Il y a quelques années, un nouvel album de Mac DeMarco était un événement quasi planétaire qu’il était impossible de rater. Mais sortie après sortie, Mac DeMarco a petit à petit changé la couleur de cet univers à mesure qu’il le colorait d’histoires personnelles, jusqu’à friser l’auto-sabotage avec « Here Comes The Cowboy » en 2019. Quatre ans après, il revient dans une relative indifférence générale avec « Five Easy Hot Dogs », un album instrumental sorti sur son propre label qui semble approfondir tous les points critiqués sur le précédent.

Dans la tendresse des années 2010 et l’insouciance du monde d’avant, Mac DeMarco chantait sur son album « Salad Days » quelques mots inspirants : « take it slowly, brother, let it go now, brother ». C’est motivé par ce mantra de vie et de carrière (qu’il n’a cessé de suivre, parfois peut-être plus que nécessaire) qu’il est aujourd’hui de retour, sur le devant d’une scène qu’il semble pourtant de plus en plus fuir.
Quatre ans plus tôt, son mitigé « Here Comes The Cowboy », discret et mélancolique, montrait une part d’ombre grandissante, tout en contraste avec l’image de slacker-branleur qui lui colle aux basques depuis son couronnement incontesté sur le trône du cool. Et c’est donc après ces quatre années de silence (seulement ponctuées de ses traditionnelles chansons de Noël) qu’il signe « Five Easy Hot Dogs », un album instrumental encore plus minimaliste que le précédent et qu’on pourrait croire conçu pour passer le plus inaperçu possible.

Peut mieux faire

En ce qui concerne les albums instrumentaux, Mac DeMarco n’en est pas à son coup d’essai : en 2015, le jeune chanteur (alors sous les feux des projecteurs) avait sorti « Some Other Ones », sorte d’album-parenthèse constitué de quelques morceaux enregistrés en cinq jours, puis rendus disponibles immédiatement en téléchargement gratuit. « Five Easy Hot Dogs » n’a rien à voir avec ce premier essai, ni avec les autres démos sorties à l’occasion de tel ou tel Record Store Day. Mais dénué de sa voix reconnaissable entre mille et de son songwriting simple et candide, ce « Five Easy Hot Dogs » sonne au premier abord comme un album, justement, un peu trop facile, où l’on peinerait à trouver de quoi se mettre quelque chose sous la dent.

En effet, malgré un rendu très propre et quelques jolies compositions, il résulte de ces quelques morceaux un sentiment d’inachevé. Ne présentant pas forcément de réelle progression ni de mélodies à proprement parler, « Five Easy Hot Dogs » se rapproche plutôt d’un catalogue de démos esseulées, à la dérive, attendant des paroles et un fil rouge pour révéler leur vraie nature. Comme un anti-album, taillé par et pour un anti-héros. Et il semble que ce rendu erratique, teinté de vide et d’absence, soit précisément le but de la démarche (à moins que ce ne soit qu’une vaste arnaque, mais gardons le bénéfice du doute par sympathie pour l’artiste).

Ne plus rien chanter pour ne plus rien dire

« Five Easy Hot Dogs » est le résultat d’un long voyage sur la route sur lequel Mac s’est embarqué en solitaire et sans réel plan (ce qui n’est pas surprenant), si ce n’est d’enregistrer un album instrumental comme souvenir du périple et de ne regagner ses pénates que lorsqu’il estimerait avoir fait le tour de l’idée. Comme une grande tournée, mais sans concerts. Chaque piste est nommée d’après la ville dans laquelle elle fut composée, fabriquant ainsi une sorte de journal de bord de ce voyage entre États-Unis et Canada, perpétuant une forme de tradition réinterprétée de la figure du hobo ainsi qu’un évident culte de la route et des grands espaces. Le son est simple et rudimentaire, inévitable compte tenu du mini kit d’enregistrement avec lequel Mac s’est embarqué en guise de studio mobile.

Ces 14 courts morceaux sont donc de véritables chapitres de ce journal de bord décousu, créant ainsi un album (presque) concept fait d’ambiances plutôt que d’actions et dessinant plus ou moins maladroitement une ébauche de cadre dans lequel l’imagination puisse errer librement. Si la musique devient effectivement plus simple, voire simpliste, elle est aussi plus introspective, plus mélancolique, abandonnant le côté jeune branleur insouciant des débuts pour adopter un regard plus nuancé et contemplatif. Cette progression se ressent depuis « This Old Dog », qui racontait les difficultés de grandir avec un père absent malgré une couleur globale assez fidèle aux premiers jours, tandis que « Here Comes The Cowboy » rompait radicalement avec cette légèreté apparente.

« Five Easy Hot Dogs » fut enregistré par Mac DeMarco peu après le décès de son père, expliquant peut-être ce voyage en solitaire spontané et mutique. Ces circonstances tissent une certaine similitude entre l’album et le chef d’œuvre Five Easy Pieces dont il s’est probablement inspiré. Dans ce film de 1970, Jack Nicholson quitte son quotidien monotone d’ouvrier pour retrouver le chevet de son père malade, avant d’envoyer valser le peu d’attaches qu’il lui reste sur une magnifique scène de fin. Plus qu’une histoire de quête initiatique et de réflexion sur la liberté, les deux œuvres racontent l’errance, l’abandon et l’éternelle quête de sens. Comme la dernière étape du voyage de Mac DeMarco, qui le verra se perdre dans une cabane isolée au fin fond de l’Utah, seul au milieu d’innombrables animaux empaillés. Cet ultime épisode précèdera un retour très mitigé à Los Angeles, montrant ainsi la face terne de la route et sa désillusion : malgré sa beauté et sa richesse, on n’y trouve pas toujours ce que l’on cherche et parfois, on s’y ennuie ferme. Un peu comme avec cet album qu’il faudra aussi écouter entre les sillons.

Mac DeMarco // Five Easy Hot Dogs // Mac’s Record Label

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