Au rayon des fiertés nationales, Forever Pavot se pose là. Après son précédent album de 2017, hanté par une pantoufle disparue, « L’Idiophone » (sorti chez Born Bad) jongle entre les aventures, les scènes, les ambiances, les personnages, pour un projet plus précis et ambitieux que jamais. On en parle avec le principal intéressé.

Tu viens de sortir « L’Idiophone », après six ans de pause. Qu’est-ce que tu as voulu faire de nouveau avec cet album ?

Je n’avais pas de but précis, parce que je fais de la musique tout le temps. Cette fois-ci, j’ai surtout pris mon temps et la méthode de travail était complètement différente. D’habitude je fais mes disques quasi uniquement dans mon studio, seul avec mes petits bidouillages. Pour « L’Idiophone », les compos sont de moi mais on a vraiment produit et réalisé ce disque à quatre, avec Sami Osta, Vincent Taeger et Maxime Daoud. Ils m’ont beaucoup aidé à « nettoyer » ma musique, je trouve que ce disque est plus digeste que les anciens. On a réussi à prendre les meilleures choses et à les arranger de la meilleure manière possible, en mettant aussi la voix plus en avant. Et seul, on a tendance à très vite fixer les choses dans le marbre, alors qu’à plusieurs il y a évidemment beaucoup de dialogue.

L’album est très narratif, d’une manière assez sombre d’ailleurs. Tu as voulu aller vers un album concept, raconter quelque chose en particulier ?

Non, ça en donne l’impression mais pas vraiment. Quand je commence un disque, c’est tellement long que je n’ai pas l’idée de faire un album concept, c’est beaucoup trop. Après je fonctionne un peu toujours de la même manière, je fabrique mes albums un peu comme des films, avec des successions de scènes, mais je ne calcule pas vraiment. À la limite, « La Pantoufle » était plus un album concept : quand j’ai eu le morceau La pantoufle est dans le puits, je me suis dit que ce serait intéressant de creuser autour de cette pantoufle disparue. « L’Idiophone », c’est plutôt autour d’une galerie de personnages. Mais il n’y a pas réellement de fil conducteur, si ce n’est que ce sont des personnages qui ont une case en moins et à qui il arrive beaucoup de malheurs. Mais comme la narration est souvent assez abstraite, les gens se l’approprient et s’imaginent leur propre histoire, avec un début et une fin. Et ça, c’est quelque chose qui me plaît beaucoup.

Tu dis que tu as construit l’album autour de personnages. Tu t’identifies à eux ?

Ils font écho à des choses que j’ai vécues et que j’imagine, mais je ne m’en rends pas forcément compte. Ils sont souvent fragiles, parce que j’aime les personnages fragiles. Et je sens bien que dans la vie, je suis quelqu’un d’assez sensible et à fleur de peau, donc c’est un mélange d’influences extérieures et de ce que je suis. Des morceaux comme La mer à boire ou Décalco, par exemple, parlent d’addiction. Ça m’intéresse vachement parce que je suis entouré de gens qui sont dedans, je l’ai été et je le suis encore un peu. Et je suis vraiment touché par les fragilités des gens.

On te rapproche beaucoup du genre des musiques de film, des BO. D’ailleurs tu en as signé plusieurs. Qu’est-ce qui différencie ce type de musique des autres ?

Dernièrement, j’ai beaucoup développé mon activité dans la BO, c’est cohérent avec mon univers. Et généralement, les réalisateurs qui viennent me voir connaissent ma musique et ils viennent pour ça, donc c’est de la commande mais c’est proche de ce que je fais déjà. L’un nourrit l’autre : par exemple, sur « L’Idiophone » il y a beaucoup d’orchestration, de cordes, de cuivres… ce sont des choses que j’ai appris à faire grâce au travail sur les BO. Après, tout mon travail garde ce noyau d’influences : le cinéma et la musique dramatique des années 60-70, la musique de thèmes… C’est une musique hantée qui ne me lâche pas. Ça vient aussi pas mal du hip-hop que j’écoutais quand j’étais ado, qui samplait beaucoup cette musique-là. J’ai réalisé plus tard que j’aimais beaucoup les orgues, les clavecins, la musique baroque et j’ai voulu la retransformer en musique pop et en faire ce que je fais aujourd’hui.

« J’aime les bruitages, le détail, la bidouille »

Comment tu jongles avec cette musique, très savante et qui se suffirait à elle-même pour traduire des émotions et des scènes ; et le côté pop, les textes souvent absurdes qui te caractérisent ?

J’ai conscience que ma musique est très référencée, ce sont les principales critiques que j’ai pu recevoir. Faire uniquement ça, ce serait singer cette époque et sa musique et je n’en ai pas envie. Quand j’écoute la musique produite aujourd’hui, purement instrumentale et très inspirée de ces références, ça me fait vite un peu chier. Donc je voulais proposer quelque chose de nouveau tout en gardant cette ambiance. Contrairement à la musique dont on vient de parler, je n’ai pas beaucoup de références en chanson, mais j’ai voulu apporter cette dimension avec une écriture et des thèmes plus contemporains. Côté production, j’ai aussi voulu mélanger le hi-fi et le lo-fi pour éviter, encore, de rester dans la musique datée et référencée. Donc c’est un mélange de plein de choses et j’ai la volonté de proposer quelque chose de nouveau, même si j’ai bien conscience que je n’ai pas inventé l’eau tiède. Après, parfois j’essaie de casser cette image élégante et un peu intello des années 60-70 qui me colle à la peau : par exemple, même si le morceau Les Informations est lui aussi très référencé par les vieux JT, il rompt un peu le rythme avec quelque chose d’un peu plus débile.

