Client des fossoyeurs, Kim Fowley en est un de premier ordre. C’est ainsi que pour son dernier passage à Paris en 2012, Gonzaï a rencontré ce monstre ô combien vivant fixant la faucheuse au fond de la rétine, coincé entre un scanner et des tuyaux dans un hôpital – en lui intimant l’ordre express d’aller se faire mettre ailleurs. C’est pas R.I.P., c’est ripe ! Et malgré tout ce jour là, Fowley se tient face à nous le foutre aux lèvres, à presque 73 ans, bravant un quatrième cancer pour un concert psychotique. Trois ans plus tard, le crabe vient finalement de l'emporter. C'est rideau, mais pas sans un dernier au revoir, chapeau bas.

Invité par le festival Sonic Protest à traverser l’Atlantique en dépit de sa condition physique not on top, l’Américain fait feu de tout bois ; regard perçant et verbe haut, injurieux comme à l’habitude. Comme avant, quand ça glissait tout seul, quand il produisait ces montagnes de singles pour des groupes montés de toutes pièces, ou se mettait lui-même en scène dans des situations scabreuses incluant productions démentes, impossibles, hurlements psychotiques, chaos rampant, bubblegum pour vicelards.
Notons que Kim Fowley ne pourrait plus exister à l’heure actuelle comme le motif de fâcherie qu’il fut alors : outrageux, farouche, emmerdeur public, anarchiste hilarant, entubeur, chef de gang, bouffeur de chattes émérite, acid freak, cinglé notoire ramassant le pognon à pleines brassées tant qu’il pouvait, punk ultime, etc. Impossible à suivre dans cette société infantile et protectrice de niaiseries ambiantes dans laquelle nous pataugeons mollement de notre plein gré. Autant demander à feu Hasil Adkins ou Roky Erickson de militer pour la sauvegarde des pandas asiatiques ou la disparition des tricycles. Rien à battre, il faudra écouter, ivre ou pas, son album « Outrageous » (1968), histoire de savoir à qui on a affaire.

Loin d’être un bleu, il aura joué avec tout le monde ou presque ; enfin, avec tout ce que la Baie pouvait concentrer comme phénomène mutant, voire pire. Doo wop, rock’n’roll, girls groups, bubblegum, pop, psyché, hard rock, métal, etc. Autant d’étiquettes qui ne servent à rien sinon à reconstituer une somme, un puzzle dément partant de la fin des années 50 jusqu’à aujourd’hui. Qu’on en juge à son pedigree : l’immense hit pour garagistes hallucinés The Trip, déjà, c’est lui. Ont traversé son champ de vision : Phil Spector, Gene Vincent, the Murmaids (Popsicles and Icicles, sublime), l’hymne surf des Rivingtons – plus tard magistralement repris par les Trashmen puis les Cramps — Papa-Oom-Mow-Mow, les Mothers de Zappa (interviewé sur son éphémère collaboration avec la Moustache Humaine, Fowley aura cette sentence définitive « Je ne suis pas resté très longtemps, ne voulant pas devenir le Brian Jones de l’affaire… »), Paul Revere, Soft Machine, Byrds, the Fire Escape, Belfast Gypsies, Warren Zevon, Modern Lovers (avant  l’épisode John Cale), Stooges (Si ! Il a failli remplacer l’Ig lui-même, parti faire un rapide tour chez ce qui restait des Doors), Kiss, Alice Cooper, ou encore le 45t mythique de Napoléon XIV (voir l’entretien vidéo ci-dessous). Sans compter son amitié durable avec Mars Bonfire de Steppenwolf — omniprésent sur l’album « Outrageous » — dont il reprendra l’historique Born to be wild. Mais son coup magistral, qui perdure encore aujourd’hui via le biopic du même nom, sera d’avoir conduit sur trois albums les quatre donzelles très masculines the Runaways (soit Joan Jett, Sandy West, Lita Ford et Cherry Curie) au pinacle.

Acoquiné aujourd’hui avec la plantureuse Snow Mercy qui l’accompagne désormais partout, Kim Fowley aura finalement fait son show parisien flanqué de Grégoire (fine lame chez Tav Falco) et de trois autres musiciens pas manchots non plus (mon royaume pour une Fuzzbox !), tous recrutés à l’arrache l’avant-veille dans un resto du coin (Chuck Berry’s never die !), devant un public au trois-quarts médusé. Entre déclamations diverses et variées à fortes connotations sexuelles et absurdités dont lui seul a le secret, il conduira – dans le sens orchestral du terme – son groupe comme s’il le PRODUISAIT véritablement, lors de cette sorte de jam session ténue dans laquelle on reconnaîtra les riffs de Waiting for the Man, Sweet Jane, The Trip, Gloria et je ne sais plus quoi de grinçant. Bon sang, quel homme !

