Les gouttes commencent à tomber sur l’enregistreur : on décide de se mettre à l’abri sous un chêne, sur un autre banc de ce square du 11e arrondissement. Difficile de faire mieux que ce cadre humidement printanier pour discuter avec Rory McCarthy de la musique toute en spleen de son alias Infinite Bisous. Sorti le 21 mars dernier, uniquement en format numérique (pour le moment), « w/ love » est un premier album à la gestation lente, et ça se ressent dans son homogénéité et sa production au cordeau. De slows subaquatiques (The Past Tense, Life+You) en tubes funk dépouillés (Teen Sex), on a droit à un romantisme assumé : presque un geste politique face à l’ironie réglementaire de l’époque.
L’Anglais, installé à Paris depuis quatre ans, a eu le temps de se faire la main en tournant avec le gratin de la scène indé, jouant des percussions ou de la basse pour Connan Mockasin, Mac DeMarco, Beck ou Metronomy. Depuis quelques temps, il développe ce projet solo, sans ambition particulière, si ce n’est celui de partager au plus grand nombre ces morceaux enregistrés en appartement. On en a discuté avec lui, au rythme des averses.
J’ai vu un de tes posts sur Facebook récemment, où tu racontais que quelqu’un t’avait demandé de te comporter “un peu plus comme une maison de disques”. Toi, on a l’impression que tu as sorti l’album un peu comme ça et lui a laissé vivre sa vie sur Internet, sans faire trop de promo. C’était délibéré ?
Oui, complètement. En fait, j’ai écrit ces chansons il y a environ cinq ans. Pendant toutes ces années, je n’avais pas dans l’idée de sortir cet album, et puis, au fur et à mesure, mes amis et les gens avec qui je travaillais m’ont conseillé de le faire. A ce moment-là, j’ai commencé à discuter avec des labels. Ça m’a toujours un peu fait peur, les labels, mais j’étais en train d’envisager pour la première fois l’idée. Finalement, plus je parlais avec tous ces gens, plus je me disais que ça ne me convenait pas. Si tu as de l’ambition, si tu veux faire un grand album pop, je pense que c’est cool d’avoir des gens qui bossent pour toi. Mais, actuellement, je traite ce projet en m’occupant de tout, et je demanderais de l’aide si ça me dépasse. Pour le moment, j’attends de voir où ça va aller.
Tu attendais donc que les gens découvrent l’album tout seul ?
Oui. On sait tous que le rapport à la musique sur Internet est moins concret que l’achat d’un album chez un disquaire. Ce que j’adore, ce sont souvent les albums que j’ai découvert sur Internet tard dans la nuit, sur un site obscur. Ceux dont j’ai l’impression que personne n’en a jamais entendu parler. Tu développes une autre sorte de relation. Donc j’aime l’idée que, plutôt que de l’imposer aux gens, l’album soit là, à se balader sur Internet, et les gens se passent le mot. Et puis j’ai l’impression que les labels envisagent toujours les sorties d’albums de la même manière : l’artiste s’échine à faire un disque, à le promouvoir, à tourner, et si ça ne fonctionne pas immédiatement, dans le mois de la sortie, c’est fini. C’est dangereux. Les gens du label arrêter de bosser si l’album ne marche pas. Ce n’est pas très respectueux des artistes. Du coup, j’aimais l’idée de le sortir comme ça, du jour au lendemain. Et puis on s’enthousiasme seulement aujourd’hui sur des albums sortis il y a trente ans, donc cela importe peu de savoir quand celui-ci est sorti.
« Mon boulot était incroyablement chiant : je récurais des fausses dents pour mon père qui est prothésiste dentaire. »
Quand a commencé ce projet solo ?
Il y a cinq ans. J’habitais chez moi, au milieu de l’Angleterre. Mon père avait construit une petite cabane dans notre jardin pour que le groupe de mon frère puisse répéter. J’y ai installé l’électricité et construit un petit studio. A l’époque, je faisais ça parce que mon boulot était incroyablement chiant : je récurais des fausses dents pour mon père qui est prothésiste dentaire. Je voulais donc me lancer dans un projet excitant à côté. Avec mon frère, on a commencé à faire un disque sous le nom “Column”. A un moment on s’est dit : allons quelque part. On a choisi un endroit au hasard en France, et ce fut un village près de Sancerre, où on a terminé l’album. Tout en faisant cela, j’écrivais quelques chansons de mon côté, qui, au final, constituent « w/ love ».
La première fois que j’ai écouté ton album, j’étais en voyage à Tokyo, et j’ai trouvé que c’était très en accord avec l’atmosphère de la ville. J’ai lu par la suite que que tu voyageais souvent au Japon.
Oui, c’est le meilleur endroit pour écouter cet album je pense… Je suis très japanophile. J’étais d’ailleurs à Tokyo il y a pas longtemps, le jour de Noël, ce qui est très bizarre. J’ai retrouvé un pote japonais là-bas, et quand je lui ai dit que je serais là à Noël, il m’a répondu “Sérieux ? Il faut qu’on aille au KFC ». Apparemment, c’est une tradition au Japon.
Et il y a ces deux morceaux titrés “Lost in Translation” sur l’album…
Bon, je ne sais pas trop ce qui m’attire dans la culture japonaise… Je suis un énorme fan du Yellow Magic Orchestra, et de tout ce qui y est lié. Ce n’est pas le côté manga qui m’attire, plutôt leur artisanat, leur façon de faire les choses. C’est à chaque fois un rappel des façons dont l’humanité peut évoluer de manière totalement différente. Et Tokyo a tout : les traditions et la technologie. Quant à cette chanson, à la base, elle parle d’une relation amoureuse avec une Française où je sentais que quelque chose ne fonctionnait pas. Je mettais ça sur le dos de nos problèmes de communication, avec la barrière de la langue, avant de me rendre compte que cela s’était aussi passé avec ma copine précédente, pourtant anglaise. Cette chanson parle donc des choses qui se perdent entre deux personnes, parce que l’on ne pense pas de la même manière.
https://www.youtube.com/watch?v=_MvG4wiE57c
L’album évoque une certaine sensualité, voire sexualité. J’ai lu que tu ne comprenais pas trop pourquoi les journalistes décrivaient ta musique ainsi…
La sexualité, il n’y en a pas beaucoup… A part sur Teen Sex, qui parle du sentiment de découvrir cette chose si nouvelle et excitante. Les paroles m’amusent à chaque fois, ça parle de faire l’amour à l’étage alors que les gens font la fête en bas. Et tu penses que les gens ne le savent pas, alors que, clairement, si. Tu descends, et tu te sens différent. Ça me fait toujours bizarre de la chanter maintenant, puisque je l’ai écrite quand j’avais 18 ans, et c’était une question qui m’obsédait un peu à l’époque. Je me sens un peu trop vieux pour la jouer maintenant.
« Souvent, les artistes essaient que leurs albums aient un son “cool”, et cela donne des ambiances froides, distantes. »
Mais le reste des morceaux parlent de ce que je vivais il y a cinq ans : cela parle des difficultés amoureuses, ou de la mort de mon frère sur Life+You ou The Past Tense. Il n’y a en tout cas pas d’ironie sur cet album. Je n’essayais pas vraiment de sonner sensuel, je voulais juste que le son soit doux. Souvent, les artistes essaient que leurs albums aient un son “cool”, et cela donne des ambiances froides, distantes. Moi, ce que je voulais, c’était un album direct et intime, que ce soit limite excessif. Avoir ma voix tout près des oreilles de l’auditeur.
Pendant ces cinq ans entre l’écriture et la sortie de l’album, tu as aussi été musicien de tournée pour plein d’artistes… Comment ça a commencé ?
