A notre gauche, un groupe de stoner français capable de faire trembler la Terre du Milieu ; et à droite, l’homme pour qui le terme collaboration semble avoir été inventé. Ensemble, Slift et Etienne Jaumet sillonnent actuellement une toute petite partie de la France avec un show commun qui devrait prendre la forme, en 2023, d’un disque doublement zombie, et dont ils nous parlent ci-dessous en avant-première.

En général, quand il est question d’association entre deux groupes que rien ne rapproche, le pire est à craindre et les enfants à planquer au fond du bunker. On pense ici à Cosmic Jokers (le seul mega-combo du krautrock comprenant Manuel Göttsching, Klaus Schulze et Harald Grosskopf), à toutes les horreurs hurlantes des années 70 et 80 (de Bad Company à Traveling Wilburys) sans oublier bien sûr le pire de tous, les Raconteurs. Il arrive aussi que, sur un malentendu, les étoiles s’alignent. Et coup de bol pour l’auditoire français, elles ne sont pas très éloignées cette fois.

Etienne Jaumet, connu comme la moitié de Zombie Zombie, dispose de l’une des plus belles fiches Discogs des vingt dernières années. On l’aura vu tour à tour avec les Married Monk, Gilbert Artman, Richard Pinhas, Bernard Szajner ou encore récemment avec Fabrizio Rat. Autant dire que la notion d’infidélité à son propre groupe, si tant est que cela soit un crime de découcher des partitions ailleurs que chez soi, est ici passée au statut d’œuvre d’art. Quant à Slift, il s’agit sans doute d’une grande première pour les Toulousains, enfin prêts à accepter un co-pilote autant capable de citer Sun Ra que Moondog ou Miles Davis. Et comme on dit dorénavant sur Tinder, « it’s a match ».

Pour parler de ce spectacle commun, qui devrait comme on l’aura compris permettre à tous ces partouzeurs de la stratosphère de se retrouver prochainement sur un disque conjoint, on a donc passé un coup de fil à Jean de Slift, depuis l’Ariège, et à Etienne, coincé le jour de cette interview en Corse pour un autre projet « dont il ne préfère pas parler pour l’instant ». On ne change pas les bonnes habitudes…

Commençons avec la question la plus évidente, la plus attendue : quel est le déclencheur de cette rencontre ?

Etienne : La rencontre s’est faite à l’initiative de Jean.

Jean : De Slift au global, oui. Disons que depuis qu’on a découvert Zombie Zombie, on est fans. Alors quand le festival Roadburn aux Pays-Bas nous a proposé une résidence, où ils proposent à des artistes de monter des collaborations, on a immédiatement pensé à Etienne, ça tombait sous le sens.

Votre tournée conjointe, prévue plus tôt cette année, démarre finalement maintenant. A quoi s’attendre sur scène ?

Etienne : Rapidement, on a été dans le concret vu que c’était une commande et que donc, il fallait un résultat avec un show d’une heure minimum ! Du coup on s’est simplement envoyé des démos, des idées, avec la chance de répéter ensemble quelques jours, à Reims. On imaginait bien à quoi cela pouvait ressembler, mais sans penser que cela pourrait prendre la forme d’un album. Sauf que…

Sauf que l’album du coup, vous y pensez, et pas que le matin en vous rasant ?

Etienne : Effectivement, certaines chansons doivent être enregistrées bientôt.

Un disque Jaumet x Slift, c’est donc officiel ?

Etienne : Ça vient de le devenir, à l’instant, aha !

(C) Niels Vinck

 

Musicalement, à quelles directions s’attendre ? Ça ne peut évidemment pas être une bête addition Etienne Jaumet + Slift.

Jean : Chez Slift, dans notre configuration naturelle, on laisse beaucoup de place à l’improvisation, avec très peu de chant, majoritairement utilisée comme un instrument. Le fait de jouer avec Etienne, ça nous a permis de redistribuer les rôles en interne ; ça ouvre énormément de possibilités tout en restant Slift : on ne va pas commencer à faire du ska, quoi. On continue de faire des choses qui nous parlent.

Etienne : Tout en assumant une certaine prise de risque ; par exemple il y a une reprise de Miles Davis, et le résultat est étonnant, on est loin de nos standards personnels.

Quel morceau de Miles ?

Etienne : What’d I say, issu de l’album “Live Evil”.

Le meilleur morceau de tous les temps de Miles, quelle bonne idée ! Pourrait-on le retrouver sur l’album ?

Les deux ensemble : Oui… non… enfin pourquoi pas !

Doit-on comprendre que l’album conjoint, s’il voit le jour, sera accouché en prise directe, comme une grosse jam ?

Jean : Slift fonctionne déjà comme ça, donc oui je pense que c’est ce qu’on fera.

Etienne : Ce ne sera clairement pas un enregistrement à distance, on ne fonctionne pas comme ça.

Quant à toi Etienne, sur cette performance avec Slift, te retrouvera-t-on uniquement au sax ou également sur d’autres instruments ?

Etienne : Je me laisse aller au saxo, aux synthés, notamment le modulaire où l’on peut se laisser emporter avec les sons. Et c’est justement ce qu’on cherche avec ce projet, un ailleurs, repousser un peu les limites, d’autant plus parce que cela faisait longtemps que je n’avais pas joué avec un groupe de rock. C’est bien que l’énergie l’emporte sur tout.

Tu parles d’ailleurs : c’est pertinent puisque j’étais convaincu que la pochette de l’album « Ummon » (2020) de Slift avait été réalisée par Druillet, comme ce fut le cas pour deux des visuels de Zombie Zombie.

Etienne : Druillet, c’est néanmoins une autre référence qui nous a rapproché. C’est marrant avec le recul, cette rencontre [avec Slift] était programmée ; on a les mêmes recherches, les mêmes références, de Druillet à Miles Davis. L’association est plus naturelle qu’il n’y parait.

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Comme on parle ici de ce qui pourrait s’apparenter à un supergroupe – étant entendu que dans 99% des cas les supergroupes ne sonnent pas super – la question ne s’est-elle pas posée de créer une nouvelle identité pour ce projet, avec un nom original ?

Jean : Non, on n’y a pas du tout réfléchi.

Etienne : On se laisse porter, on va voir comment ça va se passer. Peut-être que la collaboration va s’épuiser, peut-être que ce sera l’inverse. On est uniquement dans le plaisir, pas dans le calcul. Aucun plan de carrière dans cette réunion. Mais attention, ça ne veut pas dire qu’on ne bosse pas !

Jean : Le seul calcul, c’est de montrer au public à quoi ressemble la commande du Roadburn.

Question rangement façon Marie Kondo, pour toi Etienne : comment fais-tu pour arriver à compartimenter ton cerveau et arriver à lancer autant de collaborations sans jamais t’embrouiller ou pire, te répéter ?

Etienne : Je comprends que la succession des collaborations donne l’impression que tout est fait en maintenant, mais ce n’est pas le cas. Les projets se nourrissent les uns des autres et artistiquement, cela m’ouvre l’esprit ; à chaque fois c’est une grande remise en question pour moi. En un sens, je suis un peu comme Slift, on est dans le jeu, on a besoin de monter sur scène pour s’éprouver, plus que de rester planquer derrière un ordinateur à évaluer mentalement les compositions. La musique doit naitre du live.

Peut-on donc raisonnablement espérer cet album commun pour l’année prochaine ?

Les deux : Oui, c’est possible.

Dernière question pour toi Jean : ça fait quoi de jouer avec un mec qui joué du sax avec les Red Hot au Stade de France devant 30 000 personnes ?

Jean : C’est que du bonheur, aha ! Ce genre d’anecdotes, ça fait toujours plaisir.

Etienne : Il n’était pas au courant, c’est moi qui leur ai raconté !

Etienne Jaumet & Slift : en concert au Marché Gare (Lyon) le 16 septembre et à la Maroquinerie (Paris) le 19 septembre.

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