Survivant au syndrome dit du « petit écolier », le jeu vidéo a su au fil du temps démontrer qu’il n’était pas fait « que pour les enfants ». Il en est même devenu un loisir pour adultes, un peu comme le sexe en somme, avec ses hauts, ses bas (nylon) et ses frustrations…

J’étais aussi jeune, bête et léger qu’un paquet de Monster Munch quand deux gros plombiers moustachus d’origine italienne sont entrés violemment dans ma vie. Heureusement, ce qui aurait pu se finir en un fait divers bien glauque a rapidement viré à l’amour passionnel. Tant et si bien qu’un dimanche matin, j’ai tout simplement quitté mon flirt du moment (un certain Jésus Christ) uniquement parce qu’il fallait à tout prix que je termine un stage ardu de Streets of Rage 2…

Cet état amoureux et la douce nostalgie qu’il m’inspire ne m’aveuglent cependant pas. Les années ont passé, et aujourd’hui, je dois l’avouer, ma relation avec ce média est au point mort. C’est qu’en vieillissant, mes besoins ont changé. J’ai fini par avoir besoin de plus que de simples princesses à sauver, par espérer davantage de lui que des meurtres de masse sur des hordes de zombies et de Russes mécréants armés de sulfateuses.

Le constat est amer : je me sens piégé, quinze ans après, dans une ritournelle lassante aux enjeux narratifs sempiternels et creux. Mon PC n’a jamais aussi bien porté son nom, le jeu vidéo s’étant transformé en cette amante qu’on trouve au début fort jolie mais qu’on délaisse bien vite après l’acte de chair. On la rappelle parfois lorsqu’on s’ennuie vraiment, il nous arrive même de passer la nuit avec elle, mais le plus souvent elle nous barbe franchement. D’ailleurs, on a fini par raser la nôtre et nos cheveux ont tourné courts à l’image d’un morceau des Last Shadow Puppets. Et aujourd’hui, aussi lisse et propret qu’un scientologue américain, malgré quelques plans à trois foireux avec le septième art, je suis à deux doigts d’abandonner la partie.

Ce n’est pas tellement que la passion est morte. C’est que le risque, élément moteur de celle-ci, a globalement disparu. Les rituels ont leurs avantages, mais lorsque ces rituels annihilent jusqu’à la peur de perdre ou de mourir et qu’ils finissent par ressembler à « maman », c’est qu’il y a un malaise.
Désormais, quand je joue, comme avec cette dernière, on me tient la main quoi qu’il arrive. J’ai l’impression d’avoir en permanence un filet sous mes pas, mes échecs ne sont pas punis et l’on me récompense pour tout et pour n’importe quoi (tu viens de sauter sur place dix-huit fois d’affilée, félicitations !). Toute forme de passion a besoin de sado-masochisme, de limites et de nouveautés. Mais ces trois prismes furent effacés au profit du confort, du plaisir facile et immédiat. La facilité…Voilà ! Le risque n’est plus et nous tombons peu à peu dans la facilité (comme ces doux maris qui prennent dix kilos une fois la bague au doigt puisqu’ils n’ont plus, pensent-ils idiotement, à séduire Madame).

Quand j’étais enfant, je n’arrivais presque jamais à finir mes jeux, et pourtant c’est d’eux que je garde les meilleurs souvenirs. La difficulté est formatrice, la facilité enorgueillit. Tout ça pour dire qu’en rentrant chez moi, le soir, je ne rêve plus manette en mains. Je ne traverse plus d’expériences sensationnelles ; soit par leur côté impossible, soit par leur prise de risque artistique. Le jeu vidéo n’est plus qu’une sorte de cinéma du riche – 60 € pour du neuf, quand même – et du pauvre en même temps, où les interactions sont minimes, la plupart avalées par des cinématiques de près d’une demi-heure nous vantant les bienfaits du modèle guerrier étasunien. Cette direction castratrice d’un média dont les possibilités paraissent infinies est à mettre à côté de celle qu’à pris le cinéma justement, préférant à un avenir où tous les cinéastes seraient des Gaspar Noé, un présent où tous les filmmakers sont des Podalydès, c’est-à-dire des gens qui font du théâtre en 35 mm.