La séance photo avec l’ami François Grivelet n’était pas piquée des vers non plus. Ça se passera après le concert, quand le conceptuel et soporifique Tony Conrad gratifiera l’assemblée de son SEUL et UNIQUE accord de violon une heure durant (au secours !). François, refoulé presto par un professionnel de la profession qui installait ses lampions, aura finalement l’idée de faire poser le Kim dans le pipiroume de l’église, Fowley jetant distraitement une oreille vers les matelas sonores de Tony Conrad : « Hmm, je pense que c’est la plus belle chose que j’aie jamais entendue (pause) Hmm… Non, en fait, c’est sans aucun doute la PIRE. » Retour des rockeurs au bar, Kim Fowley distribuait GRATUITEMENT ses affiches, attablé quasiment à la croisée du transept, à une foule pieuse, aux petits oignons avec les grâces féminines, dispensant paroles, souvenirs et cajoleries, quand une vision digne de Lourdes nous apparut. Impossible de se gourer : prenant des poses de discobole ventru, Dédé Mishimax ! Loin de ses fantasmes de seppuku, l’artiste laissait les flashs photo crépiter sur son corps. Peint en noir (il suffit de peu), on l’aurait donné comme pochette de Grace Jones…

Le reste de la soirée ne se raconte pas. De toute façon, nous autres et certains Truands de hauts faits se feront jeter du bar improvisé (dans une église, bravo) pour cause de ricanements intempestifs. Faut avouer qu’entre notre épanchement rabelaisien pour la communion dans la joie vinicole et le concerto pour ustensiles de cuisine que l’on subissait alors, la messe était dite.

Réalisation: Xavier Reim
Interview: Serlach, Sam Ramon

Photos: François Grivelet 

11 commentaires

  1. Très bon article, on était au même endroit et on a visiblement vu et entendu les mêmes choses. « Silence au bar s’il vous plait, respectez la performance » ai-je cru entendre à un moment… gloups. Éternel respect pour l’éternel Kim Fowley dont la moins éternelle affiche trône au-dessus de mon lit.

  2. merci, c’est terriblement instructif et excitant.
    quelqu’un sait où trouver les vidéos utilisées en transition?
    bisous

  3. Dans un blog célébrant le gonzo et l’investigation journalistico-musicale il est dommage de constater que ses chroniqueurs n’y mettent pas également en oeuvre le (strict ?) minimum d’ouverture intellectuelle (et surtout acoustique).
    Car il me semble qu’ici, il est bien question de musique (n’est ce pas ? me trompe-je ?). Alors s’il y est bien question de musique (et ainsi de toute la part de subjectivité qu’elle peut apporter) célébrons, ensemble, la dissonance et le sprechgesang. Car face à un Kim Fowley moribond flanqué de sa professionnelle de la fessée, et où seul le background des 4 péquins glanés la veille au soir rappelait à notre bon souvenir une vague idée de la tonalité, nous étions face à une performance digne des plus belles années de l’école dodécaphonique (un rappel ? Schoenberg, Webern … excusez la vulgarité). Finalement les performances suivantes ne respectaient qu’un ordre chronologique, et après avoir parcouru un première moitié du 20e siècle, Tony Conrad nous faisait basculer dans la seconde. (Il serait important de ne pas oublier Keiji Haino, également à l’affiche ce soir-là, mais je ne pense pas que vos oreilles si délicates aient attendu jusque là). Un SEUL et UNIQUE accord … arg. Célébrons également la surdité, car dans nos vies saturées de mp3, deezer et autres enceintes aux relents plus que douteux, nous en avons oublié une chose essentielle, l’ÉCOUTE. L’écoute se travaille, se cultive et se développe (si si, je vous en assure ! et heureusement, car dans le cas contraire ce serait la voie ouverte au mainstream et autres britney spears …). Un accord (s’il est besoin de le rappeler) c’est un empilement de plusieurs notes (et harmoniques associées). Et dans la musique de Tony Conrad, ces multiples notes sont modulées ce qui donne à entendre cet « unique » accord sous un jour sans cesse renouvelé car ses composantes varient perpétuellement (nouvelles notes, nouvel accord. bases de notre solfège occidental, non ?). Mais pour entendre cela, il est vrai, il est nécessaire de s’impliquer dans l’écoute, dans une posture d’écoute.
    Seulement là arrive peut-être le nœud du problème, la posture. Car oui, à l’occasion de cette grand messe d’onanisme collectif où il était évident que le gratin internationalement connu à Belleville ferait ses choux gras de sa présence à Saint Merry, c’est bien à cela que nous avons assisté, une simple affaire de posture.
    Je me permettrais de rappeler ces quelques mots de Varèse, « avant de vomir, il faut avaler ! »
    à bon (ou mauvais) entendeur,

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