A l’occasion de la réédition des quatre premiers albums du Blues Explosion ainsi que d’un live, une enquête en deux parties sur le groupe New-Yorkais. Cette semaine, les racines du groupe, la trash music,  ainsi que quelques astuces sexuelles.

Everybody Says Yeah (Epitaphe de Jon Spencer)

A chacun son cri : « Banzaï » avec une ceinture d’explosifs autour des miches, « Yo » avec le majeur accolé à l’annulaire, « Mort aux vaches » et les bracelets autour des poignets. Et « Yeah » ? « Yeah », c’est un truc de mecs qui portent des pantalons trop serrés, des tatouages plein la peau et une surdité certaine à 45 ans.
A la croisée des années 90 et de notre sacro-sainte année 2010, réside un groupe : le Jon Spencer Blues Explosion. Chaînon manquant entre Tav Falco, le Gun Club et les Cramps (donc par extension leurs ancêtres : Charlie Feathers, Screaming Jay Hawkins, Hasil Adkins, Howlin’ Wolf), et les groupes contemporains de rough blues : Black Diamound Heavies, Bob Log III, Jim Jones Review, Experimental Tropic Blues Band, Legendary Tigerman… Pour comprendre le Blues Explosion, il faut comprendre l’envers de l’histoire du rock. Celle qui est enfermée dans le catalogue New Rose au travers des traces d’aiguilles plantées sur les corps. Une autre histoire, loin des hymnes de stades et des pistes aux étoiles. Ici, les astres sont autant de trous noirs où se mêlent amour, musique noire et excès de poisons. Un tour de train fantôme décérébré dans lequel Alex Chilton sera notre guide. Car croyez-moi, il a été au centre de l’histoire des marginaux du rock’n’roll.

Si nous jouions à « Trois Petits Chats » ?

Alex Chilton a capté les Cramps à l’époque où ils avaient uniquement deux guitares et un batteur ; comme le Blues Explosion. Les Cramps ont intégré Kid Congo, guitariste ayant fondé le Gun Club avec Jeffrey Lee Pierce, dont le Blues Explosion se revendique. Mais Chilton a aussi découvert Tav Falco pour lequel il a joué de la guitare au sein des Panther Burns, dont les albums sont loués par Jon Spencer. D’ailleurs, Tav Falco a sorti des albums sur le label français New Rose – comme tous les artistes cités précédemment dans ce paragraphe – ainsi que Willy Deville. Et Willy Deville s’est fait produire un album (Jump City) par Dr John, dont le Blues Explosion a repris Right place wrong time. Pour finir, rappelons que Chilton a joué sur un album avec Alan Vega (Cubist Blues), qui est à coup sûr une grande influence de JSBE. A cela il faudra bien entendu ajouter le blues électrique : surtout celui du Mississipi et du label Fat Possum Records, sur lequel le Blues Explosion a enregistré deux albums avec R.L Burnside (en live, les prises ayant duré à peine plus de temps qu’il ne faut pour écouter ces albums). Au passage, Fat Possum était le label de Junior Kimbrough, soit le Noir qui a appris la guitare à Charlie Feathers ; le héros des Cramps, du Gun Club, de Tav Falco… enfin vous avez compris.
Cette culture trash, blues décadent ou de Memphis – qu’importe – a donc bel et bien un sens. Elle a été fondée sur certaines constantes qui permettent de comprendre ce rock’n’roll du 20e siècle comme un effort constant à travers les décennies. Une vision compacte du temps qui permet enfin de tuer la question de la modernité. En art, la modernité reste un concept qui n’a pas d’emprise sur l’avancée artistique en tant que force. Chaque artiste fait partie d’une tradition (à part certains furieux finissant avec une balle dans la tête – et encore – ou en Hopital Psychiatriqe) qu’ils reprennent et déforment à leur guise, apportant la patte de l’époque et de la créativité.

La première chaise

Évidemment, ici, toute la musique que l’on aime, elle vient de là ! Mais Jon Spencer l’a dit lui-même : « I did not play no blues / I play rock’n’roll ». Pour la simple et bonne raison qu’aucun Blanc n’a jamais été foutu de le faire. Van Morrison a la voix, Kenny Brown a le jeu de guitare… mais on est toujours a côté de la vraie brûlure de Howlin’ Wolf (élu chanteur le plus vicieux du 20e siècle par le magazine Boobs & Blues), John Lee Hooker (« Si tu veux du heavy metal, alors va voir du côté de John Lee Hooker, va voir cet enfoiré jouer » – Keith Richards) et Dieu sait qui encore (« Quand je vois comment il sonne, je comprends pourquoi il a eu tant d’enfants : les femmes ne peuvent pas lui résister » – Iggy Pop, à propos de Kimbrough). Alors, comme tous les Blancs obsédés par cette musique, ils ont fait comme ils pouvaient : Willy Deville & Tav Falco ont gardé la violente élégance du blues, Jeffrey Lee Pierce son agressivité ; le Blues Explosion en aura pris le groove.