Certains créateurs japonais (Kojima, Suda 51, Mizuguchi) et occidentaux (Chen, Gabler, Blow) ont bien expérimenté d’autres façons de concevoir le jeu, mais pour les dénicher, il faut souvent se coltiner la lumière blafarde des sous-sols comme on le ferait pour recevoir les services d’une professionnelle en léopard à l’accent brésilien et aux chromosomes tout à fait discutables.
Alors malheureusement, cette autre industrie du divertissement aux revenus colossaux (devant le cinéma tout de même) n’a finalement pour vitrine que la guerre et le sport, opiums d’un peuple qui aurait seulement besoin… d’opium.
Cet état de fait inquiétant trouve peut-être son explication dans la jeunesse du monde vidéo-ludique. Il est certain qu’on est rarement étourdissant lors de ses premières fois. Alors, tel un adolescent qui recopie les codes du porno pour ensuite être nullissime au pieu avec sa partenaire, le jeu vidéo fait de même avec ce qui marche, reproduisant pour produire et générer des bénéfices, mais sans créer vraiment.

Peut-être donc que le temps et la maturation feront émerger ces talents véritables qui n’attendent qu’une démocratisation plus large et moins économique pour tenter des coups de folie, briser le quatrième mur définitivement et poser, par l’idée même du jeu, des questions philosophiques profondes (à quand un jeu nous mettant dans la peau du Mahatma Gandhi et qui nous proposerait d’attendre en méditant avant de se faire tabasser ?).

Peut-être qu’avec le temps, alors… j’aimerais encore, encore, encore, me risquer à mourir un million de fois devant mon écran plat. En attendant, je me console avec Journey et ça, c’est déjà une vraie jouissance.

10 commentaires

  1. Je l’aime bien ton papier. N’empêche que je peux pas m’empêcher de me demander si ton sentiment de « c’était mieux avant » ne tient pas au fait que tu as simplement grandi et que l’impression de risque que tu ressentais en étant gamin était biaisée par le fait que tu étais justement un gamin – y’a qu’à revoir les sprites de Street of Rage, quoi.

  2. Non c’est clairement un fait concernant la difficulté. La plupart du temps aujourd’hui, on est loin du level d’un Megaman ou d’un Contra… Et c’est surement pas un hasard s’il faut aller dans le jeu indie pour pouvoir trouver des trucs aussi frustrants, comme Super Meat Boy ou Braid par ex. J’ai beau avoir fini tous les jeux que je peux posséder sur PS3, quand je reviens sur Ecco the dolphin, j’ai bien envie de crier dans un tupperware. Le nivellement en question, c ‘est pas du domaine de la nostalgie, et c’est malheureusement un sentiment global qui s’étend bien plus loin que les jeux vidéos.

  3. D’accord. Les technologies qui nous simplifient le jeu (sauvegardes automatiques, nombreux checkpoints, maps trop explicites…) me lassent aussi. C’est bien plus excitant de sortir des rails de la mine de Donkey King Country que de perdre un duel à Red Dead Redemption. Le risque ou le sang, ça dépend de l’humeur.

  4. Disons que le jeu vidéo a évolué vers autre chose que la difficulté, des trucs comme GTA c’est des rêves de Gamers, Skyrim aussi, la série des Silent Hill c’est de l’art. La difficulté ne se joue plus face à une machine, mais à d’autres joueurs humains, le jeu vidéo est devenu un sport – Starcraft 2

  5. Bester, tout d’abord merci d’avoir kiffé mon papier, ensuite, je crois que les précédents commentaires ont plus ou moins répondu à ma place. Oui, le sentiment nostalgique est parfois faussé par l’hyper-sensibilité enfantine mais réellement, concernant le jeu-vidéo, ça va plus loin que ça.

    Car d’un côté, tout s’est facilité, de l’autre, les risques narratifs se sont raréfiés. Ou du moins, les risques pris dans la façon de les amener. L’aspect cinématique a fini par desservir le jeu en lui-même, il n’y a qu’à voir comment a tourné la saga des Metal Gear Solid pour s’en convaincre (alors que le premier, certes ultra scénarisé, demeure un chef d’oeuvre).

    Après, il y a évidemment comme dans tout art, des exceptions…dans les jeux indés pour la difficulté par exemple comme l’a dit « karlheinz » ou dans quelques perles : les Silent Hill (oh oui Sigismund !), Ico, REZ,…pour une façon plus originale de narrer l’histoire par le jeu et non dans le jeu.

  6. Et puis, il ne faut pas critiquer les sprites de Streets of Rage…parce qu’en règles générales, il ne faut pas critiquer les jeux où l’on peut tabasser des punks à crêtes en toute légitimité.

  7. Bel éloge du gameplay old school.
    Meme si le confort a remplace le challenge, certains editeurs comme Platinum games résistent…
    BAYONETTA , tu connais?

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