Le 21 janvier 2013 – soit un mois jour pour jour après cette fin du monde qui aura surtout permis aux fabricants d’abris antiatomiques de s’en mettre plein les fouilles – sortira le nouvel album d’Esben and the Witch. Intitulé « Wash The Sins Not The Face ». Le disque est succulent mais si vous voulez mon avis, il ne sort pas du tout à la bonne date…

C’est en effet le 22 septembre dernier que le deuxième opus du trio de Brighton aurait du paraître dans les bacs des disquaires les plus pointus de la planète. Pourquoi le 22 septembre ? Oh non, ce n’est pas parce que cette date aurait assuré de meilleures ventes au groupe et à son label (Matador Records) en profitant de l’effet rentrée. Non, c’est simplement parce que cette date est celle, officielle, du début de l’automne. Or, l’automne, cette saison où les arbres se prennent pour Dita von Teese en s’effeuillant joyeusement, est précisément ce à quoi on pense en écoutant Esben and the Witch. Et ce pour plusieurs raisons.

Commençons par le commencement : le nom du groupe. « Esben and the Witch » ou « Esben et la sorcière », en bon Français, est au départ le titre d’un célèbre conte de fées danois. Et qui danois dit Danemark et qui dit Danemark dit : pays glacé où se répète inlassablement une seule et même saison (je tiens ici à noter que le plus fameux des films de Kim Ki-duk porte là-bas le titre de « Automne, automne, automne, automne et automne ») à l’égale fraîcheur.

Dans un second temps, intéressons-nous aux chansons qui composent cet album. De Deathwaltz à Iceland Spar en passant par Yellow Wood, elles nous ramènent toutes à cette époque bénie où, sortant d’un été décadent, on redécouvre septembre et sa grisaille mordorée, octobre et sa fête des morts ainsi que novembre et ses premières neiges.

Au niveau musical, l’automnal ascendant de cette galette est aussi clairement visible puisqu’on se retrouve devant une sorte d’alliage entre du Godspeed You ! Black Emperor qui tirerait un peu trop sur la corde – au propre comme au figuré, tant les basses et guitares dominent l’ensemble – pour la partie instrumentale et du…Rachel Davis pour la partie vocale. Pour ceux qui s’étonneraient de voir ici en guise de comparaison le nom même de l’interprète principale du groupe dont on parle et non celui de quelques voix célébrissimes à la tessiture connue de tous, je vous demanderai de rester calmes.

Car la voix, unique, de Rachel Davis est de fait l’un des atouts maître de cet opus et l’une de ses griffes les plus satisfaisantes. Précédemment déglinguée dans le premier album du groupe « Violet Cries » qui donnait envie, par son côté faussement débraillé, de se percer les tympans à l’aide d’une aiguille à tricoter, cette voix est désormais pure et sans excès. Ainsi lavée, elle est devenue indéfinissable. Elle semble tout d’abord tout à fait ordinaire, presque trop, puisque s’essayant très rarement aux sauts d’octave et autres tenues de note aujourd’hui tellement répandues. Mais ce sont justement cette simplicité, cette justesse, cette douceur, qui en imposent quand on l’écoute. Cette voix fait partie des choses simples, dans le bon sens du terme, lorsqu’il se fait voisin du divin absolu…Bon, ça n’empêche pas certains morceaux de sonner comme du Evanescence 2.0 mais ça on y peut rien, le mal est partout.

D’autant que les membres d’Esben and the Witch ne renient pas leurs liens de parenté avec ce rock gothique qui fit s’extasier toute une génération devant des corbeaux en 3d dégueulasses et les poses lascives d’Amy Lee, jolie. Enfin, ils les renient tout de même un minimum car d’après les propres propos de leur charmante chanteuse : « Esben and the Witch, c’est du rock gothique mais attention, ça n’est pas du rock goth ». Comprenez par là que leur musique est faite pour les gens raffinés et non pour ceux qui aiment à se peinturlurer la tronche tout en égorgeant force chauve-souris afin d’en boire le sang. Ce qui serait, en soi, plus un truc à faire en hiver, tranquillement au coin du feu, avec un vieux grimoire posé sur les genoux. Or, comme je l’ai déjà dit, Esben, c’est un trip automnal, un trip un peu ennuyeux donc mais qui à chaque instant peut éclater en un crescendo jouissif, comme l’ensoleillement succède au monotone froid des matins solitaires.

Pour tout cela, je ne peux que vous conseiller de vous pencher sur cet album. Au début, vous en serez sans doute un peu déçu comme on l’est le jour de la rentrée des classes. Et puis, au fil des écoutes, au fond d’un bus ou d’une rame de métro (oui, il faut si possible, l’écouter en mouvement, le fait de se le taper seul chez soi représentant un risque trop grand de se livrer au dogme de l’antidépresseur palindromique et par conséquent de s’offrir une petite cure au Xanax), vous vous surprendrez à aimer, vraiment aimer, cet automne infini.

Pour les plus impatients d’entre vous et pour ceux qui veulent en apprendre encore plus sur le disque, je vais achever mon article par un Top 3 des meilleures chansons de l’album :

– En troisième position : Yellow Wood, un titre qui porte très bien son nom tant on semble errer tout au long de ce dernier, au cœur d’une forêt jaunâtre, avec pour seul fil d’Ariane le murmure délicieux de Mademoiselle Davis.

– En deuxième position : Smashed to pieces in the still of the night, ce nom à rallonge cache une chanson assez longue elle aussi. Espèce de clone dans sa structure de toute l’œuvre de Godspeed You ! Black Emperor, ce morceau a néanmoins le mérite de posséder son rythme à lui, une nouvelle fois auréolé par l’envoûtante voix de Lady Davis.

– En première position : The fall of Glorieta Mountain, cette ballade pourrait à elle seule motiver un acte d’achat de votre part. A première vue, elle paraît banale – tout comme la voix de Rachel d’ailleurs – mais il suffit de la laisser nous transpercer, lentement et avec grâce, pour comprendre sa beauté véritable. Elle n’est, de surcroît, pas sans rappeler le Lighthouse d’Interpol, un autre plaisir superbe.

Voilà, vous pouvez maintenant retourner en hiver. Mais si jamais l’envie vous prend de revenir une saison en arrière histoire de rêvasser puissamment parmi les feuilles mortes, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Esben and the Witch // Wash The Sins Not The Face // Matador
http://www.esbenandthewitch.co.uk/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

partages