Dans ma courte existence, j’ai tout de même pu croiser sur mon chemin pas mal de collectionneurs de vinyles. Et avec le recul, je me rends compte que ça devient presque systématiquement une « maladie ». Un peu comme certains potes qui commencent à se tatouer et qui n’arrivent plus à s’arrêter. Cette fois-ci, j’ai rencontré un grand siphonné, le plus atteint, sans doute en phase terminale. À sa décharge, il est tombé dedans quand il était petit. Père collectionneur, musicien, etc. À eux deux, ils possèdent la bibliothèque la plus hallucinante qu’il m’ait été donné de voir. Une mine de vinyles. Ça fait d’ailleurs belle lurette qu’Alexandre a cessé de les compter.
Face A
L’aventure commence à ses 18 balais, lorsque, fan de musique électro, Alexandre ne peut assouvir toutes ses envies en CD. Il se tourne du coup vers le vinyle, et depuis sa reconversion dans le rock, le gonze a gardé cette habitude. L’idée de monter un label ? À peu près aussi ancienne que sa passion pour la musique. À partir du moment où il a aimé écouter des disques, il a aussi eu envie d’un jour en sortir. D’ailleurs plutôt lucide sur le « marché du disque », Alexandre ne se berce plus d’illusions. « Je suis parti dans cette optique quand je me suis finalement lancé : sortir des disques en petite quantité, en vendre assez pour en faire d’autres et ainsi de suite. » Loin de fantasmer une vie à la Nascal Pègre, pour lui, c’est d’abord une question de principes. Le choix du vinyle était une évidence pour lui, et sa forme lui paraîssait la plus propice pour résister face à la dématérialisation qui pousse à surconsommer la musique, tellement qu’on ne l’écoute plus vraiment. Et c’est ça le hic. Des tas de gens comme lui, sans être des réac’, ne se reconnaissent pas dans cette dématérialisation ; la combattre, c’est donc un peu son sacerdoce. D’où l’envie de rendre aux groupes leur attirance charnelle. Le mp3 tue le désir ? Le vinyle saura redonner du baume au cœur. Parce que le vinyle est l’opposé du mp3. C’est volumineux, fragile, relativement coûteux, mais c’est un objet palpable. Il n’est pas question ici de fustiger l’aire numérique, ni de diaboliser le téléchargement sur Internet, ça va plus loin que ça. « Pour moi la musique enregistrée sur un support physique véhicule bien plus que la musique elle-même, c’est un état d’esprit, un art de vivre. » C’est comme préférer coucher avec une fille en vrai plutôt que de se la masser devant un YouPorn. En cela, la démarche d’Alexandre est cohérente. Son petit faible : le 45 tours.
Face B
Le 45 tours aussi, c’est une question d’état d’esprit. Déjà, financièrement. C’est vrai que cinq balles c’est le prix d’une pinte ou d’un paquet de clopes. C’est un « plaisir accessible ». Ça colle aussi à ses goûts musicaux très garage-rock et indie-pop. Pas de groupes expérimentaux aux intros de dix minutes au menu – tant pis pour moi. Avec ce format, « il s’agit de convaincre en moins de six minutes, lancer toutes ses forces dans la bataille sans en garder sous le coude, une démarche au fond proche de celle qui consiste à monter un label, en 2012, quand on n’y connaît rien, comme moi. » Peu regardant sur une marge de manœuvre encore plus faible que sur un 33 tours, pour Alexandre ce format est aussi la possibilité de découvrir de nouveaux groupes souvent méconnus, et pour ainsi dire vierges de tout enregistrement. Reste ensuite à savoir comment les vendre.
L’une des techniques les plus cool consiste à échanger des disques avec d’autres labels, le troc de vinyles étant chose courante dans le milieu garage. Pour le moment, Alexandre a sorti quatre disques. Le tout premier remonte à septembre dernier. C’était les Guillotines, un groupe du Val-de-Marne aux sonorités très garage-rock français à la Olivensteins. Cette sortie était évidemment importante pour Alexandre, qui souhaitait commencer avec un choix personnel. Seconds en liste, les Spadassins. Coup de bol, Alexandre les connaît personnellement. Après avoir assisté à l’une de leurs chaudes prestations, aux Combustibles, il décide de les signer. Groupe aux paroles tantôt françaises, tantôt anglaises, et aux accents plus soul que les Guillotines, les Spadassins avaient auparavant réalisé un EP chez Tryptic Records. Changement de décor avec Triptides, seul groupe que le patron de Macadam n’a jamais vu en live. Et pour cause, ces Américains de l’Indiana n’ont jamais traversé l’Atlantique. C’est après les avoir interviewé pour son blog qu’Alexandre tombe sous le charme de leur musique évoquant « la plage, le soleil, la mer et les filles ». Il décide de faire presser les 45 en blanc, pour un résultat ultra coolos. Nous arrivons à la dernière sortie : French Kissing nous vient cette fois-ci de Londres, avec des accents surf et une voix de chanteur de charme. L’artwork est plutôt chouette et les morceaux ont été produits par Rory Attwell, ancien membre du groupe punk Test Icicles. Ca racle le bitume chez Macadam, ouais m’dame.
Parce qu’il a un « vrai » travail à côté – avec un vrai salaire, d’autres emmerdes et beaucoup moins de rêves à la clef –, Alexandre a lancé sa boutique en ligne mais ilest encore obligé de pas mal tanner ses potes pour qu’ils achètent ses disques. Un dernier message à faire passer ? « Je sais qu’il est dans l’air du temps de dire que le rock est mort et même de faire des livres dessus, pour ma part la question ne se pose même pas. Je laisserai le temps décider de la « valeur » de notre époque, je m’y sens bien et j’ai toujours un frisson à l’écoute de certaines nouveautés, ça suffit à mon bonheur. En tout cas je m’y retrouve, et je ne me sens pas nostalgique d’une période que je n’ai de toute façon pas connue. » Rien de plus qu’un gamin en phase avec son temps, qui en aurait refusé les écueils. Conscient d’être un peu en marge d’une société numérique et aseptisée, Alexandre pose un regard assez optimiste sur notre époque. Certains bandent pour les caisses tunées, d’autres pour les vinyles. Deux écoles.
2 commentaires
« l’aire numérique » est-elle inférieure ou égale à π*17,78² ?
Quant au téléchargement, 20 ans après la révolution numérique, il semble certain qu’il a lieu « sur Internet ».
Mille pardons, ça a l’ère de rien.