Musicien pour d’autres durant plusieurs années, l’auto-proclamé débile rémois Odilon Horman a décidé de prendre le contrôle de sa vie avec Chester Remington, un mono-groupe de rock’n’roll qui n’a donc absolument rien à voir avec le regretté chanteur de Linkin Park et qui fusionne dans la joie et l’allégresse près de soixante ans de violence électrique alors même que le garage-rock est donné pour mort depuis plusieurs mois.
Pas encore trentenaire, le jeune Rémois Odilon Horman est le produit de près de soixante-ans de violence électrique dans une grande famille qui oscille depuis sa création entre renaissance et dépravation. Né en 1964 sous les doigts révolutionnaires de Dave Davies qui avait détruit un amplificateur pour créer le son proto-saturé de You Really Got Me, le garage-rock a connu un premier âge d’or au milieu des swinging sixties – qui sera documenté de façon héroïque par Lenny Kaye avec la fameuse compilation «Nuggets» – avant d’être détruit par son cousin du rock psychédélique avec qui il avait d’abord fusionné, et ensuite par le rock de stade du début des seventies.
Classé comme dead durant plusieurs années, le genre déjà vieux des sixties va d’abord se consoler avec un premier enfant fou-fou-fou nommé punk-rock et, plutôt du genre baiseur fou, le père des sixties va alors enfanter un deuxième bébé beaucoup plus intelligent, le post-punk qui va repousser les limites de l’expérimentation rock’n’roll tout en détruisant son papa de l’intérieur. Puis, parce qu’il faut bien accélérer un peu le temps, les cordes qui font mal aux doigts réapparaitront finalement au beau milieu des années 2010 avec un énorme revival porté par les Californiens Ty Segall et Thee Oh Sees, arrières petits-enfants des Sonics. C’est dans ce contexte digne du désert de Gobi où le «rock’n’roll ultime» est redevenu un paria de la société que débarque Odilon Horman, avec un EP de six titres qui fait justement allégeance à toute cette histoire de violence électrique que je viens juste de vous envoyer gratos en pleine gueule à la manière de Greg Shaw tapotant nerveusement sur son antique machine à écrire.
Marin isolé sur une mer terriblement plate et orpheline de la tempête de watts depuis bien longtemps, Odilon nous donne paradoxalement envie de réécouter du garage-rock. Amoureux d’une musique qu’il joue non pas par effet de mode mais bien par amour, le jeune Rémois a aussi l’énorme mérite d’avoir trouvé son propre son en s’inspirant du groupe de John Dwyer, mais sans le parodier. Car Odilon pioche un peu partout dans la grande mythologie de la violence électrique, entre punk californien lo-fi sur My Very First Time, vocalises angoissantes à la Cramps sur Beach, ping-pongs de guitare post-punk sur à peu près tout l’EP, gimmick à la Cobain sur le refrain de Don’t Say Shit, rythmique chaloupée à la Surfin’ Bird des Trashmen sur Beach et lignes surfy sur ce même morceau, sans oublier une ballade hommage à Yak nommée Jimmy,
Enregistré dans une énorme maison hantée reconvertie en studio à Chalons-en-Champagne, ce disque de garage-rock fait comme on l’aura compris du neuf avec du vieux, ou du vieux avec du vieux, c’est selon l’humeur ultra changeante du bonhomme et surtout de ses angoisses existentielles qui auront été l’alpha et l’oméga de cette création qui lui a permis de bien se vider les artères. C’est pour discuter de tout ça et bien plus encore que nous l’avons retrouvé pour une discussion à bâtons rompus.
J’ai une question à la con pour commencer. Chester Remington, c’est un jeu de mot foireux avec Chester Bennington ?
Non, pas du tout. C’est un putain de hasard même si en vrai j’étais fan’ de Linkin Park quand j’étais ado et sa disparition m’a pas mal touché, mais je me suis rendu compte du lien après coup. « Chester » c’est que j’aimais bien le prénom et «Remington» c’est par rapport à la machine à écrire que réparait mon grand-père dans sa boutique. Il s’appelait Lucien et il a fui Charleville-Mézières quand il était gosse, à pied. Comme à l’époque j’écoutais pas mal de Gainsbourg, j’ai repensé à ce mot là que j’aimais beaucoup et choisi ce pseudo pour lui rendre hommage.
Dès le deuxième morceau If He Answers, tu envoies du lourd avec un mélange de nervosité instinctive à la John Dwyer et de complexité à la Faux Ferocious. Ces deux groupes t’ont pas mal inspiré j’imagine ?
