Défendu ici et ailleurs par une modeste partie de la population résistante pour qui la ligne Maginot 2.0 a été construite pour stopper l’invasion des Emilie Simon et autres Brigitte (le point Godwin étant atteint avec Zazie), le trio de La Féline refait parler de lui avec un EP qui porte bien son nom : « Echo ». Quatre titres revisités pour un groupe amateur de réverbérations, c’est ce qu’on appelle un beau ricochet.

Avant de sommairement détailler les morceaux de ce disque transitoire aux airs de cahier de vacances pour musiciens en manque d’espace, parlons d’autre chose. Ça fait parfois du bien de parler d’autre chose que de l’essentiel, ça permet d’oublier le temps d’un paragraphe certaines réalités trop concrètes, ça et le fait que jamais La Féline ne passera au Grand Journal ou sur les ondes d’une radio rock dirigée par un présentateur télé ayant décidé de troquer sur le tard ses fiches bristol contre un nez de clown.
A l’écoute cet EP « Echo », je me dis qu’il faudrait un jour faire un article qui puisse décrire la joie du mélomane à humer le parfum des vieux vinyles, ce mélange de poussière et d’acétate, qui souvent pique le nez autant qu’il attise les souvenirs. On a tous un jour, partant du principe que vous n’êtes pas tombé ici par hasard après une malencontreuse recherche sur Google, eu entre les mains un 33 tours à l’existence si ancienne qu’en un claquement de doigts l’image des différents propriétaires de l’objet remonte subitement à la surface. On s’imagine alors la drôle de tête de l’acheteur de ce live à l’Olympia 1975 de Christophe, la gueule pas très nette de cet autre possesseur de « La mort d’Orion » de Manset ou encore les névroses insondables de ce fan capable de claquer son argent de poche dans le « Dorian » du Jacno aux yeux bleus comme un paquet de Gauloises. Retrouver l’un de ces disques français enseveli sous plusieurs décennies d’amnésie patriote, ça fait toujours son petit effet. Reste souvent une étiquette de prix dans une monnaie elle aussi oubliée, parfois le nom du premier propriétaire (« POUR JACQUELINE », un truc dans le genre) y est encore gravé ; peu importe, car retrouver la trace de ces disques abandonnés sur le coin de la route, c’est un peu comme s’acheter une vieille bagnole de collection.

Il n’est sûrement pas né, celui qui pourrait prédire l’avenir de La Féline, mais leur nouvel EP fait lui aussi des va-et-vient entre les époques. Quatre reprises digitales bazardées dans le cyberespace, c’est vrai que ça pèse pas lourd dans ce monde où le premier imbécile pisse de la copie à longueur de bobines, mais c’est malgré tout bien suffisant pour divertir les lassés de tout poil. EP « Echo », quatre reprises qu’on disait : soit le Johnny remember me (1961) de John Leyton et Joe Meek, le Into the night tiré du Twin Peaks de Julee Cruise et Angelo Badalementi, une ballade médiévale nommée Le roi a fait battre tambour, ainsi qu’un récent titre de la Féline (La peur et le courage) repris par la Féline. Inutile de s’attarder sur ce dernier morceau auto-revisité dont on peine à comprendre l’intérêt sur cet EP de Noël, d’autant que les trois covers précitées se suffisent à elles-mêmes, et que le premier auditeur éclairé en aurait déjà pour son argent, s’il en avait encore un peu à dépenser. Modestes mais disposant de ce luxe – ô combien rare – du bon goût, les jeunes gens modernes de La Féline pratiquent la récréation en patientant jusqu’au prochain album, prévu en 2012, le temps que la célébrité finisse enfin – on peut toujours y croire – par leur sourire. Des trois reprises, Le roi a fait battre tambour est certainement la plus aboutie, peut-être parce qu’étant la plus mélancolique elle est également la plus originale, la plus flagrante ; la meilleure preuve finalement de ce que La Féline peut avoir à offrir en piochant dans l’inconscient collectif et les passés oubliés. Si leur supplément « Echo » ne remplira certainement pas leurs bourses et que cet EP ne vaut certes pas le « Counterfeit » de Martin Gore, les trois tentent néanmoins de conjurer la malédiction qui veut qu’on n’est jamais prophète en son pays. Nés ailleurs, à San Francisco ou à Brighton, ces trois-là n’attendraient pas la consécration posthume en trépignant. Mais voilà, l’histoire est ainsi faite qu’en France on ne célèbre que les soldats inconnus. Alors en attendant qu’un gamin des années 2020 retombe par hasard au gré des brocantes sur cet « Echo » rétro-futuriste, La Féline persévère. Et sur chaque chanson, grave sa propre histoire. Au pays des malentendants, c’est d’autant plus méritant.

La Féline // EP Echo // Les Boutiques Sonores

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