Quand vient le moment de s’interroger sur le disque qu’on emmènerait sur une île Koh Lanta, ou dans tout autre lieu de bout du monde sans 4G, chacun a sa petite idée sur la question. Celle-ci était pourtant réglée depuis 1959, date de la sortie de l’unique album de l’américain Eden Ahbez, « Eden’s Island ».

Vous étiez à bord d’un avion de ligne à 7000 kilomètres d’altitude, prêt(e) à rejoindre une grande métropole standardisée quand soudain, vous vous retrouvez en caleçon déchiré, la gueule enfarinée, sur une plage de sable blanc. Votre voisin de vol gît en trois morceaux à vos côtés, vous êtes seul(e). Enfin, pas vraiment. Au loin, une pochette de disque brille comme un totem papou avec, sur son devant, la gueule d’un chevalier mérovingien, lui-même perdu dans une forêt tropicale. Vendredi, l’indigène ayant raté sa reconversion comme vendeur Hi-Fi à la Fnac, vous amène une paire d’enceintes dernier cri ; vous voici prêt à découvrir « Eden’s Island », merveille intemporelle qui s’apprête à devenir votre ami pour la vie, ou ce qu’il en reste.

Hip avant l’heure

Le disque est sorti en 1960. Ecrire de lui qu’il est unique est une évidence ; ce sera le seul album jamais composé par Eden Ahbez, clochard céleste californien dont la légende raconte qu’il influença le mode de vie hippie au point que 60 ans plus tard, plus personne ne s’en souvient. On lui doit le Nature Boy de Nat King Cole, ça c’est pour la partie musicale. Pour le style de vie, on tombe dans le romanesque : George Alexander Aberle prétend avoir vécu toute sa vie avec 3 dollars par semaine, dormi sous les lettres du panneau Hollywood et s’être uniquement alimenté de légumes, de fruits et de noix. Un régime hippie en somme, ou hipster si vous bénéficiez d’une carte de fidélité chez Bio c’Bon, mais qui, en ces années là, font d’Ahbez un marginal ayant aussi bien trainé avec Sinatra qu’avec Brian Wilson, bref; un éclopé du système ayant un peu trop vu la lumière. Dès l’âge de 13 ans, et bien avant Kerouac, Eden décida de prendre la route pour fuir sa famille d’accueil, c’était donc déjà tracé. Mais rien ne le prédestinait à composer cet Ovni semi-lounge qui transportera immédiatement n’importe quel auditeur dans un Tiki Bar tout droit sorti d’un épisode exotique de Mad Men.

Jésus Christ de l’Exotica

Fin des années 50, Eden a déjà bien roulé sa bosse. Sa barbe, ses cheveux longs et ses sandales contrastent d’avec le style complet veston des jazzmen, alors au climax de leur popularité. Lui décide, sans posture, de faire tout l’inverse : son « Eden’s Island » est empli de flutes, de vibraphone et de mélodies indigènes où le bruit des grenouilles cloaquantes se marie au son des tambourins venus de mondes à demi engloutis. « Eden’s Island », en fait, est un disque de tourisme extrême, de la musique d’ascenseur conçue pour la jungle et les cocktails dans des noix de coco. On y devine ce qui plus tard fera le succès des soirées mondaines des sixties, et ces mélodies qui savent accompagner les tintements de verre sans jamais déranger, mais en plus brut, primaire : Ahbez, avec son physique de Tarzan pas sauvé à temps par Mondial Assistance, chante comme on lirait des histoires mystérieuses à un enfant de 5 ans ; c’est du spoken word avant l’heure avec une flute de charmeur de serpents. Impossible de faire mieux, sur le même registre, que ce disque qui pourtant se vendra très mal.

Comparé, a posteriori, à Moondog, pour son style de vie erratique, Ahbez parcourra l’Amérique à pied pour défendre ce disque finalement pas taillé pour les continents, mais pour les ilots de solitude. Il ouvrira la voie à d’autres (Lee Hazlewood pour la voix venue des cavités, David Axelrod pour les arrangements à mi-chemin entre groove easy listening et jazz) puis mourra en 1995, à l’âge de 86 ans. L’album du Robinson Crusoé le plus barré de son époque a été réédité en vinyle en 2017 chez Captain High Records ; il reste une boussole idéale pour celles et ceux qui souhaiteraient retrouver l’innocence de cet Eden, complètement à l’ouest.

8 commentaires

  1. çà sent le rechauffé!!!!! & la trouvaille toute bête apres discussion au coin comptoir de n’importe quel disquaire averti, sinon, passe la route avec un bon bouquin sur les toits des wagonnes.

  2. FUCK OFF SPOTIFY ET CONSORTS ,pour ma part j’ai decouvert ce disque en 2000 ,(reedition via Munster Records) soit au risque de paraitre ultra pretentieux ,presque 20 ans avant LE Reichsführer-SS BESTER DE GONZAI LOL

    1. kéké12 : le mec qui fait le fier parce qu’il a découvert un disque 20 ans avant un autre alors qu’il avoue lui même qu’il a découvert le skeud 40 ans après sa sortie !!! MEGALOL !!! Et youtube ça te dérange moins que spotify parce que tu peux mettre que c’est ton ultra prétentieuse personne qui a uploadé la ziq ? Me, myself & I !!!

      1. mon cher fierdetre1kékéland aucune fierté ni prétention d’avoir découvert un disque avant ou apres ,peu importe l’epoque il n’est jamais trop tard ni trop tot pour decouvrir un disque ,quand au pseudo debat you tube spotify la belle affaire ,quand je mets un titre sur you tube j’ai acheté en support physique l’album ,c’est toujours mieux que cette arnaque 3.0 de spootify et consorts

      2. mon cher fierdetre1kéké ,ce que tu appel Me, myself & I !!! et que j’appel moi l’entre sois ,est a des années lumières de ce que je suis ,depuis 1988 a ma bien modeste échelle j’ai essayé d’etre un passeur et de transmettre le plus possible  » ma culture musicale « au plus grand nombre ,il n’a surtout jamais s »agit de Me, myself & ,l’entre soit c’est ce que j’ai combattu toute ma vie

  3. En même temps, tout le monde le connaît apparemment mais aucun média n’en parle de ce personnage sauf Gonzai et quelques sites de passionnés… Donc cet article mérite amplement sa lecture même si ce n’est qu’un survol, c’est déjà ça … Pour info, le lp a été réédité également par le label Suisse Moi J’Connais Records

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