Le 31 décembre 2013 était encore une période assez insouciante, bien que l’on sentait déjà l’atmosphère tourner vinaigre. Enfin, c’était le jour de l’an, un diner avait été organisé et Jean et Johanna passaient sur la stéréo la version proto dub de "Les hommes ne sont plus des hommes" dont les paroles drôles et irrévérencieuses, le rythme et les voix langoureuses imposaient à l’esprit l’évidence qu’on entendait un futur grand single français. Exactement le genre de chansons qu’il manquait à tous les défenseurs de « l’exception culturelle française ».

Novembre 2015, Jo Wedin et Jean Felzine sortent enfin leur premier disque : un EP quatre titres, autoproduit, bien gaulé, en 10 pouces, un format que l’on affectionne particulièrement. Le couple iconique – oui, c’est ainsi, certaines personnes accrochent le regard, et c’est leur cas – montre un savoir-faire dans la composition peu commun. À l’heure de l’imprimante 3D et de la « drôle de guerre », composer, écrire, harmoniser et tenir la tête haute avec une simple guitare et deux voix semblerait presque anachronique, voirz artisanale, s’il n’y avait pas une grande authenticité dans ces chansons sans âge. Les hommes ne sont plus des hommes – un titre qu’il faudra bientôt écrire avec un grand H – dispose à compter d’aujourd’hui d’un clip, diffusé ici en avant première. Gonzaï en a profité pour organiser une interview, histoire de vous éclairer sur ce que nous ne sommes plus et ce que Jo Wedin et Jean Felzine pourraient bien être.

J’étais assez surpris que vous me disiez que le texte des Hommes ne sont plus des hommes soit une parodie d’Éric Zemmour.

Jean : C’est ironique. Ce n’est pas littéral. Jo : Tu pensais que tout était vrai ? Jean : … Un mélange entre Alain Soral et Éric Zemmour ?

Non, je voyais bien que le texte était ironique, mais de là à penser que c’était une parodie…

Jo : Non, c’est pas une parodie. J’ai jamais pensé à eux quand on a écrit ce texte. Jean : (à lui-même) Il faut dire que j’avais jamais entendu Zemmour parler de la féminisation de la société à cette époque. Jo : C’est moi qui le chante, donc c’est évident qu’il y a un côté moqueur. Jean : Avec un verre de plus, on se demande si ces mecs ne regretteraient pas qu’on ne batte plus les femmes. Jo : J’avais envie d’écrire une chanson drôle sur les hommes. Parce que c’est toujours les femmes qu’on met dans cette position. On nous dit toujours ce que l’on doit faire pour être une femme. J’ai inversé l’état d’esprit des années 50.

C’est une sorte de « machisme » féminin.

Jo : Voilà. Bien entendu, je n’ai pas envie d’être une esclave des hommes. Je voulais créer l’effet inverse : les soumettre aux clichés de la virilité. Du coup, la chanson devient hyper féministe.

Ça m’a fait rire parce que quand j’écoutais le morceau, j’étais en train de ranger le coffret de la saison deux de Mad Men sur laquelle il est écrit : « Une époque où les hommes était des hommes et les femmes portaient des jupes ».

Jean : C’est marrant que tu parles de Mad Men. J’ai dévoré la série cet été, ce qui m’a permis de la voir du début à la fin. Ce que j’y ai vu, c’est l’imposture de la virilité. Qu’est-ce que tu vois dans cette série ? Un mec qui toute la journée est filmé en contre plongée dans son costume et qui, tous les soirs, va pleurer chez ses maitresses comme un enfant. C’est un imposteur, à la fois par apport a son identité, mais aussi quotidiennement, entre le bureau où il surjoue le bonhomme et dans l’intimité ou il est fragile. Jo : Surtout qu’à la fin, il devient assez pathétique. Jean : Mais c’est un personnage sublime Don Draper. Jo : Il y a plein de personnages sublimes dans cette série.

Du coup, l’interprétation de cette chanson demande de raconter comment vous travaillez : vous écrivez tous les deux, il me semble.

