Qui a déjà entendu parler de Suzi Quatro, Poly-Styrene, Viv Albertine ou Saba Komossa ? Qui connait le nom d’une pionnière des synthétiseurs comme Eliane Radigue ? Pas grand monde. Raison pour laquelle avec son n°35 spécial Wonder-women, Gonzaï a voulu rendre grâce à toutes ces pionnières, combattantes soniques confidentielles, chanteuses iconiques, guitaristes excitées ou DJs filles, qui ont brisé le fameux plafond de verre d’un seul cri primal de libération et d’exaltation. Voici, en préliminaire, une tribune de PPyR sur la question des femmes dans l’espace pop.

Ces dernières années la presse musicale a beaucoup glosé sur la place des femmes dans le milieu de la musique en particulier, ou dans celui de l’Art en général. De Cosey Fanni Tutti (Throbbing Gristle) à Siouxsie Sioux, de Joan Jett (ex-Runaways) à Anna Calvi, d’Ari des Slits à Yo-Landi Visser, de Nina Hagen à Anja (X-Mal Deutschland), de Lisa Gerrard à Liz Fraser, de Diamanda Galas à Kim Deal, de Rebeka Warrior à Jenny Beth (Savages), de Miss Kittin à Julia Bondar, de Sex Toy à Barkosina (Years Of Denial), en passant par les filles de Mensch, Mansfield Tya, Jeann Added, Beta Evers, Reka, Judith Juillerat, Melissa Auf Der Maur, Tisiphone, Venin Carmin, Paz Lenchantin (Pixies), Sarah Taylor (Youth Code), Hausfrau, Peaches, Anna von Hausswolff, Agnes Obel, Gemma Ray et tant d’autres artistes brillantes. Ce qui m’a toujours intéressé chez les artistes féminines c’est leur point de vue sur la vie, sur le monde, sur nos sociétés et sur l’acte créatif. De même qu’un homme ne se résume pas qu’à ses testicules, une femme ne se résume pas qu’à son utérus.

Dans le monde de la musique ce qu’on attend d’une femme c’est qu’elle soit belle, vendable, et sexy, et beaucoup moins qu’elle fasse valoir sa différence en portant fièrement un étendard, un programme, une libération.

Depuis l’émergence du mouvement Riot grrrl, à l’orée des années 90, il y a bien eu quelques avancées. Mais la place des femmes est encore trop réduite dans certaines chapelles musicales, et elles sont très minoritaires dès que l’on monte à un haut niveau de responsabilité et de décision dans les multinationales du disque. Des années 50 à nos jours, pour un grand nombre de musiciennes, le chemin fut régulièrement parsemé d’embûches et nombreuses sont les artistes féminines qui ont eût à subir critiques, machisme phallocrate, cynisme, sexisme et arrogance testostéronée, de ces troupeaux de mâles alpha qu’on trouve à foison dans le milieu du rock et qui considèrent les femmes avant tout comme des groupies, des amatrices de sexe ou des muses sans parole. Dans le monde de la musique ce qu’on attend d’une femme c’est qu’elle soit belle, vendable, et sexy, et beaucoup moins qu’elle fasse valoir sa différence en portant fièrement un étendard, un programme, une libération.

The Cruel Truth About Rock And Roll : The Record : NPR

Ce n’est qu’avec la reprise en 1956 d’un jeune mâle gominé au groove ensorceleur que le morceau Hound dog arrive aux oreilles de la jeunesse américaine des fifties. Et pourtant ce titre avait été chanté en premier lieu par une femme noire nommée Big Mama Thornton, en 1953. Elvis Presley n’a fait que ré-enregistrer cette chanson aux Studios Sun de Memphis et lui a permis d’être diffusée massivement à la radio. Au début fut le rock, mais pas de trace d’Eve dans les années 50. Exception faite de Brenda Lee et de Wanda Jackson, la naissance du rock a été surtout une affaire d’hommes. Ainsi l’histoire du rock démarrera quelque part sous la forme d’une imposture, doublée d’un malentendu.

Tout d’abord employées comme choristes ou instrumentistes dans le rock ou la pop, les femmes sont longtemps restées dans l’ombre des figures tutélaires mâles. Quand en 1966 Andy Warhol impose Christa Päffgen (Nico) à ses poulains du Velvet Underground, c’est pour donner davantage de lumière à ce groupe de junkies new-yorkais décatis par l’héroïne. La blondeur de Nico la teutonne épousant parfaitement la noirceur de l’âme du juif bi-sexuel new-yorkais Lou Reed.
L’histoire du rock reconnaît que l’idée marketing géniale d’Andy contribua à foutre la banane à tout New York. L’histoire finira tragiquement, comme souvent à cette époque de consommation de drogues effrénée, et la prêtresse sixties Nico mourra d’une chute de vélo à Ibiza, après avoir passé la plus grande partie de sa vie accroc aux larmes d’héroïne. Il faudra attendre l’arrivée de la no wave, puis du punk, pour voir enfin des femmes déterminées prendre les commandes d’un groupe ou d’une scène. De Patti Smith à Blondie et de Siouxsie à Annie Lennox, une nouvelle vague musicale submergera l’Europe et le monde.

