Le luron de l’opération n’est donc nulle autre que le bien nommé Nicolas Jaar. Après ses débuts aux alentours de 2008 sur le label Wolf + Lamb, il sort l’album solo « Space Is Only Noise » par le biais de son propre label Circus Company. Sorte d’avancée prodigieuse, de mélange audacieux des genres – l’électronique allant se fourrer dans du son jazz, le piano jouant de son innocente mélodie, la voix se faisant mécanique et vindicative – il produit finalement un disque organique et difficile d’accès.
Avec Darkside, l’approche est différente et attestée par un premier LP du nom de « Psychic » qui retourne les tripes. Retournement rondement mené avec l’aide de Dave Harrington, multi-instrumentiste venant se rendre indispensable aux côtés de Nicolas Jaar par ses bidouillages sonores, ses jeux de cordes décisives, pour ne pas dire incisives. La guitare surgit, rajoute des vibrations au compteur, un sacré lot d’émotions qui donne âme au projet. Le projet de construction d’une tour de Babel vaporeuse.
Le parcours d’adoration pleinement achevé, on s’empresse de partager ses folles émotions avec un ami, et c’est justement là qu’on faillit misérablement. Je ne me souviens plus très bien, j’ai du introduire mon propos en baragouinant maladroitement quelque chose dans le genre d’un « hé mec, je suis tombée sur un disque électro vachement bien, il faut absolument que t’écoutes ». L’argumentation était minable, voire inexistante, tellement j’étais déjà convaincue. Indubitablement, ça n ‘a pas fait mouche, cet ami a habilement lancé le disque en sourdine avant de continuer à dévorer le carrot cake que je lui avais apporté, regard vide et peu convaincu…
Étant habituée à faire défiler les disques d’ambient ou de minimale plus adaptés aux clubs « en-sués » qu’à l’appart surexposé, j’avais moi-même lancé la mécanique d’écoute sans trop y croire, retournant illico vaquer à d’autres occupations. Les premières secondes s’égrènent. Le morceau s’appelle Golden Arrow. Fait indéniable, le titre a de la gueule, une symphonie d’intensité qui se réverbère en vitesse comme un prélude fait de pesanteur. Ça crépite, électrique, au fond un « cœur » bat, la noirceur n’est pas synonyme de mort mais de promesse, berceau de fertilité. Noir qui s’étale toutefois avant que n’intervienne un silence mêlant trouble et magie. Puis, un rythme, simple dessine une progression infinie, succession d’escaliers, d’échafaudages tels les indices d’un édifice spirituel en construction. À l’électronique s’ajoute rapidement les cordes qui font joyeusement entrer le métal en fusion. Déjà absorbé dans ce labyrinthe sonore, un doute rode néanmoins quant à l’instrumentalisation de la voix par Nicolas Jaar. Pour cela, il suffit de se souvenir de « Space Is Only Noise », de cette voix pouvant déstabiliser jusqu’à laisser se matérialiser la sensation d’une main géante venant te cueillir par la peau des fesses. Voix d’une froideur angoissante qui, en apportant une présence faussement humaine, de type androïde, mettait salement mal à l’aise. Mais ici, rien de tel, la voix se positionne justement, logiquement. Elle se trouve moins agressive et emplit l’espace d’une toute nouvelle émotion. Le froid, le saisissement, la force et la douceur savent alors s’entrechoquer à merveille.
Onze minutes et une vingtaine de secondes plus tard, tu rouvres les yeux, complètement sonné. Arrivé à ce stade, la tête dans le guidon, on pourrait croire qu’il y a outrage, surabondance, excès malsain dans l’adoration, qu’on se trompe et qu’on déraisonne. Mais le disque filant, l’effet se répète. On se dit alors qu’il est bien réel en dépit de cette substance impalpable qui le rend si particulier. Plus loin, Heart, marche à l’allure guerrière, envahit l’espace. Une centaine de soldats graviraient au pas des escaliers que l’image n’en serait que plus fidèle. La direction est prise, le son s’élève aventureusement vers un sommet de lumière et s’éloigne presque de l’électro originelle. S’ébauchent des passages frôlant la mélodie pop avant que le son ne s’achemine, ondule vers un blues nonchalant avec Paper Trails. Esquisse d’un swing des plus terribles, voix grave hésitant entre rock et électronique, ce n’est rien d’autre qu’un monstre à deux têtes qui s’ancre dans un espace intemporel à l’apaisant flottement. La suite, c’est une accélération avec The Only Shrine I’ve Seen. Ni une ni deux, l’envie est au plonger de tête dans un seau sonore, la voix s’emparant d’un timbre à la Dan Snaith. L’immersion est entière tandis que Greek Light s’impose avec ses airs impressionnistes. Une voix de fausset tire sévèrement les larmes sous des bruits de diapos qui défilent, créant une situation, un moment, une pause préalable à l’approche de l’astre. L’ascension touche à sa fin. L’éclaircie se profile. Metatron. Le Metatron qui n’est autre que l’archange portant la voix de Dieu dans le judaïsme. Cosmique à l’emprise totale, doigt d’honneur aux disques à rallonge, tu cries à la mort quand le dernier morceau se termine. T’as vraiment l’air d’un psychotique chronique et tu t’en moques. Le saisissement te poursuit, tu tremblotes encore. Psychique et physique.
Darkside // Psychic // Matador
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3 commentaires
Je hais totalement ce disque. Du Mike Oldfield 2.0.
Un album sensuel et glacial. Un frisson au coin du feu. Et bel article.
Encore une « buzzerie » qui finira dans un sac à vomi, mais ça ne changera rien puisque tout ce que fait Nicolas Jaar c’est géééénial!!
Klaus Shulze peu sortir un disque d’ambiant tout le monde s’en fout, bien qu’il en fasse depuis 40 ans.
Peu être que la musique est moins importante que l’attention qu’on lui porte…