Chroniqueur judiciaire et spécialiste des faits divers depuis plus de trente ans, Dominique Rizet collectionne quotidiennement les histoires criminelles les plus sanglantes, se consacrant aux grandes figures du crime comme aux anonymes. Entre deux tasses de thé coupées à l’arsenic, le vieux roublard de l’investigation revient pour Gonzaï sur sa vision du métier, à l’ancienne.
(C) Renaud Monfourny
(C) Renaud Monfourny

Ancien journaliste pour France Soir et Le Parisien, conseiller éditorial au Figaro Magazine, chroniqueur pour Justice Hebdo sur la chaîne Planète et désormais consultant pour BFM TV, Dominique Rizet déroule un CV d’expert judiciaire à faire pâlir Tonton Bellemare. C’est pourtant grâce à Faites entrer l’accusé, l’émission créée en 1999 et toujours diffusée sur France 2, que sa tête est connue du grand public. Si, depuis octobre 2011, Frédérique Lantieri a repris les rênes de l’émission, l’ego hypertrophié de Christophe Hondelatte hante toujours le plateau ; et avec lui, la mémorable séquence de fin où l’ex-animateur remontait virilement le col de sa veste tel un Dick Tracy de polar coincé entre un canapé Chesterfield et une sélection de coupures de presse.

C’est néanmoins dans ce décor de film noir fauché qu’on peut encore apercevoir Dominique Rizet dans le rôle de l’expert incollable, apportant des éclaircissements sur le cadre de l’instruction ou le passé des criminels, après avoir remué des piles de vieux dossiers et sondé la mémoire des magistrats. Mais quand on le questionne sur la longévité de l’émission et le renouvellement des sujets, Rizet n’a pas la gloire facile. Lui estime n’avoir aucun mérite, car “dans Faites entrer l’accusé, les enquêtes sont déjà jugées”. Loin de jouer les intrigants pour s’approprier la première place sous les projecteurs, Rizet préfère le rôle d’homme de l’ombre ; il a simplement su se rendre indispensable. Une méthode qu’il a construite dès ses débuts. En 1981, le jeune Bourguignon décroche un stage au journal Les Nouvelles de Versailles. C’est alors un “heureux” hasard qui va le guider vers sa vocation. “Je couvrais un spectacle son et lumière dans les Yvelines. Je me suis positionné pour prendre une photo des gradins où 1 500 personnes étaient assises. La tribune s’est effondrée d’un coup ! J’ai fait une dizaine de photos, il y avait des blessés graves, moi j’avais comme amorcé une bombe en appuyant sur mon déclencheur… J’ai raconté tout ce que j’avais vu à une jeune journaliste nommée Pascale Clark, qui faisait la nuit à CVS, la première radio libre montée par le patron des Nouvelles de Versailles. Puis l’AFP a repris mon témoignage. J’ai vécu toute cette histoire comme un shoot, une puissante montée d’adrénaline.” Ce que le jeune Rizet ne sait pas encore, c’est qu’il va faire de son addiction aux faits divers un métier.

“J’avais le carnet d’adresses”

Années 80. Rizet continue à faire ses premières armes pour la presse écrite (Le Parisien, l’AFP, France Soir…). Il s’affranchit vite des conférences de presse du SIRPA – le service com de l’armée de terre – ou de la préfecture de police, et fonce directement sur le terrain pour frapper aux bonnes portes. Pas une semaine sans passer du temps à tisser des amitiés avec les gendarmes, pompiers, juges, avocats, procureurs… “Les faits divers étaient devenus ma priorité. Je faisais le tour des services de police. J’avais trouvé une combine avec un inspecteur de Nanterre qui me laissait consulter chaque matin les TG, les télégrammes d’info et de suivi des affaires de la police parisienne. Certains d’entre eux comportaient la mention ‘Ne pas communiquer à la presse’. Ce sont ceux qu’il me donnait évidemment en priorité.” De ces années d’apprentissage, il se souvient des premiers sangs. Les flashs éclairent froidement les scènes de crimes encore chaudes où les traces laissées ne sont pas encore nettoyées, ce qui vaudra à son compagnon de route au Parisien, Gilles Ouaki, photographe, de résumer l’affaire ainsi : “Le fait divers est le seul thème du journalisme où l’on ne peut pas tricher. La réalité du fait divers balaye tout.” Rizet observe, prend des notes, compile les faits. Désormais reporter pour France Soir, il décroche de belles exclusivités sur des affaires à rebondissements, comme la traque et l’arrestation de l’ex-milicien Paul Touvier dans un monastère de Nice en 1990, ou encore la première interview du préfet Bonnet à sa sortie de prison après l’affaire dite des “paillottes”.

« Le fait divers est plus que mon métier, c’est toute ma vie. »

Riri les bons tuyaux

RizetDes amitiés, Rizet en cultivera beaucoup au fil des années. Dont celles de certains criminels. La source et le réseau, toujours. Par le biais de son ami l’avocat Éric Dupond-Moretti, il rencontre Patrick Guillemin, principal artisan de l’évasion par hélicoptère de la prison des Baumettes à Marseille en 99, alors en pleine cavale. Après son arrestation, Dominique Rizet décide de lui rendre visite quatre années de suite, avec l’envie de publier un livre sur l’affaire. Là-bas, il fait connaissance avec la fine fleur carcérale française : Marcel Roman, Marcel Barbeault, Christophe Khider ou Patrick Henry, qui comptera d’ailleurs les tours de piste que Rizet effectue lors d’un semimarathon en compagnie des membres du commando Érignac dans la cour de la prison… D’ailleurs, quelle est son histoire la plus marquante ? “Sans aucun doute, l’affaire du sang contaminé.” Alors qu’il a rendez-vous avec un officier de gendarmerie, le reporter se lance sur ce sujet dont personne ne parle encore. “J’ai donc suivi une famille dont les deux enfants, Laurent et Stéphane, faisaient partie des hémophiles contaminés. L’un des deux est décédé avant que plusieurs articles ne révèlent qu’en France des produits contaminés par le Sida avaient été laissés sur le marché et utilisés par les services de transfusion sanguine…” La justice ne sera pas rendue dans cette affaire, et Rizet morfle, marqué à jamais par cet imbroglio judiciaire. Toujours opposé à la peine de mort et jamais convaincu par la justice française, Rizet a trouvé là une raison suffisante pour devenir grand reporter.

“Regarde de tous tes yeux, regarde !”

Trente années d’horreurs à chaque petit-déjeuner. Comment faire face, quand son travail au quotidien commence étrangement à ressembler à une longue déambulation dans un tableau de Goya, aux bras de Guy Georges ? Le quinquagénaire, patriarche d’une famille nombreuse, reconnaît qu’en général les affaires qui le touchent le plus sont celles où les victimes sont des enfants. Sur les conseils de sa femme, il consulte pendant quelque temps un psychiatre. “Tu violes les gens, tout de même, tu t’introduis de force dans leur chagrin !” Mais la belle affaire aiguise toujours son excitation, l’envie de traquer les impunis finit toujours par reprendre le dessus. “Le fait divers est plus que mon métier, c’est toute ma vie”, dit-il. On veut bien le croire.

Le succès et la variété des reportages sur les faits divers tendent à souligner l’attrait, voire la fascination, que continuent d’exercer le crime et les criminels sur l’opinion publique. Souvent, c’est la singularité du criminel, sa “différence”, qui intéresse et parfois fascine, au point d’assurer à Faites entrer l’accusé des audiences records – 1,6 millions de téléspectateurs en moyenne sur les dernières émissions – après dix ans d’existence. Quand on lui demande s’il a déjà connu ce genre d’attrait morbide pour un meurtrier, Dominique Rizet affirme qu’il n’en est rien Au contraire, c’est le désintérêt pour les victimes qui continue à le surprendre : “On se souvient de l’affaire des disparus de Mourmelon. Mais qui est capable de donner un nom de disparu, un seul ? C’est ‘l’affaire des disparus’ jusqu’à ce qu’on arrête Pierre Chanal, et ça devient tout de suite ‘l’affaire Chanal’. C’est toujours l’auteur du crime qui prime !” Et le reporter de commander un autre verre pour accompagner un nouveau récit. Un ‘p’tit Grégory’, peut-être ?

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