Capture écran de « Don’t You Think I’m Funny Anymore? » Dougie Poole, 2017

Dougie Poole manie l’ironie morbide et l’art de la mélancolie comme certaines des plus grandes figures de la country, Townes Van Zandt ou David Allan Coe en tête de file (quoique certainement plus sympathique que ce dernier). Son dernier album « Rainbow Wheel of Death » est sorti ce 24 février chez Wharf Cat Records et c’est l’une de ses sorties les plus touchantes et authentiques à ce jour.

Depuis quelques années, la country (ô combien prisonnière de son carcan, bien que celui-ci soit fait de chrome rutilant) semble faire peau neuve, autour de certaines figures fortes comme Orville Peck qui à lui seul incarne un renouveau salvateur et bienvenu. Dans un tout autre registre, Dougie Poole chante une country faussement enjouée, anxieuse, désespérée. Après son précédent album « The Freelancer’s Blues » de 2020, il troque les paillettes de la country kitsch et des crooners étincelants pour revenir à ce qu’il sait faire de mieux : raconter de sa plume hantée les désastres de la vie quotidienne et ses désillusions, qui sont au cœur de ce nouveau « The Rainbow Wheel Of Death ».

En nommant son dernier album d’après la petite roue arc-en-ciel signalant les ralentissements impromptus sur les ordinateurs les plus chers du marché, l’artiste cultive un certain sens de la métaphore. Après avoir passé les dernières années à travailler comme programmeur pour un site web de sous-vêtements, Dougie a finalement retrouvé le chemin de la musique. Malgré une grande rapidité dans l’écriture, la réalisation et la production de l’album, sa justesse à fleur de peau en fait le meilleur de la discographie depuis « Wideass Highway » de 2017. Et surtout, depuis le premier EP de 2016 « Olneyville System Special » et sa compilation de titres plus déprimés et lessivés les uns que les autres.

Si « The Rainbow Wheel Of Death » s’ouvre sur un premier titre éponyme pop et candide assez lisse, l’illusion ne tient pas longtemps. Le magnifique High School Gym, flirtant avec la new wave et quelques échos Talking Heads, reprend un rêve de Dougie où les morts s’invitent dans un gymnase de lycée :

« There’s my old man smoking his Pall Malls / There’s my granny in her robe with the frill / And over there on the ends, are my old good time friends / Who showed up early, with the powder and the pills ».

La mort est omniprésente sur cet album, de I Lived My Whole Life Last Night au plus rock et enjoué Beth David Cemetary, récit d’un retour prémonitoire au caveau familial (« Beth David here I come, I’m heading home to give you back another one »).

Dougie chantonne aussi l’amour, lui aussi ode aux fantômes du passé, comme avec la recherche d’un SMS disparu dans les méandres du monde digital sur Must Be In Here Somewhere. Et toujours, l’attente infinie, la déprime chronique, l’apathie, avec ses deux autres plus beaux morceaux, Nothing On this Earth Can Make Me Smile et I Hope My Baby Comes Home Soon. Dougie Poole est à la country ce que Joaquin Phoenix est au Joker : son incarnation la plus neuve, peut-être l’une des plus tristes. Et quand sa plume se fait comique, c’est avec ironie et cynisme, pour combattre la peur et le doute avec juste assez d’auto-dérision pour remuer le couteau (format hachoir) dans la plaie.

De son propre aveu, Dougie Poole est un mec assez basique. Il aime le basket, les jeux vidéo, nager, regarder les oiseaux. Il passe trop de temps sur son téléphone. De la figure de l’outlaw, il possède surtout l’âme et le regard, plus que le culte des frasques, des pensions alimentaires, des Monts-de-Piété et des bagarres. Il joue la musique de celui qui a raté le train déjà bien avant qu’il ne passe, condamné à regarder le monde par la fenêtre, à frôler la vie sans jamais vraiment en faire partie. Il est celui qu’on finit par admirer, sans pour autant vouloir être à sa place.

Dougie Poole // The Rainbow Wheel Of Death // Wharf Cat, sortie le 24 février
https://dougiepoole.bandcamp.com/album/the-rainbow-wheel-of-death

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