On en revient à la période des fausses dents. A l’époque, je suis allé assister à un concert de Connan Mockasin à Manchester. J’étais un gros fan, il venait tout juste de sortir Forever Dolphin Love. J’avais déjà rencontré Connan avant cela, grâce à Sam Eastgate (LA Priest, ex-Late of the Pier) avec qui j’ai grandi. Ils collaboraient à l’époque sur l’album de Soft Hair (sorti l’an dernier, ndlr). Connan m’a demandé si je voulais jouer avec eux sur scène ce soir-là. J’ai joué des bongos et à la fin du concert, il m’a demandé si je voulais continuer la tournée avec eux. Et je suis tombé là-dedans pour les quatre années qui ont suivi. A l’époque, j’avais 19 ans, et j’ai adoré ça. Sur ces tournées avec Connan, j’ai rencontré les autres artistes avec qui j’ai joué sur scène, comme Metronomy, avec qui j’ai fait quelques concerts. J’ai rencontré Mac DeMarco la première fois que je suis allé à New York : je ne connaissais pas sa musique à ce moment-là, mais je le trouvais juste marrant. On est donc devenus potes, et quand son bassiste est parti, il m’a demandé si je voulais le remplacer pour un moment. Mais c’était juste un boulot à temps partiel. Avec Infinite Bisous, j’essaie de faire des petites tournées, une fois de temps en temps. On va en faire une en juin par exemple, en Allemagne, peut-être en Espagne, et quelques dates en France. Ce sont juste des petites promenades, comme ça, des vacances avec tes potes où tu joues de la musique. C’est agréable. On fera aussi une date à Paris, le 21 juillet au Point Ephémère.
« Le nom du projet, ça m’est venu en voyant les Français se faire la bise tout le temps. Je trouvais ça super cool, mais j’imaginais ça avec l’idée d’une transmission, comme un rhume. Ca a donné Infinite Bisous ».
Avec tous ces musiciens qui viennent d’un peu partout dans le monde, avec Alex Cameron aussi par exemple, on a un peu l’impression que vous avez un esprit de bande, que c’est une sorte de scène émergeant des quatre coins de la planète, avec une même approche de la musique.
Oui, j’ai rencontré Alex Cameron au Laneway Festival en Australie alors que je jouais avec Connan. On est immédiatement devenus potes, il est super drôle. On s’est baignés dans l’Océan Indien à Perth, c’était magnifique : le soleil se couchait, tout était calme, et on déconnait juste à deux, sur le fait que c’était un moment magique. On se voit à chaque fois qu’il passe ici. On n’est jamais tous réunis au même endroit au même moment mais on a un peu cet esprit de groupe, oui. Pour ce qui est du côté musical, je ne sais pas, je n’y avais jamais réfléchi avant. Je sais juste que c’est juste cool d’avoir des potes qui font tant de choses et de les voir une fois de temps en temps quand ils passent à Paris.
Est-ce que la France a eu une influence quelconque sur cet album du coup ?
Peut-être, même si j’avais déjà composé la moitié des morceaux dans mon jardin, en Angleterre. Je n’avais jamais écouté de musique française. Ce n’est qu’après avoir fait mes démos pour « w/ love » qu’on m’a fait écouter Air pour la première fois. Je ne connaissais pas Talkie Walkie par exemple avant de faire cet album. En même temps, il y avait une partie de moi qui se disait “Oh, ça sonne peut-être français comme musique”… Le nom de ce projet évidemment est à moitié français. Ça m’est venu pendant un concert avec Soft Hair, le seul d’ailleurs qui ait jamais eu lieu, dans une ferme de l’est de la France. On avait organisé cela pour les gens du coin. Je voyais les gens se faire la bise tout le temps, et je trouvais ça super cool, mais j’imaginais ça avec l’idée d’une transmission, comme un rhume. Donc “Infinite Bisous”. Il y a aussi une ligne de parole en français sur l’album, une seule : “Mon Dieu, mon God” (sur Terminally Lovesick, ndlr). C’est le jour où j’ai appris que “god” en français voulait dire “dildo”. Et je trouvais que ça résumait bien la chose : l’objet qui sert à se donner du plaisir veut dire “dieu”. J’ai trouvé ça extraordinaire.
Quels sont tes projets après cet album ?
Mon deuxième est déjà prêt : la pochette est faite, le tracklisting aussi. On verra, je ne sais pas encore quand je vais le sortir. On m’a demandé aujourd’hui quelle ambition j’avais avec ce projet. Honnêtement, aucune. Je n’ai pas d’objectifs.
5 commentaires
Tête d’affiche ? Tête de bite plutôt !
kitsuné yéyé
magnifique album !
si vous n’avez pas de couteaux, utiliser la BOMBE ATOMIQUE.