Thee Oh Sees, oui complètement. J’aime bien les petits ping-pongs de guitare, ça peut paraître complexe mais ça fait aussi partie de ce truc sauvage et assez instinctif que j’adore. Il y a aussi cette phrase que je répète sans cesse, comme une sorte de prière, ça parle de religion, avec cette question qui tue: «e st-ce qu’on aurait fait toutes ces horribles choses au nom de je ne sais qui ? »
Un autre truc qui caractérise ton groupe, c’est le côté hyper intense, il peut se passer énormément de choses en cinq secondes, c’est aussi intense que le punk sauf que les morceaux ne durent pas deux minutes, mais le double.
Ouais, j’ai ce réflexe de créer beaucoup de changements d’humeur et de tempo dans un morceau, ça vient aussi de mon obsession pour les Beatles. J’ai un paquet d’émotions très différentes à faire passer et j’ai vraiment besoin de quatre minutes pour pouvoir être à la fois heureux, triste, etc. Je fais absolument tout à l’instinct, je garde souvent les « one shots ». On a aussi essayé tout un tas d’amplis et de setups, on s’est vraiment éclaté à faire cet EP.
On s’en prend donc plein la gueule et puis tu te calmes brutalement sur Jimmy, qu’est-ce qui s’est passé dans ta fameuse maison hantée ?
C’est par rapport à cet album de Yak « Pursuit of Momentary Happiness » que j’ai bouffé en 2019, le disque est dingue. Je les ai aussi vu en concert et je ne m’en suis jamais remis, ils créent ces espèces de phases dans leurs morceaux en mode sixties, des phases que je trouve magnifiques. Je trouvais ça intéressant de varier avec cette forme de respiration, dans un disque au final’ assez violent. J’avais d’ailleurs déjà fait une ballade à la Elliott Smith dans mon EP précédent. Je pensais aussi vachement à David Bowie pour le fait d’avoir des voix caverneuses interprétées avec ce léger vibrato.
Du coup tu passes de hurleur à crooner en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
J’aime bien faire le débile en permanence, imiter les gens et faire le con ! D’un morceau à l’autre je vais faire des voix hyper différentes, un peu comme des personnages, et je ne voulais surtout pas chanter de la même manière sur tout l’EP. Je suis capable d’avoir une voix de tête et ensuite faire un truc beaucoup plus caverneux, je trippe pas mal à ce niveau, ce qui me permet aussi de me glisser dans la peau de quelqu’un d’autre, comme un caméléon.
« C’est le Surfin’ Bird des Trashmen qui m’a donné envie de faire ce groupe »
Le dernier morceau est un délire vocal à la Cramps, avec des lignes de guitare surfy, un son de guitare angoissant à la Dwyer et ce final apocalyptique qui nous claque une fois de plus à la face. Tu voulais finir en beauté ?
Les Cramps complètement, il y aussi le Surfin’ Bird des Trashmen qui m’a énormément inspiré qui était une parodie du doo-wop version garage-rock. C’est d’ailleurs ce morceau qui m’a donné envie de faire Chester Remington, après tout est parti un peu dans tous les sens mais voilà ce titre aux consonances surf’ inspiré des Trashmen représente la genèse du groupe. Dans ce morceau t’as aussi des cris de mouettes, comme je te disais dit j’aime bien faire le débile et je fais souvent des cris d’animaux. J’avais un tape echo hyper fort et j’ai commencé à faire ces cris de mouettes en imaginant des nuées d’oiseaux angoissants façon Alfred Hitchcock qui voleraient au dessus de ma tête dans un final hyper chaotique. C’était comme une putain de tempête, donc j’ai mis un ciré jaune. Et voilà t’as l’histoire de la pochette !
Intéressant. Tout a donc commencé avec ce morceau en hommage aux Trashmen ?
Ouais, c’est en écrivant ce premier morceau que je me suis vraiment dit : « yes, je peux faire un groupe ! ». Je joue dans des groupes depuis plus de dix ans, j’ai accompagné pas mal de songwriters mais là c’est vraiment la première fois que je m’émancipe en faisant mon propre truc. C’est ultra sincère, ça ne sort que de ma tête.
En fait, tu es fasciné par les sixties et le vieux matos, mais tout en voulant créer ton propre son
Ouais on peut dire ça. A ce propos mon kif ultime serait de faire un disque qui fusionne les sixties et les nineties, mais j’y suis pas encore arrivé. Il y a déjà quelques codes dans ce disque qui se rapportent aux nineties et que j’aime bien distiller un peu partout, notamment ces gimmicks vocaux à la Kurt Cobain sur Don’t Say Shit. La musique, c’est une série de vagues qui vont et viennent en permanence. Personnellement, j’ai l’impression de faire un truc qui mourra jamais, c’est trop vrai pour que ça meurt.
Chester Remington // EP Doldrums // Sortie en février 2022 chez Le Cèpe Records & Modulor
Pour savoir quand Odilon et ses potos vont tout détruire sur scène, c’est par ici