Sorti sur le label de Jennifer Cardini, le fantastique album « Romantic Fiction » du DJ-Producteur Curses nous entraîne dans une longue virée gothique new wave. Et sinon on en sort quand, des années 80 ?

« Je tiens à préciser qu’ils sont tous vêtus de cuir noir » : Voilà comment étaient présentés les Depeche Mode en promo, par les animateurs de radio américaine en 1986. Embarqué dans la folie du Music For The Masses Tour – avec OMD en première partie – le documentaire Live 101 de Donn Allen Pennebaker raconte la fascination pour l’Amérique qu’ont ces jeunes anglais au look étonnant. On y voit Martin Gore acheter des K7 de Johnny Cash dans une station-service et y déambuler en jupe de cuir, bas résille, botte de motards et cheveux peroxydés. Dans une autre séquence, les Mode débarquent dans un stade, entassés dans une 1955’s Cadillac Series 62 décapotable aux ailerons larges et voluptueux avec un Dave Gahan au volant portant un perfecto constellé de clous.

Trente ans plus tard. Jeunesse, arrogance anglaise, agressivité rockabilly 50’s, la passion pour les héros oubliés du Rock’n’roll mêlé aux synthétiseurs en bois, les bas-résilles, les boites à rythme dance et les vieilles photos d’Eddy Cochran : il y a beaucoup de cette esthétique dans la musique et l’univers de notre gagnant du jour, l’énigmatique Curses.

Si vous regardez son look et son attitude, il possède une tête à être bassiste pour les Queens Of The Stone Age : banane huilée en arrière à grande couche de gomina, tatouages de taulard, cran d’arrêt glissé dans la poche arrière, bretelle et rasage de près. Pas de doute, le gars a plus l’air d’un greaser fan des Stray Cats que d’un Disc-jokey. Pourtant, la semaine dernière, Curses se produisait au Panorama Bar du Berghain à 4h du mat. Chaque week-end, il écume les clubs racés du monde entier, de Paris, Marseille, Madrid ou Cologne. De son vrai nom Luca Venezia, Curses est originaire de New York mais vit à Berlin Techno City depuis plusieurs années. C’est un producteur de dance music dans un corps rock’n’roll, et après des années à sortir des maxi et des remixes à la chaîne, il sort ce superbe long format, « Romantic Fictions ». Un disque composé de morceaux chantés, des couplets et des refrains, bref des structures pop. Le tout emballé dans un écrin dance-gothique ou, encore une fois, les influences new wave sont là.

Question : vous n’en avez pas marre de nous sortir des disques de new wave ?

Plus que les années 60 ou 70, il semble que les années 80 soit un puits d’inspiration sans fin pour un bon nombre d’artistes. Des rock critiques mal éclairés avaient prédit que « les années 80 étaient ce qu’il y a eu de pire ». Comment expliquer alors cette passion immortelle pour cette décennie (c’était il y a presque 40 ans) ? Et après des années à digérer, ingurgiter et nous resservir cette vision esthétique de la new wave, peut-on encore parler réellement de new wave ? Post-modernisme oblige, nous sommes en face d’une recréation artificielle, un fantasme de ces années 80. A ce jeu-là, chacun donne sa propre définition des années néons : certains sont en mode kikou-lol-Nintendo, d’autres font dans la variété second degré, certains usent de cynisme détaché quand d’autres encore se mettent de l’eye-liner en ressortant leur disques d’Ultravox. On a dépassé le jeu de pistes aux références : nous baignons depuis 1997 – et la sortie des disques « Darkdancer » des Rythmes Digitales et le « Nu Romantics » de DMX Anglais – dans une longue prolongation sans fin des années 80. Je parle de ces deux disques là en particulier, car lors de leur sortie à la fin des 90’s, beaucoup n’ont pas compris, trouvant cela too much, voire même « rigolo».

Depuis, c’est devenu la norme et cela ne s’arrête jamais. Une sorte de réinvention perpétuelle, voire une méta-réalité où tout le monde propose SA version de John Carpenter, Blade Runner, Mylène Farmer, The Cure ou Chris & Cosey. C’est aux choix, selon les affinités et l’humeur de chacun. Sur l’album « Fictions » de Lucas aka Curses, c’est plutôt ambiance Talk Talk et Fad Gadget, par exemple.

Pourquoi ce disque plus qu’un autre ? J’ai envie de dire que Curses le fait avec plus de talent que les autres, plus de maitrise et aussi plus de cœur. Ce que je trouve d’excitant chez ces artistes dj-producteurs, c’est leur manière de s’emparer du matériel pop et d’y infuser leurs nombreuses références dans un carcan résolument dance tout en restant lisibles et en réussissant à surmonter ces références. Le fait d’être un one-man machine, seul maître à bord en se passant de musiciens, de réaliser un disque ou des EP entiers en mode DIY dans l’optique de sonner comme le meilleur de Cocteaux Twins. L’autre grande attraction pour ce dj-producteur, c’est de sortir du schéma groupes pop ayant la fâcheuse tendance à placer les instruments, les voix et leur charisme d’huitre en avant. Chez Curses, tout est à sa place pour servir le propos : l’esthétique dans sa forme pure et la restitution du climax désiré.

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Le morceau d’ouverture Surrender sonne comme du Tears For Fears sur une rythmique digne des Fine Young Cannibals où Curses s’empare du micro et sort sa plus belle Gretsh pour l’occasion. Juste après, c’est ambiance corbeau « croaw-croaw » sur Harbinger Of The Light et Crucify où notre Josh Homme techno se rapproche des débuts de Ministry et Alien Sex Fiend. On retrouve deux featuring sur « Fiction » : la dj-productrice allemande Perrell pour un Gold & Silber d’anthologie en droite ligne de Nina Hagen. Et plus loin, on entend la voix méconnaissable et assez désincarnée de Jennifer Cardini sur un Silence In The Dark pour un twist avec la mort qui sonne comme du Vox Low. Anyway, c’est un disque neuf étoiles de rock’n’roll et de dance music au ralenti, très courts, très accessibles et qui fait du bien à nos âmes meurtries. Au fait, Curses se traduit par… Malédictions.

Curses // Romantic Fiction // Dischi Autunno
https://cursesforever.bandcamp.com/album/romantic-fiction

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