Leçon de style numéro un : la syncope. Casser le rythme binaire du rock’n’roll par un accent rythmique. A contretemps, décalé, avec un soupir… qu’importe. Mais voici le secret du groove. D’ailleurs, pour ceux qui se foutent de la musique, voici une histoire intéressante (ça parle de cul) : un ami gardien de nuit (un vrai ami pour deux raisons : il est bassiste noir et m’ouvre toujours le bar de son hôtel, même à 3h00 du matin) me disait:  » tu sais, tous vos fantasmes sur la taille de nos bites, comme quoi ça fait mieux jouir les filles… ce n’est pas cela qui est important. Ce qui est important, c’est notre groove, notre coupé décalé, notre syncope« . Sur le coup, il ne m’a rien appris (j’espère pour vos maîtresses qu’à vous non plus). Car voilà la grande jouissance de cette musique, ce qui la rend si… sexuelle. La syncope ! Une passe rythmique (sic) qui est la constante de cette culture. Venant d’Afrique bien entendu, trouvable dans toutes les musiques que le métissage a touché : Batucada, Calypso, Tango…

L’un des grands artistes Chess l’a sublimée en beat box dans son morceaux Cadillac Jack : il s’agit d’André Wiliams. « Cadillac Jack / Sure was a mac ». Et autant dire qu’il a toute la place nécessaire dans ce morceau pour rouler des épaules sur les chœurs Doo-wop, avoir le regard vicieux sur les cuivres chialants et la braguette ouverte sur les licks de guitare. Cadillac Jack, un manifeste pour des générations de rockeurs qui « voudraient être noirs ». Saviez-vous qu’André Wiliams avait enregistré ses derniers albums avec Matt Verta Ray, lui-même co-fondateur de Heavy Trash, l’autre groupe de Jon Spencer ?.. Enfin, vous comprenez où je veux en venir.

She’s like heroin to me

L’autre constante, c’est celle-ci. L’héroïne pour la plupart (Dr Jon, Jeffrey Lee Pierce, Alex Chilton), puis tout autre style de défonce. Mais pas la défonce comme les autres, comme les Keith, les Clapton et consorts. Non, une défonce plus sale : celle des bas-fonds. Tous ces artistes ont toujours été des seconds couteaux, les silhouettes au fond d’un panorama musical ressemblant de plus en plus à Disneyland. Oui, les clochards de l’autre côté de la forêt enchantée, en quelque sorte. Et cela, c’est vraiment ce que le Blues Explosion partage avec eux. Parce que si Jon Spencer s’avère à la limite d’être du straight guy (sa drogue, donc, serait plutôt le jogging?), c’est son statut d’outsider qu’il partage avec eux. Une situation qui a fondé le destin de ces Américains, les a poussés soit vers un extrémisme musical, soit vers… l’Europe. La France, l’Allemagne, le Benelux… voilà des terres d’accueil pour les reclus du rock’n’roll.

Les mythes s’épanouissent mieux dans le caniveau. Le star system augmente rarement la cote de popularité (seul Keith semble y échapper… mais bon, il est hors catégorie après tout). Ces rockeurs ont réussi à atteindre un statut culte, et pour la plupart de leur vivant. Un culte consommé à grands coups de concerts, de reprises, d’hommages. Les maudits et les écorchés de l’électricité ont leur terre d’asile. Une posture qui leur à souvent permis d’aller au bout d’une esthétique contraire au grand public : le Tango, la reprise de titres soul obscurs, les concerts de grande transe. Une confidentialité qui arrange bien tout le monde. Ici, on fait partie d’un clan et l’on se reconnaît au premier coup d’œil jeté sur la discothèque.
Et l’amour que porte l’Europe à cette musique n’est pas si étonnant : voilà des rockeurs se comportant plus comme des artistes que comme des entertainers. Un discours, une œuvre, des convictions et un mode de vie : les beautiful losers du rock’n’roll sont plus proches de nos écrivains et musiciens que du Late Show. Des gens lettrés pour la plupart, ouverts aux cultures de tous les continents. Une image romantique qui fait du bien à l’ego du vieux monde.

Le trousseau vous a été donné, il faudra maintenant ouvrir votre porte et laisser entrer cette musique. Car elle est rarement décevante, elle est pire ! Comme un poison qui emmène loin de chez soi. Born too late, for sure ! But so far from home !!

http://www.thejonspencerbluesexplosion.com/

The Jon Spencer Blues Explosion // Controversial Negro (Live 1997) // Esssential (Differ-ant)
The Jon Spencer Blues Explosion //  Rééditions double CD de Extra Width+Mo’Width, Year One, Acme et Orange // Essential (Differ-ant)


5 commentaires

  1. pour l’épitaphe il y a aussi c’mmmmmmmmmmmonnnnnnn ladiessss i’m gonnnnnnnnnnnna make you feel allllllllllllllllllright

    il est bien cet article, j’aime bien la « contextualisation »
    ne pas oublier l’aspect terroriste et punk pur du bonhomme et quid de de pussy galore, boss hog and co
    à mon avis ce mec sort des 80’s avec l’émergence des niches stylistiques

  2. THE BLUUUUUES IS NUMBER ONEEEEE !!!
    THE BLUUUUUUUUEEES IS NUMBER ONE !!!

    La leçon de cet article : ça partouze sec entre bluesmen!

    Sans oublier, puisqu’on parle de Memphis, Rufus Thomas, invité à l’orgiaque « Chicken Dog ».
    Et qu’André Williams n’a pas bossé qu’avec Matt « Roch Voisine » Verta-Ray, mais également avec le JSBX itself (Black Godfather).

    Assez de rockologie, place à la musique, ce mardi 7 à l’Elysée Montmartre, pour ceux qui ne sont pas encore au courant.

    Bzo

  3. Ajoutons tout de même que Tav Falco sera en concert ce samedi 11 décembre au Combustible, a Paris… La salle est minable mais ne laissons pas ces types tout seul.

  4. Vraiment un excellent article, merci, je me suis régalé. Pointu sans être snob et rigoureux sans être redondant. Vivement la suite!! Y’a beaucoup d’articles de prévus ?

    P.S. : par contre, « Jim Jones Revue », pas Review.

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