Du saxo, putain. Du putain de saxo. Et ça passe. C’est pas que j’avais encore un doute, mais là, c’est sûr, je suis un putain de fan de Ty Segall. Pour tout un tas de putain de raisons. Les incendies de guitare. Leurs braises qui ne s’éteignent pas. Sa voix. Ce rock mille fois entendu et pourtant. Cette joie d’être à nouveau fan, justement. C’est donc encore possible. Malgré le star system noyé dans le streaming. Malgré le temps qui passe, les factures, les enfants qui s’achètent des sneakers en ligne avec ma carte bleue, le blanchiment et les verres correcteurs. Mais il y a les secousses, les tremblements, la stupeur, merci Ty. Il y a ce visage poupin qui continue de hurler tous les six mois, disque après disque. Bêtement, j’aurais voulu en faire le nouveau Beck. Il n’y a pas de nouveau Beck. Le monde a changé. J’ai accepté depuis longtemps de chroniquer des disques dont je ne connais pas la pochette, pas toujours écouté dans le bon ordre. C’est à la fois formidable et terrifiant : il y a toujours un nouveau truc à écouter. Le caillou de Sisyphe au format MP3. Formidable et terrifiant. Épuisant. Excitant. Je décroche souvent. Pour Ty, plus jamais. Je suis fan. Je n’ai encore jamais été déçu, ce qui est pourtant un passage obligé du fan. Je ne suis pas pressé que ça arrive. En attendant, le mec fait chanter sa femme sur son disque et ça vaut toutes les religions, bordel. L’amour, le rock et pour les drogues, chacun fait comme il peut. Hier soir (internet mange le temps, rien à foutre, hier soir quand même), j’ai fait écouter « Freedom’s Goblin » à Priscilla, au lit. C’était à la fois le bon et le mauvais moment. Je recommencerai dans six mois, pour le prochain disque. Du saxo, donc. Dix-neuf titres. Je suis fan parce que certains gigs me rappellent ceux que je jouais avec mes potes. C’était beaucoup moins bien, évidemment. Mais tant qu’il y avait une guitare, une basse, une batterie et un mec qui s’égosillait, la mort pouvait bien aller se faire foutre, et pour longtemps. Tenir un fil électrique dans la main qui vibre en mi majeur, ça n’est pas rien. Je suis fan parce que le type sort des disques tout le temps, puis part en tournée, parce qu’il a choisi cette vie et que ce n’est pas donné à tout le monde. Je suis fan parce que je me suis retrouvé en face de lui cet été, backstage, et que j’étais heureux d’avoir à la fois à nouveau vingt ans et plus du double. J’en ai balbutié mon anglais, et les potes se sont bien foutus de ma gueule au bureau, au moment du dérush. En temps normal, j’aurais uniquement été vexé. Je suis fan parce que j’ai envie de retourner mon salon en cuir à chaque fois que je l’écoute. Parce qu’il m’a rendu sourd cet été à la Route du Rock, et que je ne me souvenais plus de la dernière fois où c’est arrivé. Je suis fan parce que 2018 ou pas, pas question de déconner avec le rock. Parce qu’il aurait déjà pu faire des concessions, et que ça n’est toujours pas arrivé. Parce que ton laptop, tu peux bien te l’enfoncer dans le fondement et continuer de taper des lignes dans les clubs les plus courus en pensant que c’est toi le futur, le futur, ça n’existe plus. Parce que la tentation de la nostalgie ne m’a jamais effleuré en l’écoutant alors que Ty Segall n’a rien inventé et parce qu’à quoi bon replonger dans ce débat sans fin alors que ce type donne envie de se taper la tête contre les murs pour s’expulser les cauchemars par les oreilles. Je suis fan parce que la vie est trop courte pour essayer de rester à tout prix à la page. Trop de sorties, trop de concerts, trop de next big thing, trop de déceptions, trop de pantalons et d’amplis baissés, trop de bio toutes les mêmes. Je suis fan parce que son dernier disque groove. Hurle. Défouraille. Mélange aiguilles dans le rouge et mélodies de salle de bain et de grands espaces. Parce le « Freedom » du titre n’est pas usurpé. Et que ça non plus, ça n’est pas rien. Parce Ty Segall n’en a rien à foutre de sortir un dix-neuf titres à une époque où tout le monde fait des playlists et que le mode shuffle est devenu une triste norme. Je suis fan au point d’écrire un papier sans retour à la ligne, et croyez-moi, il m’en coûte.
Ty Segall // Freedom’s Goblin // Drag City/Modulor. Sortie le 26 janvier
https://tysegall.bandcamp.com/
7 commentaires
K7 6Eur là ç’est raisonable fair disquaire (pas en France, lâches!)
Bon et sinon, tu le situes comment ce disque par rapport à « Manipulator » ??
Encore 456 écoutes et je te dis quoi.
ça m’est si égal que oui
tombé in Kaboul!
en 2018 je serais a nouveau disquaire et il n’y auras surtout pas de plaques TY segall dans mon shop ,et le 1er qui viens me faire chier pour du ty segall ou une merde de chez captured track il prends un coup boule direct
arrête lenestafé passe @ l’huile!