Dans la pop mainstream, le statut des femmes a sans aucun doute davantage été respecté, en premier lieu parce qu’une star de la pop, ça peut rapporter beaucoup d’argent à une maison de disques.

Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai été marqué dans mon adolescence par ces prêtresses du punk et du post punk portant les noms de Siouxsie, Blondie, Mona Soyoc (KaS Product), Gudrun Gut (Malaria) ou Toyah parce qu’elles incarnaient à la fois une beauté fulgurante et une forme de liberté sans limites. Il y avait aussi ces sublimes déesses aux voix divines, Lisa Gerrard et Liz Frazer, qui contrastaient avec la puissance démoniaque d’une Diamanda Galas capable de vous faire une remontée d’organe à chaque vocalise. La première fois que j’ai entendu la Galas (Mute records) en 1986, je fus subjugué par sa furie vocale, à faire passer le Blixa Bargeld des premiers Einstürzende Neubauten pour un Jimmy Sommerville qui se tripote la nouille sous la douche. Deux ans auparavant Diamanda Galas était à l’affiche du festival d’Avignon.

Dans nos obscures eighties, nous n’avions ni ordinateurs, ni internet, et nos wallpapers à nous, c’étaient des posters en papier, punaisés dans nos chambres d’adolescents. Celui de l’album « Phantasmagoria » de Damned avec Susie Brick (Madame Nick Cave aujourd’hui) dessus me semblait représenter la femme idéale. A cette époque, j’étais très attiré par ces filles sur-maquillées, au point de collectionner disques, cartes postales, badges et posters de toutes ces super héroïnes de la vague post-punk et goth. Les plus machistes de nos homologues masculins vous diront qu’ils ont toujours vu des gonzesses bien placées dans les charts, les clips, les groupes de rock ou dans la plupart des festivals. Certes, mais il ne faut pas oublier que beaucoup d’entre elles ont souvent été cantonnées à des rôles subalternes. Tout au long de l’histoire de la musique, on a vu beaucoup de choristes, de muses, de faire-valoir, de starlettes et de potiches. Mais c’étaient toujours des hommes qui empochaient le pognon derrière. On sait à quel point le succès et la célébrité d’un Phil Spector doit beaucoup aux femmes qu’il a souvent maltraitées dans les années 60. Sa relation difficile avec certaines d’entre elles l’a conduit en prison pour meurtre, il y a une quinzaine d’années.

Violaine Schütz - Journaliste: Muse/style icon : Susie Bick, ex mannequin, actrice et femme de Nick Cave
Susie Bick

 

Et que dire de toutes ces pochettes de disques de rock seventies, ou de hard rock à coupes de caniche des années 80, utilisant des femmes à poil sur les visuels dans le but d’attirer l’adolescent pré-pubère en mal d’émotions érotiques ? Des premiers albums de Roxy Music à ceux de Manowar ou de Mötley Crüe tout n’est que machisme dégoulinant et érotisme vulgaire. Dans la pop mainstream, le statut des femmes a sans aucun doute davantage été respecté, en premier lieu parce qu’une star de la pop, ça peut rapporter beaucoup d’argent à une maison de disques. Malgré cela beaucoup d’icônes Pop ont été traitées comme des vaches à lait, et de nos jours ce sont encore et toujours des hommes qui décident de leurs carrières dans des bureaux de Manhattan. Il y a bien sur des exceptions, des reines intouchables comme Madonna, Björk, Kate Bush, Lady Gaga ou Beyoncé, mais faut toujours se méfier de ces femmes jouissant du statut de chef d’entreprise, et qui une fois au pouvoir finissent par oublier leurs consœurs musiciennes. A part Björk avec Leila, combien de ces stars ont fait appel à des musiciennes inconnues, à des productrices, à des réalisatrices ?

J’ai de la considération pour les artistes féminines libres, qui s’expriment sans l’ombre tutélaire d’un pygmalion tout puissant qui a plus tendance à vouloir contrôler leur énergie créative et sexuelle afin de faire enfler son égo masculin. Il n’y a pas vraiment d’égalité entre la muse et son pygmalion, ce n’est qu’un jeu de séduction, et souvent de soumission, comme on en a connu chez Serge Gainsbourg ou Lee Hazlewood.