Jo : Oui, sauf au tout début : Jean a écrit La Valise tout seul. Jean : Il y a trois ans, Johanna cherchait des chansons pour jouer en solo. Elle m’a contacté pour l’aider et on s’est rencontré comme cela. Jo : J’avais du mal à écrire en Français. C’est toujours quelque chose de pas très naturel pour moi, comme ça peut l’être pour Jean. Je ne suis pas française, je m’entraine, mais… Jean : Mais tu as des idées de chanson que j’arrive à mettre en forme. Jo : C’est presque comme si je faisais des pitchs… Jean : … et moi j’écris le scénario. Jo : Et on compose la musique ensemble. Jean : Ce qui est assez amusant quand tu écris des textes en Français pour une chanteuse qui n’est pas française, c’est que tu peux pas faire du « parler chanter » parce que ça ne tombera pas droit. Du coup il faut vraiment utiliser une écriture limpide pour que ce soit mélodique.

Donc vous vous êtes rencontré par la musique. Je pensais que vous étiez d’abord ensemble puis que vous avez commencé à faire de la musique par la suite.

Jo : Non non, c’est comme ça que ça c’est passé. On s’est rencontré, on n’était pas amoureux… enfin c’est arrivé assez vite… Disons que mon projet était déjà avancé, j’avais quelques chansons que j’avais écrite moi-même ou qu’on m’avait aidé à écrire. Ça et des petites compos qu’on a pas forcément utilisées par la suite. J’avais tout un chantier avec des choses ce que je voulais faire, mais que je n’arrivais pas à concrétiser. Il me fallait trouver quelqu’un qui puisse comprendre tout ce que j’avais imaginé. J’adorais Mustang, mais j’avais pas forcément pensé à les contacter. Un très bon ami m’a incité à les contacter. Du coup j’ai écrit à Jean, on a discuté et j’ai vu qu’il comprenait ce que je voulais faire. Il a fait une chanson très rapidement : La Valise. Jean : Quand on s’est rencontré, on avait des tas de gouts communs : les Girl Group, des choses assez simples mélodiquement, mais puissantes. Johanna cherchait à chanter plus… Jo : Je chantais déjà des petites chansons, je faisais aussi du jazz et j’avais envie de trouver un entre-deux.

Donc au départ ce n’était pas pensé comme un duo.

Jean : Non. Johanna avait une manageuse qui avait tout préparé, comme cela se fait parfois en France : il ne fallait pas faire de concert tout de suite, etc etc… Bref j’ai dit : « maintenant que tu as pas mal de chansons et que moi je sais les jouer, on devrait essayer de les jouer sur scène juste tous les deux, avec une boite a rythme. » À la base, c’était une solution de fortune, juste pour mesurer l’effet des chansons sur le public. Puis ça s’est imposé parce que c’est pratique quand tu n’es personne de jouer juste à deux : ça coute pas cher, ça prend pas de place, tu peux te produire n’importe où… Quand on a commencé, je sortais d’un album avec Mustang pour lequel on avait énormément travaillé en studio. J’avais envie de jouer des choses simples, le genre de compositions où tu peux juste plaquer les accords, sans ornementation. Ce sont des chansons solides. Jo : Ça aide énormément. Je joue aussi dans un groupe de filles où l’on compose toute les parties, puis on les enregistre sur l’ordinateur… Nous, soit on fait une guitare/voix, soit je viens avec une mélodie, et il harmonise. C’est direct. Jean : Sur cet EP, ce sont vraiment nos premières chansons. Donc c’est Johanna qui chante majoritairement et c’est un point de vue de fille. Mais plus ça va, plus on écrit à deux voix, avec un point de vue masculin et féminin. Jo : Il va même en faire en solo maintenant.

(C) Astrid Karoual
(C) Astrid Karoual

Pour cet enregistrement, vous avez eu envie d’arranger pour sonner « album ».

Jean : Y’a pas tant d’arrangements. On a fait venir un batteur… Jo : Si je pouvais avoir des cordes, des cuivres, je serais ravi. Mais chaque chose en son temps.

C’est là où l’on voit la vertu des vraies compositions : vous n’êtes que deux sur scène, mais on entend déjà l’orchestre qui pourrait jouer derrière vous.

Jean : C’est ce qu’on voulait. Plus ça va et plus je me replie sur la chanson comme une sorte de… valeur. Je ne crois pas aux « morceaux de musique », aux choses évanescentes.

J’ai l’impression que pour toi, Jean, jouer avec Johanna est arrivé à un moment ou tu étais vraiment concentré sur la composition.

Jean : Oui, mais surtout, le fait de travailler en binôme m’a ouvert des portes, m’a permis de me surpasser. Jo : Pareil pour moi. Jean : Les binômes, ça a souvent bien marché dans l’histoire de la pop music. C’est un classique. Et les couples même : Carole King et Gerry Goffin.

