Samedi 9 aout à Paris, ciel dégagé et propice à la descente des soldats de l’enfer sur la Capitale. Ce jour là, en attendant l’arrivée de Dylan Carlson en ville, je refais le bilan des courses : près de 3 semaines que ‘’Primitive and Deadly’’ carbure en roue libre dans les enceintes du bureau au point que mes voisins commencent à s’inquiéter de mon état mental, tous persuadés que votre serviteur s’est fait embrigadé par une secte aux oripeaux heavy-metal où larsen et riffs double gras sont servis à même le bol dès le réveil par des intégristes fans de Sunn O))). Bref, c’est ambiance Satan l’ami du petit déjeuner.
‘’Primitive and Deadly’’, et on aura l’occasion d’y revenir, est un tel vent d’air frais dans le morne panorama du rock américain désormais goudronné ras la gueule qu’on a souvent l’occasion au cours des cinq pistes qui le composent d’entendre le ronflement des moteurs d’un Jumbojet lancé sur une piste longue de dix kilomètres. En somme, ‘’Primitive and Deadly’’ est un lent rouleau compresseur repassant sur votre petit orteil suffisamment de fois pour que la douleur devienne indolore et que vos oreilles, à force de saigner, finissent par oublier ce metal lourd capable à lui seul de relancer l’industrie sidérurgique.
Instant cookie
Samedi 9 aout, quelques minutes plus tard. Intérieur jour, rayon biscuits d’un Franprix où se joue sous mes yeux un instant cornélien. ‘’Plutôt nougatine ou chocolat noir ? Avec ou sans pépites ?’’. La situation est cocasse, unique quand on y pense. Pour une raison dont je vous épargne ici les détails, je me retrouver à jouer le roadie pour Earth et suis préposé à la confection du catering [la bouffe du groupe pour sa loge]. De quoi me faire réaliser que je suis en train d’hésiter sur la marque des cookies à acheter au type qui a offert pour son anniversaire à Kurt Cobain le flingue qui plus tard lui servira à se faire sauter le caisson. Sans dire qu’on puisse accuser Carlson d’avoir assassiné le Grunge et permis l’explosion d’une génération de rockeurs mous du genou, il y a quand même de quoi s’arrêter deux minutes sur le destin cabossé du bonhomme. Avant cela, et au cas où ça vous intéresserait, j’ai finalement opté pour les cookies 100% chocolat. Pas de place pour le consensus.
Where did you sleep in the 80’s ?
Tout comme avec l’éviscération de lapin et les shows sataniques de Mayhem, l’histoire de Earth est indissociable de celle de son leader, Dylan Carlson. Celle-ci débute comme on peut le lire dans la Bible, au milieu des années 80 après que le jeune Dylan, brinqueballé de ville en ville par un père militaire, ait découvert l’apothéose du riff grâce à des groupes comme AC/DC ou Black Sabbath et la fascination pour des artistes hypnotiques comme Terry Riley ou La Monte Young. Le grand écart est facile, quand on est jeune. De cette adoration pour tout ce qui peut ressembler à l’exact contraire de l’idée qu’on se fait des années 80 chantées par MTV, Carlson conserve encore aujourd’hui tous les stigmates. Le riff comme exultation hormonal, les batteries lourdes comme une enclume forgée chez Tolkien, l’esthétique vestimentaire redneck à peine bonne pour un épisode de Walker Texas Ranger, tout cela est inscrit si profond que ‘’Primitive and Deadly’’ suinte à fond comme le Saint Suaire et que ça sent la boucle bouclée après 25 ans d’errance.
Errance, disions-nous ? Oui, parce que la vie de Dylan n’est pas un long fleuve tranquille. Si l’addition se révéla salée pour Cobain, elle le fut aussi dans une moindre mesure pour Carlson qui débute sa carrière dans un trou paumé des Etats-Unis, Olympia, capitale de l’état de Washington mais surtout berceau de rien, du tout et du n’importe quoi. Mais pas avec n’importe qui. Car là bas, le jeune Dylan fait la connaissance circa 87 d’un certain Mark Lanegan avec qui, de l’aveu de ce dernier, il partage une maison ‘’dont la salle à manger ressembler à la salle d’attente d’une morgue’’, le tout dénué de télévision et seulement pourvue d’une chaine stéréo que les colocataires écoutent en boucle. Par le jeu des alignements planétaires que certains appellent le hasard, un troisième larron se pointe pour trainer avec les deux zigues, du nom de Kurt Cobain. Plus tard, il imposera un autre type vaguement connu aux deux colocataires : Dave Grohl. Vous le voyez venir, l’alignement des stars ?
Planète terre en approche
Si tout ce beau monde devient compagnons de défonce et de travestissement à la fin des années 80, tous partagent un respect mutuel qui va au delà de la simple camaraderie. A cette époque Dylan joue déjà dans un groupe du côté d’Olympia où les Screaming Trees de Lanegan passent déjà aux yeux de Carlson pour des professionnels pour la simple et bonne raison « qu’ils possèdent un van et un ingé son ». Mais le derby local vire au QG pour mauvais garçons. Dylan et Mark fréquentent les mêmes lieux, dorment sous le même toit et se retrouveront même à être vendeurs chez le même disquaire. Histoire pas écrite donc, mais carrières toutes tracées qui vont faire de ce petit coin d’Amérique qu’est la banlieue de Washington le détonateur de la décennie suivante. Tous, sans exception, seront signés chez Sub Pop : Nirvana avec ‘’Bleach’’ en 1989, Lanegan avec son premier disque solo (‘’The Winding Sheet’’) en 1990 et Earth, un peu à la traine, en 1993 avec ‘’Earth 2: Special Low Frequency Version’’. Coïncidence ? Non, je ne crois pas. De ces histoires entremêlées vont naitre les dernières grandes heures du rock américain, mais aussi des collaborations entre les voisins de chambrées. Ainsi retrouve-t-on Carlson crédité sur le premier disque de Lanegan. ‘’J’ai pas vraiment travaillé sur ce disque’’ me confie Dylan ce samedi 9 aout, ‘’disons que je lui ai donné le nom d’une chanson et une série d’accords, c’était pas grand chose’’. Okay, mais c’est suffisant pour passer en pointillés au paragraphe suivant.
Carlson & Lanegan
Cette longue remontée du temps nous amène à la présence inédite de Lanegan sur ‘’Primitive and Deadly’’, pour deux morceaux, n’ayons pas peur de le dire, d’exception : There is a serpent coming et Rooks accross the gates, deux comptines hautement chargées en fer où Lanegan est au four (pour paroles et chant) et Carlson au moulinet de guitare. Il y question d’animaux mystiques, d’orages électriques de chansons sans fin (huit minutes au compteur chacune) qui donnent pour la première fois à Earth l’envergure d’un groupe accessible au commun des mortels, si tant est qu’on soit croyant.
Carlson & Lanegan, ca sonne beau comme un western, ça claque – pardon – comme un flingue de chez Smith & Wesson. Et c’est pas peu dire. Avec leur gilets en peau de groupie séchée dissimulant des chemises de bucherons n’ayant pas vu la machine à laver depuis octobre 1993, ils représentent encore aujourd’hui le dernier bastion du rock & roll américain, son Fort Alamo repoussant l’envahisseur R&B et ses refrains autotunées, comme un ultime témoignage du rock indépendant des année 90 qui n’ait pas tout cédé à la standardisation et aux pensions alimentaires quatre étoiles, haut et fragile comme la dernière digue empêchant la montée des eaux telle qu’on l’envisage maintenant, à l’heure du rock post-dérèglement climatique.
Quand je demande à Carlson pourquoi cette réunion de colocataires aura pris plus de 20 ans à s’organiser, la tête pensante de Earth ne sait pas trop quoi répondre. Il invoque le hasard et les ‘’happy accident’’ qui permettent à un disque de devenir cet autre chose que l’initialement prévu : ‘’ Au départ j’avais composé Rook accross the gates pour mon projet solo [Dr Carlson Albion] ce qui explique que ce soit l’une des chansons les plus ‘’folk’’ du disque. Bref les paroles étaient déjà écrites quand Mark a débarqué, sans que j’arrive à comprendre pourquoi on n’avait jamais travaillé ensemble avant ça, même si à l’époque de Sub Pop on parlait déjà de bosser ensemble. Bon puis la carrière des Screaming Trees a décollé si vite qu’on peut dire qu’il s’est bien mieux démerdé que moi, ah ah ! Du coup voilà, 20 ans plus tard il s’est trouvé que Mark a aussi écrit les paroles de There is a serpent coming, et comme j’avais préféré ses paroles aux miennes, il a pris le micro et su apporter ce truc auquel j’avais pensé à l’origine pour ce disque ; ça fait partie de ces trucs qui font que jamais rien ne se passe comme prévu ». En dépit de tout son talent et comparé à l’artisanat sonique confectionné par Carlson sur sa six cordes, Mark Lanegan n’est que chanteur, ce qui dans ma grille d‘évaluation revient à comparer une Aston Martin avec une R5 premier modèle (les fans de Turbo comprendront). Et si ‘’Primitive and Deadly’’ s’avère le parfait contrepoint du précédent disque, c’est avant tout parce qu’il signe le solde tout compte de ses problèmes personnels.
C’est en haïssant qu’on devient forgeron du metal
Publié en 2012 sous le nom de ‘’Angels of Darkness, Demons of Light II’’, le sixième album de Earth était un étonnant retour aux racines celtiques, nettement plus inspiré par Bert Jansch que par, pour faire court, Sepultura. Il marquait déjà le début d’une réconciliation entre l’auteur et lui-même après plusieurs années passées dans la dope, et accessoirement en prison.
De 2000 à 2004, Carlson est forcé de porter cet uniforme rouge qu’aux USA on appelle un costume de bagnard. La raison ? Un cambriolage de voisinage qui aurait dégénéré, ultime prétexte à une incarcération pour cause de lutte, surtout, avec des démons intérieurs. Carlson n’est pas l’ami de Cobain pour rien. ‘’En taule j’étais le seul type blanc confiera-t-il plus tard, ‘’obligé d’écouter du mauvais rap en jouant aux cartes pour tuer le temps, un moment pas vraiment fun’’. Durant ces années à l’ombre, Carlson fait le tour de la pièce en développant un gout pour la méditation, voire la médication tant le séjour derrière les barreaux, contrairement à la musique haineuse qu’on entend sur ‘’Primitive and Deadly’’, semble l’avoir adouci.
C’est faussement anecdotique, mais Carlson n’a pas la voix de son physique. Une voix de crécelle pincée comme une corde de mi montée sur un petit corps trapu dont l’histoire du style retiendra qu’il est le seul à pouvoir supporter la chemise vichy de col blanc adossée à un gilet jean Rica Lewis brodé de badges et autres Pin’s. Et c’est avec ce même amour des anti que se suivent donc ‘’Angels of Darkness, Demons of Light II’’ et ‘’Primitive and Deadly’’, deux disques que tout oppose autant que le calme et la tempete, deux états qui collent finalement bien à ce personnage gris qu’est Carlson, pas forcément innocent mais pas complètement coupable non plus.
Jean Valjean du doom metal, Dylan Carlson, 46 ans, va bien, merci pour lui. A un âge où tant d’autres ont jeté l’éponge et troqué le manche contre une tondeuse à gazon, lui continue d’écumer toutes les scènes obscures pour prendre des poses de guitar héro qu’aucun autre que lui ne saurait assurer sans susciter la barre de rire. ‘’Primitive and Deadly’’ est un disque de haine. Ou de métal agressif, si vous préférez, un truc qu’une équipe de graphistes sataniques pourraient écouter en open space en dodelinant de la tête avec les cheveux gras collés sur la touche EXIT.
Midlife crisis
Réflexion faite – je viens de me relire – ‘’Primitive and Deadly’’ est un juste album de rock servi par un homme qui théoriquement n’a plus l’âge d’en faire et qui, pour cette raison, le fait mieux que les autres. ‘’J’en rigolais encore l’autre fois avec le groupe mais je crois que c’est mon album de la crise de la quarantaine’’ me confie Carlson en rigolant, ‘’je crois que je voulais simplement faire un disque rock qui sonne comme tous ceux des groupes avec lesquels j’ai grandi’’. Là c’est même plus pari gagné, c’est miracle à Lourdes avec de plus une pochette de disque qui apparaît comme la Vierge telle une Hallali graphique ; un formidable fantasme visuel qui permet à la musique de se métamorphoser en pensée, à chacun des titres la possibilité de donner du rêver à l’auditeur comme dans ces vieux livres SF dont vous étiez le héros. ‘’Quand t’es pas signé sur un gros label et que tu t’appelle pas Jay-Z, spécialement maintenant que l’industrie du disque est devenue ce qu’elle est devenue, tu as l’obligation d’offrir quelque chose de spécial et d’unique à l’auditeur, quelque chose qu’il va vouloir posséder’. Ce disque, je voulais qu’il puisse botter le cul comme AC/DC m’a botté le cul quand j’étais un metal kid et que le metal est devenu tout pour moi. Je sais que le terme metal a évolué depuis, mais il y a quelque chose d’unique chez les fans de metal : ils sont hermétiques aux tendances, ils aiment la musique et si ils t’aiment c’est jusqu’à la mort’’. Le rock après 40 ans, dans ces conditions, a l’allure d’une vie après la jeunesse, et donc d’une vie éternelle. Est-ce là un pacte faustien ? Gageons que oui. Le diable aussi sait reconnaître les siens.
Earth // Primitive and Deadly // Southern Lord (Differ-Ant)
http://www.thronesanddominions.com/
Photos : Nicolas Giraud
3 commentaires
Le rock d’ascenseur vous va si bien.
Un jour je suis tombé en panne dans un ascenseur, c’est con je revenais d’un footing j’étais en sueur, bref je vous passe les détails mais j’ai vraiment eu les pétoches ça m’a semblé être les 5 minutes les plus longues de ma vie, tout ça pour dire que depuis je prends toujours les escaliers quand j’ai le choix. Voilà, c’est tout.
l’otre soir j’lheur est vendue du B.L.U.E.S. çà m’a rapporté 39euros moinsse les frais Péte pâle! leur message a été vive ton rock list…..