Malgré un deuxième rôle, dont le scénario a toujours été quasiment écrit par des hommes, certaines artistes sont sorties du lot et ont ébloui nos esprits et nos âmes. Des femmes comme Billie Holliday, Nancy Sinatra, Aretha Franklin, Donna Summer, Janis Joplin et quelques autres, dont la carrière fut parfois courte et tragique. Dès la fin des années 60, les choses commencent à changer, une période intense de libération et de contestation s’ouvre au niveau sociétal. Les femmes revendiquent le droit à l’avortement et à celui de disposer de leur corps, le droit de vote et d’émancipation. Musicalement, c’est avec l’arrivée de la no wave à New York que des femmes vont pouvoir faire entendre une voix discordante et engagée, c’est l’avènement de Patti Smith, Lydia Lunch, de femmes plus cultivées et conscientisées qui vont arpenter les rues, les scènes, les théâtres ou les clubs underground comme le CBGB ou le Max Kansas City. Ces furies proto-punks véhiculeront un autre regard plus complexe et pertinent que le concept cramé de Sex, Drugs & Rock n’Roll. A partir des années 70 puis 80 le nombre de chanteuses dans les hits parades devient quasi exponentiel, sans signifier pour autant que l’égalité homme – femmes est respectée dans le monde de la musique. C’est l’époque des Anne Clark, Daniele Dax, Tanya Donelly (Throwing Muses), Yazoo, Karen Finley, Sinead O’ Connor, Patricia Morrison (Gun Club, The Sisters Of Mercy). Mais les choses sérieuses commencent bel et bien au début des années 90, avec l’arrivée des agitées Riot Girls menées par Kathleen Hanna (Bikini Kills), suivies de près par les camionneuses de L7, la sulfureuse Courtney Love de Hole, les sœurs chimiques Kim & Kelley Deal aux manettes de The Breeders, Babes in Toyland, Lunachics, Kim Gordon dans Sonic Youth, Katie Jane Garside (Daisy Chainsaw), Beth Gibbons (Portishead) et quelques autres femelles à fort caractère.

En l’espace de deux décennies de nombreuses femmes en colère ont réussi à atteindre le statut de « rock stars » à la force du poignet et de leurs chants de pythies illuminées ! La progression a beau avoir été lente, souvent laborieuse, non exempte de frustrations et de trahisons, d’injustices et de drames (de Nico à la pauvrette Amy Winehouse), elle aura fini par porter ses fruits. Si l’on se penche sur la représentation féminine dans les scènes actuelles, qu’elles soient techno, R&B, pop, rock ou underground, il y a de plus en plus de femmes ayant réussi à faire leur beurre. Question musiques obscures, dures ou industrielles, de Chicks On Speed à Peaches, de Nic Endo à Lingua Ignota, de Puce Mary à Nikki Void de Factory Floor, ou de Pharmakon à Lana Del Rabies, jamais autant des filles n’ont crié aussi fort, porter leurs revendications aussi loin, avec autant d’énergie, de liberté et de conviction.

En 2011 à l’occasion d’une compilation de reprises de Noir Désir que j’ai proposé à des chanteuses et musiciennes afin de rendre hommage au groupe bordelais, je trouvais à l’époque assez pertinent de faire chanter à des femmes les textes écrits par un homme sulfureux, dont la relation amoureuse, à la fois brutale et passionnelle, s’achèvera par la mort de son amante rouée de coups. Quand j’ai monté ce Tribute le groupe venait de se dissoudre définitivement. Loin des polémiques je reste convaincu que les paroles d’un Bertrand Cantat ont pris un sens différent, et une autre ampleur ainsi interprétées par Les Filles Du Désir.

On aime les musiciennes qui savent ce qu’elles veulent, qui n’ont pas peur de surprendre ni de choquer, qui n’ont pas peur de sortir des carcans et des modèles dans lesquels le machisme les a cantonnées jusqu’à nos jours. On les aime ces femmes qui n’ont pas peur de monter au front, de se battre et de revendiquer la place qui leur est due. Honorons ces artistes féminines qui ont su trouver leurs auditeurs sans les canaux de promotion habituels, juste avec leur organe vocal, leur écriture, leur attitude, leur façon de nous ouvrir leur âme. On aime ces musiciennes qui savent allier le fond (le talent) et la forme (l’esthétique) au point de se construire ce genre de personnages féminins ambivalents qu’un David Lynch affectionne tant; ces femmes fatales comme Chrysta Bell, Julee Cruise ou Wendy Bevan.

L’acte créatif n’est ni masculin, ni féminin, il est.

24 commentaires

  1. Et donc ça commence par un plaidoyer pour un monde moins velu et ça finit sur un hommage à Noir Désir, avec une spéciale dédicace au personnage « sulfureux  » que serait Bertrand Cantat.
    J’ai loupé un épisode ou…?

  2. Au titre j’ai cru à un hommage à la mémoire de Martha Place (synthèse parfaite de la femme et de l’électricité) mais en fait, non.
    « Dans la pop mainstream, le statut des femmes a sans aucun doute davantage été respecté » Bah ouais c’est vrai que Miley Cyrus ou Lady GoGoy sont bcp moins vulgos que ces grosses bimbos de Tess Parks et Birgid Dawson.
    Sinon impressionnant le niveau du name dropping.

  3. j'y connais rien en accent, ni en regionalisme, ni en coutumes, ni en cuisines specialités, ni en bifteck comme chez zäi, ni en ponctuation, dit :

    hypermarché banliou BayonnA, reponse standardiste j’ai pas çà dans la Culotte, moi ah bon frotte a l’ail d’espolet

  4. « Musicalement, c’est avec l’arrivée de la no wave à New York … c’est l’avènement de Patti Smith, … »

    Patti Smith et la no wave…? J’aurais raté kek chose ?

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