(C) montage : Gérard Love

Le duo techno parisien a sorti son premier album, « Les Mystères de Lorient », entre deux vagues Covid; une période de dépression généralisée où tout le monde faisait la gueule et où les salles étaient fermées. Pour fêter la pause de la pandémie, Il Est Vilaine sort à nouveau son disque agrémenté de remixes. Ça tombe bien : il paraît que l’été 2022 sera un summer of love orgiaque.

Au moment où j’écris ces lignes, le vieux morceau-doudou – Flowerz d’Armand Van Helden – surgit de ma playlist. Un titre de house filtré mélancolique circa 1998 qui invoque la foi en notre Seigneur, l’amour et les lendemains de fêtes. Bref, des jours meilleurs. Je lève mon nez du clavier et jette un œil à la fenêtre : la nuit tombe sur Paris, il fait toujours aussi froid, mais cela n’est pas très grave. L’idée principale est qu’il semble se dessiner une accalmie de pandémie sanitaire. Comme une pause salutaire.

Quand on fait une chronique de disque, je suis censé – c’est la règle – remettre les choses dans un minimum de contexte et vous introduire en deux phrases les artistes dont il est question ici – histoire de situer les personnages. Mais mettons de côté ce cirque, arrêtons les faux semblants et redevenons intimes. J’aimerais plutôt vous confier ceci :

Depuis le temps que vous lisez mes conneries avec mon petit ton de Parisien prétentieux, j’aimerais, l’espace d’un instant, prendre un air grave et vous dire que je vous aime. Je tiens à vous. J’ai eu peur de vous perdre. J’ai eu beau me raccrocher à mes disques sauvages et futiles de Bon Jovi, j’ai un peu paniqué. Le cœur n’y était plus, je ne vous le cache pas. On fantasme tellement sur une sorte de fin du monde que quand elle semble enfin poindre, on ne s’y attend plus. Moi aussi, comme vous, je me suis surpris dernièrement à sortir. Les derniers mois bizarres ont été bizarres, nan ? Je pourrais faire semblant que non et vous parler de ce disque d’Il Est Vilaine comme si de rien n’était. Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien ?

Ceci étant posé en termes d’introduction, on peut passer à ce constat suivant : non, je ne connais pas les artistes d’Il Est Vilaine. Ce ne sont pas mes cousins ou des connaissances. Et pourtant, oui, je les aime. Je pense que c’est un duo de musique techno accessible parmi les plus excitants de notre patrimoine. Après plusieurs années d’activités avec des maxis et des remixs incendiaires qui n’ont laissé personne indifférent, ils ont eu le malheur – mais ils ne sont pas les seuls – à avoir sorti leur tant attendu premier long format dans cette ambiance covidée où tout le monde semblait sous Lexomil. Une période d’attente en CDI. Maintenant que les esprits semblent plus légers, et que l’on arrive enfin à se projeter, revenons sur ce disque.

À qui s’adresse ce disque ? 

À vous, bande de connards. Oui, vous qui aimez faire les malins, vous qui faites semblant d’être encore jeunes – tic-tac tic tac – et qui évoluez dans un environnement urbain tout triste. Vous qui écoutez les bons disques, aussi. Car des clins d’œil à votre discothèque, Les Mystères de Lorient en sont remplis.

À commencer par cette reprise, qui se trouve au milieu du disque : le Agitation de Christophe – décédé suite au Covid ; oui, cette ombre plane partout. Ce n’est pas un hasard si les Vilaines reprennent ce morceau. Érudition synthéphile francophone, donc, avec ce titre purement rockab’ tiré d’un disque perdu et impeccable de 1980 : pochette par Mondino et morceau écrit par cette figure mystérieuse et fascinante du rock’n’roll français, Alain Kan. Ce dernier était accessoirement le beau-frère de Christophe et l’un des premiers punks destroy frenchy dont la vie se finira comme un mauvais épisode de Faites Entrer l’Accusé. Personne ne l’a revu depuis sa présence spectrale sur le quai du métro station Châtelet un soir d’avril 1990. Disparu.

Une fois de plus, Il Est Vilaine savent de quoi ils parlent en s’appropriant le chant en français et en misant tout sur les renégats du boogie-woogie-camembert déviants. Ils ont un talent pour la production et leur carrière de DJs leur a permis de bouffer du disque obscur par palette. Le duo affiche aussi un talent pour la production – en plus de celui pour les jeux de mots débiles – et l’on sent chez eux un véritable amour pour les synthés en bois new age et les guitares floydiennes de sale fils de pute de hippie drogués prêts à vendre leurs petites sœurs contre un fix d’héroïne.

Le disque est construit, il me semble, en deux parties. Uu deux faces. La première contient des morceaux assez synth-pop. Cette partie est assez accessible est portée par des featuring vocaux. Parmi ceux-ci, j’en profite pour citer, outre l’Anglaise C.A.R, la bonne idée de la décennie : avoir ressorti du formol, une certaine Yula Kasp sur le morceau Phare Ouest.

Cette dernière est une poétesse polonaise qui a sorti une poignée de morceaux magnifiques et indispensable sur le regretté label Kill The DJ, où se mêlaient avant-rock et post new wave le tout pour un mélange faisant penser à Nico vs Spandau Ballet. Il Est Vilaine n’a jamais oublié Yula et j’ai été très ému de voir sa présence sur le disque : ces mecs ont définitivement un cœur grenadine concernant les héros gothiques made in France. Et en parlant de gothique bleu blanc rouge, le duo en remet une couche sur le morceau Marylin Drum : un track clinquant et obscène à la fois. Une sordide sentimentale à mi-chemin entre le Bashung de Play Blessures et la scène electroclash berlinoise du début des 00’s.

La face B de Les Mystères de Lorient contient, elle, des morceaux beaucoup plus aventureux pour remercier les plus courageux dont l’attention n’a pas été happée depuis le début de ce papier. Le disque passe la quatrième avec un époustouflant morceau de twist sauvage post-punk : Ride De Veau – putain ce nom. Un enivrant breuvage vaudou acid-techno contenant des gouttes de sang sacrificielles d’Army Of Lovers, des mèches blondes peroxydés arrachées aux cadavres d’Ultravox, le tout pour un hommage aux héros oubliés de l’acid house. Ou encore le spleenesque Calavera dont les intonations de voix apparaissent étrangement comme un mimétisme du timbre arrogant de Daniel Darc.

Vous l’aurez compris : des références et des clins d’œil à des artistes sibyllins, ce disque en est hanté. Par centaines. Il Est Vilaine a même poussé le vice pour se présenter aux publics lors d’une séance photo – signée Marc Dos Santos – faisant directement référence à un press shoot d’un autre duo : les Sparks.

Concernant les nouveaux remixs qui accompagnent la nouvelle célébration du disque, le casting parle de lui-même : Toulouse Low Trax, Golden Bug, Krikor ou encore l’habitué de la maison Gonzaï : Rubin Steiner. Ce dernier condense dans son remix ses deux passions : la violence de Black Flag et les discours sur l’amour libre prôné par Jean-Luc Mélenchon.

C’est un sans-faute, une superbe œuvre qui pourra t’accompagner aussi bien pendant tes warm-up enfumés qu’au difficile retour de l’orgiaque summer of love 2022 qui se prépare. Il Est Vilaine vous offre, avec ce disque, une distraction significative, une attitude, une esthétique : en un mot, la bande son de votre nouvelle vie qui s’annonce, je l’espère, chatoyante comme un bouquet de fleurs fraichement coupé et encore humide.

Il Est Vilaine / Les Mystères de Lorient Remixes / Dialect Recordings
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