverse pour être précis ; un bordel beau. Avec quelques moments de mini-apocalypse. « C’est un thème assez évident sur ce disque. L’implosion latente. Mais on dirait plutôt que le disque est plus proche de la culture cyber-punk que de la science-fiction. Dans la science-fiction, le cataclysme va arriver. Alors que dans le cyber-punk, le cataclysme a déjà eu lieu, sans un bruit, et on vit déjà dans le monde d’après. C’est presque paisible. »
Si vous aimez les baraques en flammes éteintes par des pompiers pyromanes sous acide, il est évident que vous apprécierez le côté « paisible » de « Fauxbourdon », dont le nom même cache des double-sens en pagaille : « La basse continue, le mâle reproducteur de l’abeille qui meurt une fois son boulot effectué, les drones, l’ère du réseau, avoir le blues, la déprime… » Amateurs d’énigmes lynchiennes, la roue tourne, faites votre choix…
Le diverti se ment
Bon, « Fauxbourdon » reste quand même un disque amplifié ; on ne va pas chier des bottins pendant trois plombes. « On a quand même l’impression d’être des artistes de divertissement. Après tout, notre musique est là pour remplir un espace, qu’il soit intime ou public… Le divertissement, ça peut aussi être un aller-retour constant entre une distanciation et une immersion. […] Je pense qu’on peut écouter ce disque en se coupant les ongles ou en faisant la vaisselle, il n’y aucun souci, il est aussi fait pour ça ! » Et à l’inverse, on peut aussi l’utiliser en bande-son pour des méditations furieuses et autres contemplations de l’univers en slip sur son balcon. Un disque d’un peu tout à la fois donc ; ying et yang, spleen et joie, mon cul et la commode, majeur et mineur. « On a plutôt l’impression de tirer les choses vers le haut, rajoute Julien Chevalier, le leader, mais des fois, j’envie les groupes qui ne se prennent pas la tête… »
Puis de s’interroger, en pensant au compositeur américain Charles Ives qui à la fin de sa vie, désespéré par l’angoisse de la page blanche, répétait sans cesse « nothing sounds right » à sa femme : « Il y a bien des fausses notes, mais est-ce qu’il y en a donc des vraies ? »
La Terre Tremble !!! // Fauxbourdon // Murailles Music
laterretremble.com
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Très bien !