Mikey et Sylvia…

Jean : Love is Strange. Tu sais que c’est écrit par Bo Diddley ?

En même temps, vous faites de drôle de reprises sur scène.

Jean : On a déjà repris Ace of Base. C’était le clin d’œil suédois. (Un horrible bruit écrase la conversation, le genre presse à purée atomique) … qu’on a essayé de faire en version Jamaïcaine. C’est Johanna qui m’a fait découvrir cette musique. Jo : C’est sûr que lorsque tu te lances là dedans… Suède, il y a beaucoup plus de gens dans la musique indé qui adorent la musique jamaïcaine. Un peu comme chez les Anglais.

Pour les Anglais, la musique jamaïcaine fait partie de la culture populaire.

Jo : En Suède, ce n’est pas une grosse musique populaire, mais ça touche pas mal de monde. Jean : En France, à part Bob Marley et Jimmy Cliff il n’y a pas eu de hit jamaïcain. Jo : Surtout que lorsque tu parles de musique jamaïcaine ici, les gens n’aiment pas, parce qu’ils ne connaissent pas les bons artistes. Jean : Il y a Nova tout de même qui a œuvré pour ça. Jo : Oui, mais ce n’est pas la musique que je préfère. Ça peut être bien, mais je n’entends pas le rocksteady des 60’s sur leur radio.

Puis comme dit Nicolas Ungemuth dans son article sur le label Trojan, la France a inventé cette hérésie qu’est le Ska Festif, ce qui définit la musique jamaïcaine pour les Français.

Jo : Complètement. Jean : Ceci dit, j’ai l’impression que ça n’a plus vraiment pignon sur rue. On a été traumatisé parce que c’était énorme quand on était ado. Désormais, ils font plus trop chier tout de même.

Le Rocksteady, c’est simplement de la soul jamaïcaine.

Jo : Complètement. Même le mot rocksteady fait un peu peur ici. Jean : Prend pas les Français pour des idiots tout de même. Jo : Mais je ne prends pas les Français pour des idiots. C’est une question de différence de culture. On peut prendre les Suédois pour des imbéciles parce qu’il écoute de l’Eurodance… Jean : Bon, on peut essayer de vendre notre disque maintenant !

OK Ok. Bon, vous l’avez auto-produit ce disque.

Jean : Disons qu’on la retro-autoproduit. On a essayé de travailler avec un label, et ça a merdé, on s’est retrouvé dans la position de devoir racheter les bandes, donc on à fait un crowdfunding. Du coup, on a monté notre structure pour pouvoir le sortir. Jo : On peut signer des artistes. Il faut venir me voir. Peut-être que je vais signer Mustang… Jean : On est tellement mal en point… Jo : Je vais faire une proposition. Plaisanterie mise à part, on a un distributeur, une promo… Tout vient de nous. C’est important de sortir ses morceaux. Ça permet de ne pas tourner en rond, marquer les étapes. Jean : D’ailleurs bientôt on va certainement faire un album. Jo : On a assez de chansons maintenant : ça fait 3 ans qu’on travaille, on en a 25, on est prêt.

Vous aimeriez rester dans cette configuration.

Jean : Je sais pas. Pourquoi pas ? Tant qu’on nous propose rien. Moi je suis pas un intégriste d’un modèle ou l’autre. Ce qu’on voulait, c’est sortir nos chansons. Jo : Bien que la liberté ait ses avantages. Mais avoir plus de moyens, c’est cool aussi. Pour l’instant, ça va. Jean : Disons qu’avoir un label n’est pas le rêve. Le rêve, c’est de sortir un album. Sortir les chansons. Que les chansons soient diffusées et qu’on puisse faire des concerts. C’est ça notre métier.

J’ai l’impression qu’au niveau des concerts, vous vous êtes bien démerdé depuis le début.

Jean : On s’est bien démerdé jusqu’à ce que je me pète le poignet. Mais on a quelques premières parties importantes. On doit faire Feu Chatterton au Trianon. Jo : Et on joue avec Grand Blanc et Bon Voyage à Clermont-Ferrand. Jean : C’est aussi parce qu’il me reste quelques contacts de la période faste… enfin faste c’est un bien grand mot… de Mustang.

11 décembre / La Ferronnerie (Paris)
20 décembre / 3 Baudets (Paris)
27 Janvier / Trianon (première partie de Feu Chatterton, Paris)
5 Mars / La Coopérative de Mai (avec Grand Blanc et Bon Voyage Organisation – Clermont-Ferrand)

1 commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages