Les années 70, niveau musique, ont vu leur orée épanouie de fleurs vénéneuses d’une rare beauté et leur crépuscule égayé d’herbes folles vibrionnant de lucioles aux éclats variés de plus ou moins bon goût. Le disco, le punk et le rap formèrent le tiercé gagnant, marqué au coin de la nouveauté, de cette fin de décennie. Mais, en réalité, c’était du réchauffé tout ça. Le soubresaut d’un ramassis d’artistes à la ramasse, cachés sous les oripeaux d’une modernité de pacotille, si tu veux mon avis. Car, comme l’a dit Cocteau, « l’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs. Il n’existe que des retardataires. »

Le Disco avait fait ses « areuh-areuh » bien avant d’être ainsi baptisé, le Punk ses premiers pas des lustres avant de pogoter tel un gogol, et le Rap, ouh là là (en français dans le texte), tu vas voir Édouard. C’est dans l’ordre des choses : comme la nature a horreur du vide, la musique recycle sans cesse en les parant d’habits de lumière, des vieux tromblons poussiéreux qui ont tiré leur coup avant l’heure. Je sais que t’es pas câblé pour tout gober, l’appât, l’hameçon, la ligne et le bouchon. Je suis par suite très flatté de pouvoir soumettre à ta sagacité le fruit de mes cogitations sur les titres fondateurs des genres précités. Mais s’il ne te sied point, te mets pas en rogne, hein, y a que ceux qui grattent rien qui grattent pas de conneries. 

Premier titre disco : Love’s Theme de Barry White & The Love Unlimited Orchestra (1973)

« Il y a du sacré dans les larmes. Ce ne sont pas des signes de faiblesse, mais de force. Ce sont les messagers de l’incommensurable chagrin, et de l’indicible amour. » Love’s Theme ne me fait pas du tout penser aux mots de Washington Irving. Cet instrumental, pondu par le morse Barry White et interprété par sa clique du Love Unlimited Orchestra, tient plus du Philly Sound que du funk. Il contient l’ensemble des ingrédients entrant dans la composition de la bonne vieille soupe des familles ; tout y est : les cordes, les cuivres, et la wah-wah qui fait « wak-ku-tukah, wak-ku-tukah »… Y a même une flûte qui virevolte et chie en spray dans l’infâme brouet. Bref, ce machin indigeste fut le digne héraut de la mouscaille qui s’annonçait, bien décidée à souiller les dancefloors quelques années plus tard. Libre à toi d’écouter, Ô Mon Frère, mais tu ferais tout aussi bien de m’embrasser les charrières, en t’imaginant que ce sont des boules à facettes…

Premier titre punk : Surfin’ Bird de The Trashmen (1963)

D’aucuns objecteront qu’il y a eu plein de trucs avant, dont le Rockin’ Rochester U.S.A. des Tempests, bien crade et gueulard, c’est entendu. Chacun sa came, mais pour moi ce sera donc « L’oiseau Qui Surfe », ne t’en déplaise. Sur ce titre pompé en mode fuck you sur les Papa-Oom-Mow-Mow et The Bird’s The Word des Rivingtons, le chanteur des « Éboueurs » invente le pogo pour volatiles mazoutés et éructe ses paroles débiles, soutenu par une rythmique surf rock minimaliste comme il se doit. Des combos punks ou assimilés qui s’essaieront à reprendre ce brûlot décérébré, seuls les Cramps sauront tirer leur épingle du jeu. Les Iguanas du jeune Pop vont tout gâcher en remplaçant le chant par les « pouët-pouët » aigrelets d’un sax à la con, et les Ramones seront condamnés à ralentir le tempo diabolique de l’original pour livrer leur copie. L’oiseau idiot et rageur est difficile à apprivoiser…

Premier titre rap : Preacher And The Bear de The Golden Gate Quartet (1937)

Cette folk song, de facture classique à la base, a été adaptée à la fin des années 30 par le Golden Gate Quartet et à la fin des années 40 par les Jubalaires. Ces deux groupes vocaux, des « Jubilee Quartets » qu’on les appelait, ont « chanté » Preacher And The Bear comme personne. Les mecs ont samplé (Give Me That) Old Time Religion – un gospel traditionnel – sur le refrain, et adopté sur les couplets un parler syncopé dont Wonder Mike du Sugarhill Gang semble s’être bien imprégné avant de poser son flow sur Rapper’s Delight. Le Hip-hop (très) old-school est donc né en 1937, et la vidéo qui suit (« Preacher’s Delight ») en apporte l’irréfutable preuve. Les interventions à tour de rôle et la gestuelle propres au rap restaient à inventer, mais ce n’est pas ce qu’il y avait de plus compliqué, tu en conviendras aisément…

En furetant sur le sujet du rap, je suis donc remonté à …Old Time Religion, qui date de 1873. J’arrête les frais, avant de me retrouver en train de t’expliquer que Cro-Magnon a accouché du Blues à Tautavel en se fracassant le crâne à grands coups cadencés de silex mal dégrossi, tout en dandinant, sanglant mais hilare, sa croupe velue au clair de lune.

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