On voit de plus en plus d’artistes influencés par l’univers de la BO, de labels qui en font leur spécialité, surtout dans l’univers franco-italien, des films de genre, giallo, polar, porno SF… et aussi autour des grandes icônes du genre. Quel regard tu portes sur ce regain d’intérêt ? C’est une mode ?

Quand je me suis intéressé aux BO et à la musique de librairie, c’était un truc de niche, de diggers. Ça le reste un peu, mais je pense que je suis arrivé à un moment où ce n’était encore pas trop à la mode. D’ailleurs, ma curiosité venait vraiment du hip-hop, qui a vachement servi cette musique-là à mon avis. Il y a une quinzaine d’années, j’ai pas l’impression que c’était une musique qui existait vraiment, en live et de manière contemporaine. Je pense que le regain d’intérêt est lié à beaucoup de choses, à l’influence d’artistes comme Air, Sébastien Tellier ou Justice qui sont arrivés avec quelque chose de très référencé par la musique de librairie, les thèmes typés à la Cosma, De Roubaix… et je pense que ça a nourri une envie, notamment chez les labels, de rééditer cette musique-là, pour la rendre plus populaire et accessible.

« En fait, on a eu des trucs extraordinaires en France et vous ne vous en rendez pas compte »

Il y a une vraie fascination pour cette musique, parce que c’est un trésor qu’on a failli perdre et qu’on est en train de sauver, c’est de l’ordre de l’archéologie et c’est génial. Je pense à Born Bad qui se bat depuis le début pour dire qu’en fait, on a eu des trucs extraordinaires en France et que vous ne vous en rendez pas compte. Je pense à cette phrase de Lennon, qui dit que le rock français c’est comme le vin anglais. C’est un stéréotype qui rend fou et qui nous suit, alors qu’on avait des trésors et on est en train de le redécouvrir. D’ailleurs un truc qui m’a rendu fou récemment : Yann Barthès avait Noel Gallagher sur son plateau et il lui dit « alors, on vous a fait écouter un peu de musique française ? ». Noel répond que oui, justement, il a découvert des vieux trucs super. Et Yann Barthès continuait dans son truc, en disant « ah ça m’étonnerait, parce que la France, quand même… ». Et ça me rend fou, c’est juste un manque de curiosité et de recherche. Et on parle du rock des années 60-70, mais aujourd’hui aussi on a de la musique très brillante. C’était mon coup de gueule.

C’est vrai que ton dernier album a un côté très français, encore plus que les précédents.

Il y avait déjà ce côté-là sur La Pantoufle, mais là j’y suis allé encore plus. C’est peut-être mon côté cocorico mais ça me tient à cœur de rappeler que la France a des trucs super. C’est un clin d’œil à cette période, en rajoutant ma touche personnelle, avec la chanson et la narration. Je mets aussi beaucoup de bruitages, pour rester dans ce côté musique de film.

On a vu dans « Le Bon Coin Forever » que tu aimes bien la bidouille, les choses un peu curieuses et c’est vrai qu’il y a dans cette musique un côté très trucage, bricolage. C’est un bon terrain de jeu pour toi ?

Bien sûr ! Il y a de l’espace pour s’amuser, pour mélanger plein de choses, l’acoustique, le synthétique, j’adore cette liberté… c’est aussi une ode aux idiophones, les instruments de percussions qui ont des sonorités très fortes et marquées. Quand j’étais enfant, on avait des 45 tours d’histoires, qui venaient avec un livret et on entendait le « tournez la page », qui venait avec le bruit du triangle. Donc ces sonorités ramènent un peu d’onirisme, de romantisme dans l’inconscient collectif. C’est pour ça que j’aime les bruitages, le détail, la bidouille.

« J’ai la volonté de proposer quelque chose de nouveau, même si j’ai bien conscience que je n’ai pas inventé l’eau tiède »

Tu t’es quand même réapproprié le terme « Idiophone », en jouant un peu sur le côté « instrument d’idiot » et ce côté candide qui te caractérise. D’ailleurs, dans l’interview Man Machine pour Gonzaï, tu dis que tu as un « rapport à la musique assez enfantin ».

Oui, ça fait écho à tout ça. Ces instruments, ces sonorités ramènent quelque chose d’onirique et d’enfantin. Après, j’ai un rapport assez spécial à la musique. Je ne sais pas du tout ce que je fais, je pense que je fais bien semblant, pas mal de personnes sont surprises que je n’ai ni formation classique, ni formation jazz, que je ne sois pas allé au conservatoire… tout ce que je fais c’est un peu débile, je ne sais pas ce que je joue. Ce sont des formes, des couleurs, je joue juste la musique que j’aime, comme un idiot enfermé dans son laboratoire. Je suis incapable de jouer les morceaux des autres, par exemple, alors que pour moi je peux jouer des choses assez complexes. Je le fais depuis tellement longtemps que j’ai développé mes techniques, mon ressenti et je suis assez fier de ça.

Parfois c’est compliqué de travailler avec d’autres personnes justement parce qu’on ne parle pas toujours le même langage, mais tout seul je me débrouille bien. La musique paraît savante, lettrée, mais en fait pas du tout. J’ai appris un seul instrument : la batterie, quand j’étais adolescent. Et depuis j’aborde tous les instruments de manière rythmique, ce qui me limite un peu. J’adorerais faire de la flûte traversière, de l’ocarina, de la trompette, mais ça demande une grosse technique avant de savoir en jouer. Je suis trop impatient pour apprendre.

Forever Pavot // L’Idiophone // Born Bad Records, sorti le 3 février 2023
https://foreverpavot.bandcamp.com/album/lidiophone

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